Jean-Pierre Lledo et Jean-Jacques Jordi, les anti-Stora
À propos du rapport Stora, Le CNN19M1962 considère qu’on ne peut laisser des approximations enterrer notre Histoire, même au prix de la paix civile.
La mission Stora a au moins une vertu : c’est de montrer notre envie, non de « réconciliation » mais de vérité historique que l’on ne retrouve pas en Algérie. En effet, il aurait fallu que deux missions se rejoignent afin de confronter les points de vue, et montrer que pour qu’il y ait discussion, il faut être deux. Nous attendons à ce jour, le rapport algérien…
Le « rapport Stora » mériterait d’être commenté point par point, par des historiens, afin d’en relever les erreurs, les faiblesses, et les omissions… Et je ne doute pas qu’ils le feront, avant que le président de la République n’ait eu le caprice d’y puiser, ci ou là, tout ce qui servirait sa politique de mise en équation de notre passé, avec l’acceptabilité de nos banlieues. Or, l’Histoire est l’Histoire. Éluder des faits est non seulement malhonnête, mais aussi irrespectueux envers les acteurs de notre Histoire.
Le premier problème est déjà dans le postulat de départ : la France a envahi et colonisé l’Algérie. Cela suppose que la France a dépossédé et spolié des Algériens qui vivaient en paix, dans leur beau pays, en profitant des rentes d’un pétrole qu’on leur a volé. Or, la France a débarqué dans une terre sous administration turque. Une terre qui ne formait qu’une bande peu profonde le long du littoral. La France s’est battue contre les soldats turcs, contre la marine turque et les pirates… Aussi, la réclamation du Baba Merzoug, le canon La Consulaire, par l’Algérie, est un non-sens qui reviendrait à rendre à l’Algérie ce qui a été pris aux Turcs.
Doit-on faire taire le fait que l’intervention de la France a été demandée par de nombreux pays, y compris les États-Unis, qui n’en pouvaient plus de se faire pirater et de voir leurs hommes partir en esclavage et leurs femmes remplir les harems – crime contre l’Humanité ? – ? Combien ont été libérés des geôles d’Alger et d’ailleurs ? Et, bien sûr, si on doit parler de pays, d’invasion, etc, : laissons aux Algériens le soin de présenter une carte d’avant 1830, afin de savoir de quoi nous parlons. Cette carte existe à Ankara, pas à Alger…
Suite au rapport Stora, Jean-Pierre Lledo et Jean-Jacques Jordi font apparaître leur point de vue similaire : ne pas confondre Mémoire et Histoire. Macron a missionné Stora par le fait du Prince. Combien a été payé Stora pour pondre ce genre de travail ?
Ensuite, arguments à l’ appui, Lledo est critique sur le fond. Sa critique s’articule autour de deux grands axes fort semblables à ceux développés par Jean-Jacques Jordi.
http://etudescoloniales.canalblog.com/archives/2021/02/01/38792181.html
En premier lieu, il pointe du doigt le déséquilibre de ce rapport. Et cite des exemples à l’appui de ce déséquilibre. Pourquoi l’association du Cercle algérianiste, pourtant la plus importante, n’a pas été consultée ? Pourquoi certains historiens manquent à l’appel, comme Jordi, Vermeren, Monneret, Vétillard ?… Pourquoi ne parler des disparus que du côté FLN et édulcorer les disparus de l’autre ? Pourquoi, lors de massacres ou d’attentats aveugles, ne jamais citer le nombre de juifs et de chrétiens et de musulmans tués avant la répression par l’armée française ?… Ces omissions, ce « deux poids, deux mesures », guère étonnantes de la part d’un ex-lamberto-trotskiste, font qu’une expression utilisée par Stora se retourne contre lui, militant engagé à l’extrême gauche : une mémoire hémiplégique. Alors que, dans toute bonne guerre « civile », il y a plusieurs mémoires antagonistes. Cela ne fait que renforcer l’amertume de groupes de Mémoires. Quid des harkis là-dedans, réduits à la portion congrue ? L’historien originaire de Constantine se contente du bout des lèvres de demander leur libre circulation…
En second lieu, il y a une dimension politique. La légitimité du pouvoir algérien ne tient que par la diabolisation extrême, par celui-ci, du colonialisme français. Il oublie ainsi, dans un roman national formaté depuis 1962, que l’Algérie n’existait pas avant 1830, et que ce territoire à travers les siècles a été colonisé de nombreuses fois par les Romains, les Arabes, les Espagnols, les Ottomans qui, eux, furent très violents. Ce contexte n’est absolument pas rappelé par Stora. En plus, Abdelkader, présenté comme un grand humaniste, a aussi du sang sur les mains.
Dans ce territoire régnait la charia avec la dhimmitude, sans oublier l’esclavage des Noirs, certains réduits en eunuques. Et celui des chrétiens, qui a perduré jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Stora n’en parle pas. N’étaient-ils pas des crimes contre l’humanité ? Tout comme il ne parle pas de la société multi-ethnique qui a existé avant 1962, malgré bien des défauts. Bref, l’ultranationalisme des caciques du FLN depuis 1962 ne pousse qu’à l’affrontement entre mémoires. Dernier élément : J.-P. Lledo insiste sur le fait que Macron a tout mélangé pour son crime contre l’humanité. Comment parler de génocide alors qu’on compte, en 1962, 9 millions de musulmans ?
Le vœu de Lledo serait qu’une commission d’historiens des deux rives s’interrogent sereinement sur le sujet. Sauf que, du côté du pouvoir dictatorial d’Alger, qui veille au grain, impossible d’avoir des recherches historiques objectives. Et, comme le fait remarquer J.-P. Lledo, on attendra longtemps avant que les archives algériennes ne soient ouvertes. On a la désagréable impression que ce rapport est franco-français et très orienté dans un sens. Comme l’ont écrit J.-J. Jordi et Guy Pervillé, par exemple, le choix de Gisèle Halimi est a minima une demande malheureuse et a maxima une provocation.
Le CNN19M1962 propose d’y faire entrer quelqu’un qui, en temps de guerre, a été victime du FLN, le Bachaga Boualem, vice-président de notre Assemblée nationale de 1958 à 1962 qui, lui, a servi la France et payé très cher le prix de cette fidélité.
En définitive, J.-P. Lledo et J.-J. Jordi se rejoignent sur ce rapport : il y a des Mémoriens et des Historiens. Stora fait partie de la première catégorie, déformée par son tropisme anti-colonial primaire. Beaucoup d’autres font partie de la seconde : bien sûr, ils ne sont pas assez médiatisés.
Hervé Cuesta