En d’autres termes, la sécularisation, qui avec les siècles qui passent et l’obscurantisme des peuples qui s’effilochent, pousserait-elle les hommes à se rapprocher et donc à commencer à se comprendre ? Chaque jour qui passe voit l’effondrement de la chrétienté et avec lui, les églises abandonnées et pillées, la prêtrise n’être presque plus qu’un souvenir. De son côté, le judaïsme, véritable forteresse spirituelle, a commencé à être profondément affecté et fissuré par la Haskhala, un grand nombre de juifs désirant se libérer de la rigidité de la mishna pour mieux s’intégrer aux mœurs et à la culture de leur lieu de résidence. Aujourd’hui, Delphine Horvilleur, femme rabbin, n’hésite pas à dire ce qui aurait été impensable il n’y a encore pas longtemps : “Les rites et les textes doivent être revisités par chaque génération, sinon ils sont morts. Les leaders religieux traditionnels qui ne s’autorisent pas cet exercice, voire qui le condamnent, transforment la religion en une sorte de musée”. Les musulmans enfin, avec des intellectuels de premier plan comme Muhammad Abduh et Muhammad Iqbâl, se sont battus pour réformer l’islam à travers la Nahda qu’on traduit par le mot renaissance. Certains sont même allés très loin dans cette œuvre d’émancipation comme Qasim Amin qui a écrit un essai intitulé “La libération de la femme” en avance sur son temps, non seulement en terre d’islam mais aussi en… Occident. Mais les fondamentalistes ont gagné, laissant une toute petite place à beaucoup de musulmans comme Abdennour Bidar qui appellent à grands cris une interprétation, j’allais dire libertaire, du Coran et de la sunna.
Or, voilà qu’on apprend – et cela est vraiment à tomber à la renverse – que Mohamed Al-Isa, secrétaire général de la Ligue islamique mondiale, sera présent au camp de concentration d’Auschwitz début 2020 pour le 75e anniversaire de la libération des camps nazis… en présence de Haïm Korsia, Grand Rabbin de France. Ce rapprochement hors normes entre deux religions qui se détestent, sur un épisode très particulier, la Shoah, c’est à dire l’extermination de 6 millions de Juifs, va bien au-delà du symbolisme parce qu’il signifie que le monde musulman cesserait de se réjouir du malheur des Juifs mais au contraire, commencerait à compatir.
Je me refuse à croire qu’il s’agit, de la part de Mohamed Al-Isa, d’un acte relevant de la taqîya dont le but serait d’amoindrir la vigilance d’Israël, de l’endormir pour mieux, dans un second temps, repartir dans une sorte de contre-attaque plus destructrice. Je sais qu’avec la taqîya on peut s’attendre à tout mais quand même… Je préfère croire à la sincérité de cet homme et me dire que sa démarche constitue une avancée qui devra évidemment se poursuivre par d’autres actions symboliques. Sinon, à quoi bon ? Un seul acte en effet, aussi symbolique soit-il, n’est pas suffisant pour effacer une haine séculaire.
Dans mon livre “L’Islam, une stratégie militaire sous couvert de religion” je préconisais dans la conclusion (avec peut-être un enthousiasme trop naïf) la réunion par l’Europe des états généraux de l’islam afin que les musulmans, à travers toutes leurs organisations représentatives et sur la base d’un cahier des charges rigoureux, édulcorent leur religion, c’est-à-dire la débarrassent de toutes ces sourates violentes qui appellent à l’extermination des gens du Livre ainsi que des athées mais aussi toutes ces sourates qui ne considèrent la femme que comme “un champ de labour”. Mais dans cette pratique nouvelle de l’islam, j’insistais sur le fait qu’aucune concession ne devrait être acceptée sous peine de remigration. Peut-être ai-je été trop rigide, trop procédurier, trop anticipateur. Peut-être vaut-il mieux laisser les esprits mûrir, “laisser le temps au temps” supporter encore trop d’horreurs, sachant que l’espoir est au bout, là-bas, là où l’on perçoit quelque chose briller. Ah ! Cela serait si bien… Après tout, Abraham n’est-il pas le père des trois religions ?
Philippe Arnon