Après les minarets, les Suisses interdisent la dissimulation du visage


Le 29 novembre 2009, avec le soutien de l’UDC, le Comité d’Egerkingen https://egerkingerkomitee.ch/, comité citoyen qui regroupe majoritairement des membres de ce parti pour combattre l’islam politique, alors à peu près seul contre tout l’establishment politique suisse, surprenait le monde en réunissant une majorité de 57,5% du peuple et de 19,5 cantons sur 23 à l’appui d’une initiative populaire tendant à interdire la construction de minarets. Il vient de rééditer ce succès le 7 mars 2021 en rassemblant 51,5% du peuple et 18 cantons autour d’une initiative « Oui à l’interdiction de se dissimuler le visage » https://www.bk.admin.ch/ch/f/pore/vi/vis465t.html.

Aux termes de cette initiative, nul ne peut se dissimuler le visage dans l’espace public ni dans les lieux accessibles au public ou dans lesquels sont fournies des prestations ordinairement accessibles par tout un chacun, à l’exception des lieux de culte et d’autres exceptions justifiées par des raisons de santé (pensons au masque facial) ou de sécurité, par des raisons climatiques ou par des coutumes locales. Nul ne peut non plus contraindre une personne à se dissimuler le visage en raison de son sexe. Une loi d’exécution devra être élaborée dans les deux ans.

Par-là, la Suisse rejoint des pays comme la France, la Belgique et l’Autriche et même divers pays musulmans qui ont eux-mêmes interdit dans l’espace public des tenues comme le niqab ou la burqa qui dissimulent le visage.

La veille de la journée internationale des droits des femmes (quelle meilleure manière de la marquer ?), une majorité des Suissesses et des Suisses ont ainsi réaffirmé leur attachement, au-delà même du principe constitutionnel de l’égalité entre hommes et femmes, au respect et à la liberté des femmes. Il faut dire que cette initiative a rassemblé, bien au-delà des électeurs de l’UDC, nombre de personnalités féministes ou proches des milieux féministes, y compris de gauche. L’argument féministe, à l’évidence, a porté. Alors que les organisations féministes se prenaient les pieds dans le tapis, notamment en acceptant en leur sein le collectif pseudo-féministe des Foulards violets https://lesfoulardsviolets.org/2020/02/20/agenda-14-mars-2020-atelier-de-formation-au-feminisme-ne-me-libere-pas-je-men-charge/, les Suisses ne s’y sont pas trompés : on ne peut pas de manière crédible un jour défiler à la Grève des Femmes avec un badge violet et le lendemain légitimer le niqab, symbole de soumission et de discrimination de la femme ; il est tout autant incompréhensible, pour des femmes, de s’opposer à une interdiction manifestement libératrice pour leur épargner une forme de criminalisation alors que rester les bras croisés dans l’espace public, c’est être complice de ce qui, généralement, est imposé dans l’espace privé.

Avec intérêt, on relèvera encore l’engagement, aux côtés du Comité d’Egerkingen et de l’UDC, d’un comité « A visage découvert » https://a-visage-decouvert.ch/, qui regroupait diverses personnalités romandes elles aussi engagées contre la dissimulation du visage, mais souhaitant de distinguer de l’UDC. Parmi elles, une figure s’est détachée : Mohamed Hamdaoui, ancien journaliste radio, socialiste avant de rallier le parti Le Centre mais surtout… musulman. Un tel engagement, de même que celui de… l’imam de la Maison des Religions de Berne https://www.haus-der-religionen.ch/fr/, aura peut-être aussi convaincu que l’initiative n’avait aucun objectif discriminatoire, mais que sa cible, c’était une forme ostentatoire extrême de l’islam politique.

Un argument qui semble avoir également porté, c’est l’idée qu’une personne libre montre son visage et que se présenter dans l’espace public le visage découvert, c’est une question de civilisation : chez nous, on veut pouvoir identifier les personnes évoluant dans l’espace public et voir leurs expressions. Ces valeurs, elles sont consacrées dans notre Constitution, notamment lorsque celle-ci consacre la liberté personnelle et l’égalité entre hommes et femmes. Les Suisses étaient soumis à un défi : avoir le courage de réaffirmer leur attachement à ces valeurs et que chez nous, ce sont nos règles qui s’appliquent, pas des règles d’un autre âge venues d’ailleurs. Un défi semblable était lancé aux musulmans de Suisse : se distancier de leur frange radicale, à peine d’entretenir le flou, pour ne pas dire le doute, au sujet de leur position face à ce que les Suisses – qui depuis l’an dernier ont compris que leur pays est lui aussi une cible pour le terrorisme islamique – considèrent comme une menace.

Bien entendu, on a objecté à l’initiative l’argument du nombre : pourquoi inscrire dans la Constitution fédérale une interdiction qui ne concernerait que quelques dizaines de femmes dans le pays ? La réponse était simple et sans doute majoritairement acceptée : face à une question de civilisation, le nombre importe peu ; c’est le principe qui doit l’emporter, avec dans l’idée que mieux vaut prévenir quand il est encore temps que d’en être réduit à guérir alors qu’il est déjà tard, voire trop tard – comme en France.

Je risque encore l’hypothèse qu’en ces temps de dictature sanitaire, alors que nous en sommes tous réduits à expérimenter presque dans notre chair à quel point le masque facial qu’on nous impose limite notre liberté, les Suisses ont pu profiter de cette votation pour manifester leur mauvaise humeur face à cette muselière.

Que va-t-il se passer maintenant ?

En recueillant non seulement la majorité du peuple, mais aussi une écrasante majorité des cantons, l’initiative, qui introduit dans la Constitution fédérale des règles applicables uniformément dans toute la Suisse, a consacré la légitimité d’une loi d’application fédérale. Pareille solution est d’ailleurs dans l’esprit, pour ne pas dire dans le texte, accepté par les Suisses.

Et pourtant.

Voici que le Conseil fédéral annonce son intention de se défiler et de confier aux cantons la responsabilité de mettre en œuvre dans leur propre législation (il y en aurait donc juste… vingt-six, autant que de cantons et de demi-cantons !). Ce serait une manière particulièrement perverse de fouler aux pieds la volonté du peuple et des cantons ; car ceux-ci ont justement exprimé leur intention de ne pas laisser les cantons, dont certains l’ont déjà fait, de manière très diverse comme au Tessin https://m3.ti.ch/CAN/RLeggi/public/index.php/raccolta-leggi/legge/num/25 (mais aussi pas du tout), réglementer en ordre dispersé une problématique qui concerne tout le pays et même notre civilisation tout entière.

Dans un sursaut identitaire rassurant, les Suissesses et les Suisses viennent de donner un signal fort contre la progression de l’islam radical. Nous ne laisserons pas le Conseil fédéral confisquer aux citoyens suisses la victoire que ceux-ci viennent de remporter sur l’islam radical.

Jean-Luc Addor
Conseiller national UDC
Membre du comité d’initiative