On a bien osé critiquer la Bible !
Si je pense aujourd’hui nécessaire de replonger, l’espace d’un simple article, dans le passé de l’action féministe, c’est pour rappeler à travers un épisode de la vie d’une suffragette américaine, que des femmes au risque d’être mises à l’index de toute une société, ici et ailleurs, ont eu le courage de s’attaquer à des textes dits « sacrés »pour en dénoncer les travers.
Serons-nous moins courageuses que ces femmes-là, nous qui ne sommes plus ces mineures à vie grâce à leur combat ? N’y a-t-il plus d’autre texte « sacré » qui mérite une exégèse féministe ?
– il est toujours un moment où il faut dire l’essentiel
L’histoire se déroule à la fin du XIXe siècle aux Etats-Unis alors que l’une des plus grandes figures du féminisme américain, Elizabeth Cady Stanton, vient de recevoir pour ses 80 ans un hommage unanime de milliers de femmes au Métropolitain Opéra de New York.
Au soir de sa vie, faisant fi des réactions qu’elle allait produire, lasse d’avoir dû passer trop de temps de son existence de militante à porter le fer sur la question du suffrage des femmes, dont elle ne verrait d’ailleurs pas l’aboutissement de son vivant, Elizabeth Stanton, à peine deux semaines après la cérémonie, publiait un livre qui la ferait détester par celles-là même qui hier l’encensaient : « La Bible des Femmes ». Elle avait pris suffisamment de distance avec la société de son époque avec les compromissions d’ordre tactique ou personnelles pour oser dire le fond de sa pensée et s’attaquer aux racines du mal : l’idéologie du mépris des femmes véhiculée par un texte fondateur de la société américaine, la Bible.
Elizabeth Stanton, commentant son ouvrage, n’hésite pas à affirmer qu’il est conçu comme un défi direct à la doctrine religieuse selon laquelle la femme est ‘un être inférieur, sujet de l’homme’. Son introduction annonce le ton caustique et ferme : [La Bible] enseigne que la femme a apporté le pêché et la mort, qu’elle a précipité la chute de l’humanité, qu’elle fut traitée en coupable et condamnée. Le mariage pour elle devait être une condition de servitude, la maternité une période de souffrance et d’angoisse et, qu’en silence et dans la soumission, elle devait accepter de dépendre de la générosité de l’homme pour tous ses besoins matériels, et que, pour toute information qu’elle pourrait désirer sur les questions quotidiennes vitales à la maison, elle devait en référer à son mari. Voici en résumé la position de la Bible sur la femme ». Stanton, à travers une exégèse féministe rigoureuse, rejettait tout ce qui peut-être prétexte à la domination masculine dans le texte « sacré ». Deux ans plus tard, elle publiait un deuxième livre sur ce sujet.
Son amie et alliée, Susan Anthony, qui lui avait succédé à la présidence de l’association pour le suffrage des femmes, tente de retenir cette ardeur à pourfendre les religieux persuadée que cela allait diviser inutilement la coalition de femmes qu’elles avaient eu tant de mal à construire, déclarant :« Cesse de frapper pauvre vieux Saint Paul Tu dis que ‘les femmes doivent être libérées de leurs superstitions avant qu’une émancipation puisse être d’une utilité quelconque’ et je dis exactement l’inverse ; ‘que les femmes doivent être émancipées avant de pouvoir être libérées de leurs superstitions’… »
Les réactions
Comme il fallait s’y attendre, La Bible des Femmes déclencha la fureur des membres du clergé qui l’ont dénoncée comme blasphématoire, immorale, obscène. Pour ces Américains pour qui considéraient la Bible come étant la parole directe de Dieu, Stanton semblait maintenant la servante de Satan lui-même.
Naturellement, les femmes ne furent pas de reste. Dans une société qui ne leur faisait pas de cadeau, elles s’accrochaient comme des moules à au rocher de leurs certitudes quant à la protection que leur offrait la la religion en décalage.Témoin ce dialogue avec une délégation de femmes juives venue rendre visite à Stanton espérant lui faire comprendre que la religion juive exaltait la valeur des femmes en tant qu’épouses et mères. :
-« Si cela était vrai, répliqua Stanton, pourquoi les services religieux orthodoxes commencent-ils chaque semaine avec les paroles : Je te remercie, oh Seigneur, de me pas m’avoir fait naître femme » ?
– « Il s’agit d’une extrapolation relativement récente, ont rétorqué ses visiteuses ; en tout cas, le but de la prière n’est pas d’insulter ou d’humilier qui que ce soit.
– « Mais c’est le cas !, a souligné Stanton, ajoutant, supposons que le service dise : ‘je te remercie, oh Seigneur, de ne pas m’avoir fait naître âne’, aurait-on pu en triturer le sens de cette phrase de telle sorte qu’on l’interprète comprenne comme un compliment vis-à-vis de l’âne ? Eh, non, mesdames, les Juifs ne nous accordent pas plus d’honneur que les autres».
Le lynchage
Lors de la Conférence annuelle de l’Association Nationale pour le Vote des Américaines à Washington, une résolution fut proposée qui avait pour objet de signifier que l’association prenait ses distances avec les positions de Stanton.
Susan Anthony, l’alliée de toujours de Stanton juste avant le vote, voulu défendre sa vieille amie une dernière fois : « Cette résolution…sera un vote de censure contre une femme qui est sans égale pour sa capacité intellectuelle et sa capacité de dirigeante politique, une femme qui a été pendant un demi-siècle « la » dirigeante reconnue de la pensée progressiste… Je serais peinée au-delà de toute expression si les déléguées… étaient assez étroites et antilibérales pour adopter cette résolution ».
Le vote claqua comme une condamnation. Les déléguées votèrent 53 contre 41 officiellement pour se séparer de la femme qui avait lancé leur mouvement.
Stanton était blessée et en colère. « Pour autant que je désire le suffrage, » a-t-elle écrit, « je préférerais ne jamais voter plutôt que de voir la politique de notre gouvernement à la merci de la bigoterie religieuse de telles femmes ».
Annie Sugier
Avec l’aide de la traduction faite par Bernice Dubois du livre « Not for ourselves alone, the story of Elizabeth Cady Stanton and Susan B. Antony » par Geoffrey C.Ward and Ken Burns paru en 1999 , Ed. Alfred A.Knopf, New York