Antisémitisme : Galliano lynché à Paris, Qaradawi ovationné au Caire

John Galliano n’a peut-être jamais lu La plaisanterie de Milan Kundera. S’il l’avait fait, il aurait su qu’une provocation peut avoir des conséquences extrêmement fâcheuses dans un pays très à cheval sur certains principes, et qui met un point d’honneur à interpréter tout propos en clé imbécile, et à se donner des frissons de terreur avec des broutilles inoffensives. Dans ce roman, dont l’action se déroule dans la Tchécoslovaquie communiste, un étudiant voit sa vie détruite à cause d’une carte postale adressée à son amoureuse, à laquelle il déclare par dépit et par bravade, alors qu’il est lui-même communiste : « L’optimisme est l’opium du genre humain ! L’esprit sain pue la connerie ! Vive Trotski ! » La figure de l’ancien chef de l’Armée rouge, ennemi de Staline, c’était dans le bloc de l’Est l’équivalent du spectre de Hitler dans notre monde anti-raciste : déclarer son amour pour lui, c’était signer son suicide social.
Il n’en fallait pas plus à la police politique qui a intercepté la carte postale criminelle. Elle n’a pas cherché pas à comprendre si ces propos avaient un véritable poids, si ce n’était pas une plaisanterie, s’il existait vraiment des trotskystes actifs, complotant contre le régime stalinien, non, ils devaient absolument exister, parce que le Petit père des peuples disait lutter contre eux. De même, il y a de plus en plus de nazis en France, parce que les anti-racistes doivent bien justifier leur existence.
Galliano a eu le malheur de proférer face à la caméra le blasphème absolu, il a dit « J’aime Hitler. » Qu’importe qu’il fût de toute évidence bourré comme un coing ! Qu’importe qu’il soit connu pour son caractère excentrique, provocateur et iconoclaste ! Ce serait trop demander à tous ceux qui se sont empressés de le lyncher de savoir ce que dandy veut dire ! Que peut évoquer aux pisse-copie le nom de Brummell, à part peut-être un magasin de vêtements près de la gare St. Lazare, rebaptisé « Printemps homme » il y a une douzaine d’années, lorsque enfin l’homme est devenu une femme comme une autre ? Qui se souvient de cet Anglais qui se perdit pour ce sarcasme : « Qui est ce gros homme ? », donnant le ton et montrant la voie à d’autres provocateurs de renom, comme Balzac, Baudelaire, Barbey d’Aurevilly, Théophile Gautier et Huysmans ?
Pour les « esprits sains » il ne fait aucun doute que le styliste exprimait par ses propos sa véritable nature. In vino veritas ajoutent sentencieux les plus doctes. Ses mots sont encore plus révélateurs et plus graves, parce qu’il avait une alcoolémie de 1,1mg d’alcool par litre d’air ! Comme s’il s’agissait d’un accident de la route, son ivresse manifeste est pour les bons citoyens une circonstance aggravante.
La vidéo diffusée par le Sun, contient pourtant une obscénité plus grande, que personne ne commente : l’excitation maligne de ceux qui le filment, qui le relancent avec des questions et qui gloussent de plaisir en l’entendant proférer les horribles mots. Ils ne sont pas choqués, ils sont au spectacle, ils jouent avec leur victime, ils jouissent par avance à l’idée du scandale qu’ils déclencheront avec les images qu’ils filment en loucedé avec leur télécran portatif. En même temps, ils pensent sans doute au prix auquel ils pourront vendre leur minable dénonciation aux tabloïds, avec la bonne conscience d’accomplir un acte citoyen, et en prime, la certitude de passer pour les victimes d’une « agression raciste ».
Ce qui constitue le véritable scandale de cette vidéo, c’est l’abus de faiblesse. Elle ressemble aux vidéos d’agressions gratuites qu’enregistrent les voyous pour immortaliser leurs exploits ignobles. Si ceux que Galliano a insultés avaient eu un tant soit peu de dignité, jamais ils n’auraient causé la chute de cet homme pour des propos tenus dans un état d’ébriété avancée. Mais on ne peut demander à des citoyens vigilants d’avoir la même hauteur d’esprit que ce « gros homme » que railla en public Brummell, et qui, pour toute réplique, ne fit que rougir, ils ne sont pas… le roi d’Angleterre.
La dénonciation fut faite, The Sun paya les délateurs, et la justice instruit la plainte. Mais tout est déjà consommé, Dior a licencié Galliano, et comme dans la défunte Tchécoslovaquie communiste, où l’on effaçait toute trace des individus bannis, il a gommé toutes les références à son travail de son site internet. Image oblige. (1) Cela illustre presque d’une manière trop caricaturale cette analyse de René Girard, que ceux qui utilisent sa théorie devraient méditer plus longuement : « Nous pourrions utiliser avec délicatesse la perspicacité dont nous faisons preuve à l’égard de nos voisins, sans trop humilier ceux que nous prenons en flagrant délit de chasse au bouc émissaire mais, le plus souvent, nous faisons de notre savoir une arme, un moyen non seulement de perpétuer les vieux conflits mais de les élever au niveau supérieur de subtilité exigé par l’existence même de ce savoir, et par sa diffusion dans toute la société. Nous intégrons à nos systèmes de défense, en somme, la problématique judéo-chrétienne. Au lieu de nous critiquer nous-mêmes, nous faisons un mauvais usage de notre savoir, nous le retournons contre autrui et nous pratiquons une chasse du bouc émissaire au second degré, une chasse aux chasseurs de bouc émissaire. La compassion obligatoire dans notre société autorise de nouvelles formes de cruauté. » (2)
Que cette affaire prenne autant d’ampleur aujourd’hui est d’autant plus amer que quelqu’un d’autre, qui n’était ni ivre, ni dandy, ni attablé seul dans un bar, mais sobre, dogmatique et devant une foule de deux millions de personnes, a prononcé un discours aux mêmes relents nauséabonds, sans que personne en France ne s’en émeuve, à part Alain Finkielkraut. (3) Le cheik Yousouf Qaradawi est rentré en Egypte après trente ans d’exil au Qatar – exil dû à un prêche à la gloire des assassins de Sadate – et il a été accueilli sur la place Tahrir le 19 février avec le cri « Par millions sur Jérusalem nous marchons ».
Ce milliardaire polygame, président du Conseil européen pour la recherche et la fatwa, aurait dû accéder à la même célébrité suspecte que Galliano pour une vidéo que personne n’a enregistré en cachette, mais qu’il a produite lui-même sur la chaîne Al-Jazeira en 2009, dans laquelle il déclare : « Tout au long de l’histoire, Allah a imposé aux [Juifs] des personnes qui les puniraient de leur corruption. Le dernier châtiment a été administré par Hitler. Avec tout ce qu’il leur a fait – et bien qu’ils [les Juifs] aient exagéré les faits -, il a réussi à les remettre à leur place. C’était un châtiment divin. Si Allah veut, la prochaine fois, ce sera par la main des musulmans. En conclusion, j’aimerai dire que la seule chose que j’espère, au crépuscule de ma vie, c’est que Allah me donne l’opportunité d’aller au pays du jihad et de la résistance, ceci même sur un fauteuil roulant. Je tuerai les ennemis d’Allah, les Juifs. » (4)
Mais personne ne semble au courant, et il n’y a pas eu d’indignation particulière en France lorsque celui pour lequel Tariq Ramadan dit éprouver un « profond respect » (5) a prêché en direct le jihad contre les juifs, et contre les « musulmans hypocrites » devant une foule survoltée, alors que son discours était retransmis en direct sur la chaîne nationale égyptienne. (6) Le Monde a écrit qu’il avait « appelé les leaders arabes à écouter leurs peuples et à engager un “dialogue constructif” » !!! (7) Que celui qui a déclenché la vindicte populaire contre Redeker, qui a justifié de nombreuses fois les assassinats-suicide, qui a expliqué dans son best seller Le licite et l’illicite, en vente libre en France, comment battre « gentiment » sa femme, tuer les homosexuels, les fornicateurs et les musulmans apostats, et qui a incité à l’islamisation rapide de l’Europe, soit accueilli en héros au Caire n’a pas hérissé un seul poil de notre caste médiatique si désireuse de croire que tout ira pour le mieux de l’autre coté de la Méditerranée.
L’amour de Galliano pour Hitler, quand bien même il serait sincère, n’aura de conséquence néfaste pour personne. Aucun juif ne sera assassiné par un fanatique se revendiquant de sa bénédiction, à coup de ciseaux ou de chapeaux extravagants. Mais l’amour de Qaradawi pour le Führer empoisonne des millions de jeunes esprits, et on le traite en « grand savant ». Jamais cet anathème n’a été plus actuel : « Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui arrêtez au filtre le moucheron et avalez le chameau ! »
Radu Stoenescu
(1) http://www.lexpress.fr/styles/mode/dior-efface-les-traces-de-galliano-sur-son-site_968560.html
(2) Je vois Satan tomber comme l’éclair, Ed. Biblio Essais, p.206 (c’est moi qui souligne)
(3) http://www.dailymotion.com/video/xhaa28_interview-finkielkraut-fevrier-2011-1-4_news#from=embed&start=169
(4) http://www.youtube.com/watch?v=HStliOnVl6Q
(5) Faut-il faire taire Tariq Ramadan ?, Aziz Zemouri, l’Archipel, 2005, page 135.
(6) http://www.ism-france.org/temoignages/Un-grand-moment-dans-l-histoire-egyptienne-et-arabe-Par-millions-sur-Jerusalem-nous-marcherons-video–article-15119
(7) http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2011/02/18/les-manifestants-de-retour-place-tahrir-au-caire-pour-maintenir-la-pression_1482212_3218.html

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