
La montée de l’islamophobie en Russie coïncide paradoxalement avec la crise migratoire en Europe – et pourtant l’histoire et l’attitude de ces deux ex-monopoles envers la plus jeune religion du monde sont totalement différentes.
La majeure partie des musulmans peuplant la Fédération de Russie ne sont pas issus des migrations mais sont bel et bien autochtones – il s’agit surtout de la partie est de la Fédération de Russie, peuplée de multiples minorités parfaitement russophones mais pratiquant l’islam ou un de ses multiples dérivés assaisonnés aux goût et traditions locaux.

Les musulmans dans la région de Saratov
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Ces peuplades et tribus, principalement nomades, avaient été progressivement conquises au cours des 17e et 18e siècles, notamment lors de la fameuse conquête de la Sibérie de Yermak par l’Empire russe, et en constituèrent une partie intégrante.
Strictement minoritaires, ils ne constituaient aucune menace pour la religion dominante qui était – et reste – l’orthodoxie et le régime tsariste les avait proprement oubliés, les livrant à leur sort dont la liberté de confession. Nommés d’abord les « basourmans » – synonyme de « infidèle » – puis « mahométans », ces populations s’étaient intégrées sans trop de heurts.
Actuellement, d’après les chiffres très approximatifs du recensement de la population en 2002, les musulmans constituent 10 % de la population de la Fédération de Russie.
Les plus importantes populations musulmanes sont organisées en Républiques ou Régions autonomes – dont la plus connue est la Tchétchénie.
Moscou est plutôt bienveillante envers ces minorités – la langue d’origine est enseignée dans les écoles, de nouvelles mosquées et maisons de prière s’ouvrent sur tout le territoire de la Fédération de Russie et notamment à Moscou. Ainsi, le très loyal envers Poutine « ISLAMTODAY » annonce qu’une nouvelle madrasa (école coranique doublée d’un lieu de prière) a été ouverte à Moscou le 5 septembre de cette année.
On a l’impression d’être dans l’harmonie parfaite. Alors pourquoi parler de l’islamophobie ?
Qui parle « métropole » parle « empire », « colonie » et « guerres coloniales ».
Dans les années 70-90 du 18e siècle, l’Empire russe avait conquis le Turkestan – des vastes plaines désertiques de l’Asie centrale avec quelques khanats dont le plus célèbre est celui de Boukhara.

« Les parlementaires », tableau du peintre russe Véreshaguine
À peine dissipée la fumée sur les champs de bataille du Turkestan, l’Empire russe fut secoué par des mouvement révolutionnaires qui culminèrent à la révolution de 1917 et aboutirent à la création de l’URSS. À la place du Turkestan tsariste, apparurent sur les cartes les Républiques soviétiques socialistes de : Kazakhstan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Turkménistan, Kirghizstan à l’est de la mer Caspienne et à l’ouest de l’Azerbaïdjan.

Mais l’URSS implosa (passons ici la période soviétique dans l’existence de l’Asie centrale, c’est un sujet à part entière) et la Russie se retrouva avec des pays musulmans indépendants à ses frontières – même sans la barrière de la Méditerranée pour amortir le choc – de plus avec une grande proportion d’habitants russes et russophones dans ces nouveaux pays.
Si l’on regarde même très brièvement les frontières sud des ces républiques ex-soviétiques, on se rend rapidement compte du danger que représente un tel voisinage pour la Russie.
Et à partir de là, nous pouvons dresser le parallèle entre le danger islamiste en Europe et en Russie
- Terrorisme manifeste en Europe et croissant en Russie
- Immigration économique en provenance du Maghreb pour l’Europe et de l’Asie centrale pour la Russie
- Profanation et dénigrement de la culture chrétienne
Mais si le premier constat est applicable et à l’Europe et à la Russie, la migration économique n’a pas le même visage.
Le corridor migratoire entre les pays de l’Asie centrale et la Fédération de Russie est l’un des plus importants et des plus stables dans le monde car il vise principalement le travail (« se faire un p’tit pactole en Russie pour l’envoyer à son « kichlak »). Environ 15 % de la population active de l’Asie centrale se déplacent en Russie pour « se faire de l’argent ». Il va de soi que ces immigrants exercent des métiers à bas salaire et suscitent le mépris d’une certaine catégorie de Russes, notamment dans les grandes villes.

www.opentown.org/news/20456
Quant à la chasse aux aides sociales, la Russie se montre très ferme et par cette fermeté même décourage les candidats à l’immigration de passer à l’acte. On a beau éplucher le site http://100migrantov.ru/migranty/sotcobespechenie/sotcialnye-posobiia-inostrannym-grazhdanam.html, une sorte de guide pour les candidats à l’émigration, on n’y trouve pas grand-chose. En gros, les textes se résument à ceci : « pas de promesse d’embauche, pas de visa et encore moins de permis de séjour ». Et la Russie ne se gêne pas pour expulser :
«… entre 2013 et 2015, les tribunaux ont rendu plus de 500 000 décisions d’expulsion administrative, c’est-à-dire des expulsions liées à des infractions administratives. La quasi-totalité de ces décisions (98 %) étaient motivées par deux articles de loi, adoptés à la mi-2013. Ils portent sur le durcissement des peines pour violation des règles d’entrée, de séjour et de travail des étrangers en Russie. » (« Russia Beyond »)
Lors de sa rencontre avec le Premier ministre hongrois Viktor Orban à Moscou le 18 septembre dernier, Vladimir Poutine a été invité par un journaliste à commenter la crise migratoire en Europe. « Si l’on encourage l’immigration avec de substantielles aides sociales et autres avantages, pourquoi le flot s’arrêterait-il », a fait remarquer le président russe.
Aliona Denissova