Rendre sa monnaie au peuple : un exercice de démocratie
Rendre sa monnaie au peuple : un exercice de démocratie et de saine économie
A propos du référendum suisse et de la conférence à l’Assemblée nationale française
1 De la monnaie
La monnaie n’est pas un phénomène facile à comprendre. Un prix Nobel (l’Américain Joseph Stiglitz) la définit par ses trois fonctions d’échange, de compte (et d’évaluation), de réserve (et thésaurisation). Ce faisant Stiglitz – comme tous ses collègues – demeure tellement classique que – sans le savoir – il reprend la définition de la monnaie donnée par Aristote il y a 25 siècles. Tout aussi vraie et intangible que les théorèmes contemporains d’Euclide, Thalès , Pythagore, Archimède.
Mais pour assumer sans désordre ses fonctions, la monnaie doit être adaptée à ce qu’elle mesure en restant sincère et stable. Que dirait-on d’un décimètre en caoutchouc où d’un poids qui perdrait son contenu de limaille de plomb ? Une balance dont le fléau serait faussé ?
Depuis la nuit des temps, on a tenté de donner à la monnaie cette stabilité en utilisant des biens utilisables pour d’autres usages possibles (une sorte de troc transposé), dont la diffusion géographique suffisante permet l’échange universel, et dont la rareté relative assure la stabilité des cours : blé, sucre, cauris, bronze, argent et or.
Assez tôt dans l’histoire, le pouvoir politique a estimé qu’il était d’ordre public de garantir la sincérité de la monnaie : dans l’Athènes de Périclès, l’unité de monnaie était la drachme de 4,36 grammes, dévaluée deux siècles plus tard à 2,65 grammes. Car l’État se paye pour ses missions (le ”seigneuriage”) d’émission, de frappe ou d’impression, et de contrôle. Si le Temple a perfectionné les instruments de paiement (lettre de change) ce fut toujours en respectant le poids des monnaies mentionnées sur les documents.
2 Des errements monétaires
Pourtant il y eut des tentatives hasardeuses et catastrophiques de remplacer l’or par des billets censés le représenter : les billets de John Law sous la Régence, puis les assignats de la République.
En 2008 c’est l’affaire des subprimes : mêmes causes mêmes effets… Émission de monnaie scripturale incontrôlée par les banques privées qui consentent des crédits insensés. Ce sont les contribuables qui ont dû financer les banques privées en faillite technique; et ils ont parfois perdu leurs économies et leur maison…. Le peuple suisse a dû, lui aussi, payer pour sauver certaines banques privées qui s’étaient mises en danger. Mais la seule vraie démocratie au monde a décidé de revenir à de sains principes.
Certes, on a tenté d’organiser le secteur bancaire pour prévenir le retour d’un tel fléau ; ce sont les accords ”Bâle III” (2010). Notamment en (ré-) introduisant des ratios de liquidité (le LCR ou Liquidity Coverage Ratio et le NSFR ou Net Stable Funding Ratio. Mais il demeure que les taux de couverture par les fonds propres ou empruntés sont très faibles (de 2 à 10 %) . Et les accords Bâle III ont ignoré le hors bilan qui est la cause du krach de 2008…
Depuis 1973, avec la suppression de l’équivalence garantie or/dollar (qui était la monnaie mondiale de référence), le système monétaire et bancaire est instable et injuste : il autorise des fortunes spéculatives indécentes des inutiles (Soros) et provoque la ruine odieuse des plus méritants et utiles. Le Serpent monétaire européen (Bâle I) n’y a pas résisté.
A l’heure actuelle selon le FMI (2017) la dette du secteur non-financier de l’économie mondiale a atteint un montant record de 152.000 milliards de dollars, soit plus du double (2,25) de la richesse mondiale… Certains auteurs chiffrent le total de toutes les dettes souveraines et privées à 1 million de milliards de dollars… Cette bulle est nécessairement vouée à éclater.
3 De l’Initiative Monnaie Pleine (http://www.initiative-monnaie-pleine.ch/)
Ce projet suisse a un triple mérite :
– il est démocratique puisque le projet de loi a été proposé à la votation par une démarche citoyenne (référendum d’initiative populaire)
– il est constitutionnel puisque le référendum propose d’inscrire le contrôle de l’émission monétaire par l’État dans la Constitution !
– il est économiquement sain et imparable puisque empêchant à jamais la constitution de bulles par un strict contrôle de l’émission monétaire à proportion du réel économique et éventuellement des besoins (relance).
Voici ce qu’en disent les promoteurs de cette votation :
“1. Seule la Banque nationale créera la monnaie scripturale.
2. Les banques ne pourront plus créer de la monnaie scripturale ; elles ne prêteront que de l’argent existant mis à leur disposition par les épargnants, les autres banques ou la Banque nationale.
3. La Banque nationale pourra mettre en circulation la nouvelle monnaie aussi par des versements sans dette à la Confédération, aux cantons et aux citoyens.”
La monnaie n’est ni de droite ni de gauche. Elle devrait être un bien commun au service de l’intérêt général. Toutefois il n’en est plus ainsi : en offrant des crédits avec de l’argent qu’elles n’ont pas les banques privées émettent de la monnaie scripturale (purement artefactuelle) qui n’existe pas. De la fausse monnaie comme l’avait démontré notre grand Prix Nobel, Maurice Allais.
Un colloque est organisé à l’Assemblée nationale française :
Demain : quelle monnaie pour quel monde ?
Conférence débat. Assemblée nationale, 24 mai 2018 – 14h/18h-126, rue de l’Université, Paris 7e Salle 6217
IMPORTANT : Inscription obligatoire avant le 17 mai par mail à : [email protected]
Préciser nom, prénom, date et lieu de naissance. Une pièce d’identité sera requise à l’entrée. Se présenter 30 minutes avant 14h
Problématique
La monnaie est-elle, peut-elle, ou doit-elle être un simple moyen neutre d’échange et de réserve ou, aussi, un moyen de gouvernance économique, de prospérité, voire un objet de spéculation ?
Dollar, convertibilité-or, crise de l’Euro, explosion de la dette mondiale, spéculations sur le marché monétaire, crise des subprimes, bitcoin, émission monétaire par les banques privées, relance keynésienne, 100 % Money… Le référendum constitutionnel suisse d’initiative populaire du 10 juin 2018 sur la ”monnaie pleine” réactive un débat de fond séculaire : Qui décide et qui contrôle l’émission monétaire ? Une occasion de reprendre ce débat crucial mais souvent oublié.
Henri Temple