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L’Allemagne peut-elle sauver l’Europe ?

L’Allemagne vit la fin d’une longue période de primauté en Europe et l’épuisement de sa stabilité politique.

La première, débutée avec Khol et la réunification du pays, se brise actuellement (9 avril 2020) dans la bataille institutionnelle sans précédent, que Mme Merkel, Marc Rutte et Kurtz conduisent au sein de l’Union, pour emprisonner le tournant politique que nous vivons, une pandémie globale et un tsunami économique et social plus grave de la “Grande Dépression” de 1929, dans le cadre des traités communautaires du passé, mettant à risque l’avenir de l’Europe et celui de L’Union.

La fin d’une grande illusion

La deuxième, qui a eu pour piliers, depuis 1949, la Constitution et la démocratie allemandes et pour garant le consensus des opinions, exprimé par les deux grands partis populaires, la CDU et le SPD, se décompose peu à peu, par le rejet des élites, les mouvements souverainistes et populistes et la montée des partis de droite, que l’insécurité grandissante, y compris sanitaire, aggrave partout.

L’Allemagne découvre que, dans une scène désormais planétaire, elle ne peut faire toute seule et qu’elle ne peut se passer des autres, à l’Est, comme à l’Ouest, au Sud, comme au Nord. Elle n’a pas la taille de puissance suffisante.

Du point de vue communautaire, l’Union européenne, qui a été sa couronne de pouvoir et d’influence, se fissure en quatre ensembles continentaux, les pays du Sud (Italie, Espagne, Grèce, Méditerranée et Balkans), le groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, Tchéquie et Slovaquie), les pays nordiques (Pays-Bas, Danemark, Pays Baltes, Suède et Finlande) et à l’ouest, la France médiane, la Belgique et le Land der Mitte. Quatre ensembles, peu intégrés sur les politiques essentielles et aux intérêts propres, sans direction politique déterminante ou aussi influente que le laisserait penser leur poids économique, démographique et géopolitique et, de surcroît, sans une référence stratégique et hégémonique prééminente, remise à la puissance extérieure dominante.

Une inconnue de fond, concernant la fonction de “balancier européen”, a été jouée par la France, pays nucléaire et, avec celle-ci par la Grande Bretagne, se conjuguant, dans les moments de crise existentielle, à la “relation spéciale anglo-américaine”, désormais extérieure et de moins en moins crédible.

La difficile distinction entre hégémonie effective et direction politique du continent, ou, autrement dit, entre la France (fragilisée) et l’Allemagne (portant la charge, contestée, de l’Union et le relais, effectif, avec les pays nordiques), n’est plus le noyau franco-allemand, mais une figure géopolitique “sui generis”, peu comparable à l’Union d’aujourd’hui. Cette morphologie originale, tri ou penta-polaire, aurait à définir une posture commune, eurasienne et mondiale, vis à vis de la  la Russie (partenaire ou adversaire).

Une définition de “grande politique”, qui nous reporte en arrière de 70 ans, à la Realpolitik et à la politique de puissance de 1939, dans un contexte où le centre de gravité de la planète est désormais l’Asie-Pacifique.

L’indétermination géopolitique de l’Allemagne est ainsi indissociable de l’inconnue française, stratégiquement ambiguë.

Or la fissuration du cadre européen et le blocage et réversibilité possibles du processus d’intégration engendrent une préoccupation générale et une perte de confiance et d’identité de l’Allemagne et de l’Europe, en ce moment de débat de fond sur les obligations économiques des traités et sur l’appartenance ultime de certains pays à la zone euro et à l’Union européenne.

L’ultimatum de solidarité de l’Italie au bloc nordique sur les euro-bonds s’inscrit dans la perspective d’une désagrégation ultérieure  de l’Union.

Cependant, toutes les ruptures viennent du sentiment et du calcul et donc de la légitimité politique.
C’est la légitimité populaire, qui a pu assurer, en Allemagne, le respect de la politique européenne et celle de sa politique étrangère et c’est la rupture de ces équilibres internes qui remettent en cause, aujourd’hui, sa politique européenne et les relations trans-atlantiques ; autrement dit, l’hégémonie du modèle allemand au sein de l’UE et la confiance dans la protection des États-Unis, via l’Otan.

Or, si l’avenir des partis politiques n’est plus assuré en Allemagne, par le “patriotisme constitutionnel” (Habermas) à la loi fondamentale et par le régime démocratique, caractérisé par la séparation des pouvoirs et un système bicaméral (Bundesrat et Bundestag), tout le système de gouvernance est ébranlé.

C’est ce qui s’annonce, suite à la percée aux élections régionales de Thuringe, de l’Alternative für Deutschland, qui a obtenu en septembre 2019 le 22,9 % des suffrages et a fait sauter la digue du “cordon sanitaire” dressé autour d’elle, lors de l’élection du Président du Land, obtenue grâce à un accord entre la CSU et AfD, remis en cause plus tard.

Puisque ni la gauche (SPD ou Die Linke), ni la droite (CDU ou CSU), ne parviennent plus à atteindre ou à dépasser les 50 %, toute “grande coalition” devient impraticable et les solutions de remplacement rendent nécessaires des gouvernements minoritaires et donc aléatoires d’au moins trois partis, tant au niveau fédéral qu’au niveau des Länder.

Dans ce contexte, la poussée électorale des forces souverainistes compromet le jeu des coalitions classiques, paralyse le fonctionnement des parlements régionaux et nationaux et aggrave la crise du leadership politique de Merkel, en Allemagne et en Europe.

Celle-ci demeure, historiquement et politiquement, la principale responsable de la montée des droites, de l’absence d’une politique européenne d’immigration et de l’invasion de l’Europe, menacée par Erdogan.
Son attentisme généralisé et son déni des transformations mondiales, aggravés par son manque de vision, font de Mme Merkel le problème et non la solution de l’Allemagne et de l’Europe.

La montée électorale  de l’Alternative für Deutschland (AfD)

La montée électorale de l’AfD, née en avril 2013, fait-elle vaciller le système politique allemand ? Représente-t-elle une bombe sociale ou annonce-t-elle un chaos à venir ? Une des clés du succès de l’AfD a été de présenter l’union constitutionnelle de la RFA et de la RDA comme un échec sur toute la ligne et comme une humiliation des Allemands de l’Est, les Ossis, tenus au rang de citoyens colonisés ou de deuxième classe. Suite à l’amplification de la criminalité, à la non-intégration des immigrés et à l’islamisation croissante de la société, l’AfD a mis l’accent sur la manipulation des classes dirigeantes de la CDU-CSU, ainsi que du SPD, de Die Linke et de la gauche en général, vis-à-vis du menu peuple. Or, la désaffection du peuple n’a été rien d’autre  qu’une usure et un affaiblissement de la démocratie parlementaire.

Merkel et l’asservissement des citoyens

En ce sens, comprendre un monde qui se disloque, derrière l’apparente stabilité des coalitions, aurait comporté, chez les élites dirigeantes, le constat que le peuple des Allemands de souche est devenu indifférent à la politique et que la masse des immigrants est en dehors et contre la loi et en dehors et contre la société. Ceci prouve l’impossibilité, dans une société multiculturelle, de gouverner et de vivre autrement que par la violence ou par la force.

Dans une situation où les chefs politiques perdent leur légitimité, les meneurs et intrigants étrangers, et parmi les chefs d’États, le plus outrancier (Erdogan), profitent des conflits internes, en exerçant des chantages par l’envoi massif de nouveaux apatrides, prêts à envahir le continent, sans que l’UE ne réagisse.

L’Union européenne a toujours vu les nations et les frontières comme un héritage du passé et les contraintes à surmonter comme des avancées d’un progressisme planétaire et d’une idéologie diversitaire. Grâce à Mme Merkel, l’Allemagne en est la première victime en Europe, à côté de la France de Macron, empreinte d’idéologie post-coloniale. L’asservissement aux tyrannies globalistes et la corruption des régimes démocratiques viennent de l’homme démocratique lui-même, si l’on interprète correctement Platon, lorsque, imbu de sa propre rhétorique, il ne connaît que les passions de son groupe (CDU,CSU,SPD/ LAREM…). Ce dévoiement entraîne l’asservissement des citoyens à des maîtres aveugles et à des minorités despotiques et l’intrusion progressive de la démagogie dans la démocratie, interdisant ainsi toute révolte intellectuelle et morale.

Les meilleurs analystes de l’Allemagne et de la France s’emploient à étudier aujourd’hui la corruption de l’esprit public, la fin des démocraties et l’émergence possible des régimes tyranniques.

La France et l’Allemagne sont éprises, à des degrés divers, par le même paradoxe, celui d’être serrées par l’étreinte implacable des États souverainistes et des États globalistes, et en termes de gouvernance, entre un populisme césariste (France) et un totalitarisme soft (Allemagne).

De la pensée partitocratique à la pensée géopolitique et néo-nationale

La faible croyance dans la démocratie est due, en effet, à l’égarement des cultures nationales dans le globalisme planétaire, et l’Allemagne vit ainsi à l’heure d’un totalitarisme sans violence et d’une tyrannie sans machiavélisme. Autrement dit dans une forme d’exercice du pouvoir sans adoption “de la force et de la ruse” comme contraintes, qui sont consubstantielles à l’action du Prince.

Ainsi, dans le cadre d’une Europe qui se disloque, la notion qui est associée à l’idée de “nation”, comme retour à une personnalité égarée et aux passions populaires de l’âme collective, est la notion de “révolution néo-conservatrice”, héritière reviviscente d’une histoire ancienne.

Or, en Allemagne, la rénovation de la pensée partitocratique est une rénovation culturelle des classes moyennes, qui veulent un pays ethniquement pur et homogène, confiant en lui- même et en son avenir. Dans ce modèle idéal, les petits aspirent de nouveau à être tenus pour grands et  à réaliser ce rêve, au sein d’une Allemagne plus “libre” et finalement  souveraine, exactement comme les Français de la “France d’antan”.

La satisfaction morale de cette nouvelle liberté ne repose plus sur l’Europe, mais sur l’idée de “mittellage” ou d’épicentre continental.
Concrètement, la rénovation allemande a besoin d’une vision et d’une ambition, mais elle nécessite  surtout une culture, qui représente les avancées et la totalité du passé du “mittellage”.

Irnerio Seminatore

Bruxelles le 9 Avril 2020




Quel sera le nouveau visage de l’Europe post-Covid ?


Comme la peste d’Athènes (429 av. J.-C.), ou celle de l’Europe du Moyen Âge (1348) et du début de l’âge moderne (1720), ou encore la “grippe espagnole” de 1918, la pandémie du “Covid”, si quotidienne, fait de ce fléau dévorant un compagnon familier, silencieux et inconnu, qui suscite angoisse et exclusion. Ceux qui déclarent qu’un état de guerre est en cours (Macron, Guterres, le pape François), feignent oublier que la guerre présuppose un ennemi désigné, un état d’hostilité, un affrontement sanglant et des théâtres de combat furieux, où règnent les derniers tourments de la vie, car la guerre est un “acte de violence, qui vise à soumettre la volonté de l’autre” (Clausewitz).

La peur, le pouvoir et le statu quo

Or cette pandémie démontre qu’il s’agit là d’une fausse rhétorique et que nous sommes en présence d’une “surprise stratégique”. Celle-ci n’est pas à résoudre par des moyens militaires et dont les éléments-clés sont d’ordre politique et civil et se caractérisent par l’ampleur, l’allure, l’impréparation politique, l’état d’urgence, la remise en cause de la stabilité et de l’ordre public, ainsi que l’extrême vulnérabilité du corps politique.

En effet, nos avenues sont désertes et nos ennemis absents et une coalition de forces et d’intérêts, invisibles, prétendent aider, intervenir et gouverner, liés à double fil par le cynisme, l’empathie et la colère.

Ce qui occupe les esprits de nos jours, ce sont les répercussions profondes et durables de la souffrance, de l’angoisse et de l’inconnu.

Ce qui règne en souveraine est la peur, le premier sentiment de l’homme qui est à l’origine, selon Thomas Hobbes, de la religion et de l’État.

La peur, qui se recèle dans l’âme du vivant, comme le fantasme anticipateur de la mort ne change en rien le psychisme de l’homme, ni l’organisation de la société.

Au contraire, elle renforce le pouvoir des Princes, par l’intimidation, la soumission et le désespoir, un cumul de passions bien humaines, suivies de vagues de malheurs sociaux, la faim, l’errance, le vagabondage, la fuite, le sentiment de faillite et la révolte, libératoire, colérique et inhumaine.

Ce qui se recèle dans l’âme de l’homme qui a peur, est une ferveur religieuse soudaine, méconnue, qui découvre le divin et l’implore.

Ce qui, dans le sous-sol du monde rationnel, inflige une douleur moderne, de nature obsessionnelle, est l’impact économique de la situation, la raréfaction des biens et des activités, la stagnation des salaires, le chômage de masse, l’insécurité dans les villes, la révolte des affamés et des démunis, la crise d’autorité des pouvoirs et l’apparition de révoltés et d’émeutiers, perçus comme justiciers et vengeurs.

Révoltes qui traversent la société selon des clivages ethniques et religieux, d’autant plus intenses et profonds que la société est communautaire et tribale, bref, multiculturelle et pré-moderne.

Or la misère divise et l’autorité unit et protège, car la peur grandit le pouvoir et lui accorde générosité, grandeur et piété, la somme des sentiments humains les plus élevés, soutenus par la force physique.

La pandémie engendre effondrement, politique et moral, mais elle n’affaiblit pas l’esprit de lucre, elle le suscite et lui donne une justification nouvelle.

Par ailleurs, les pandémies légitiment le pouvoir et le renforcent, car le besoin de protection est une constante psycho-politique dans l’Histoire.

L’ampleur de la pandémie est aujourd’hui aussi profonde et cache une vulnérabilité stratégique face à des “compétitors”, tentés par des armes biologiques.

Le confinement de masse, l’effondrement des économies et les politiques budgétaires des principaux pays européens

Le confinement de masse, exigé par les autorités publiques, engendre un effondrement des économies nationales en Europe.

La protection sanitaire a un coût, l’arrêt de la consommation et celui de la production.

La dissolution du corps politique d’une société montre, dans les situation de crise aiguës, les limites d’un modèle économique et social, qui ouvre sur un scénario catastrophe, celui de l’après-pandémie.

L’imprévisibilité générale sur le vieux continent suscite deux réactions conjointes, l’absence de coordination commune sur les politiques sanitaires et la divergence sur le mode de financement des politiques budgétaires des principaux pays.

En France, le désarroi sur les conflits d’intérêts a concerné le choix des politique sanitaires et a opposé M. Lévy, ancien directeur de l’Inserm et Agnès Buzyn, ancienne ministre de la Santé, au professeur Raoult, éminent virologue de Marseille et pourtant dénigré, ainsi qu’une mobilisation des médias mainstream, pour encourager une réaction, tournée vers la résilience, la coopération et la solidarité.

Au même temps, les effets d’annonce des différents gouvernements, concernant les promesses de soutien budgétaire de la part des principaux pays, ont impliqué l’Union européenne et suscité divisions et dissonances graves, entre Italie, Pays-Bas et Allemagne, sur l’utilisation des instruments communs (aides d’État ou euro-bonds)

La couverture des difficultés exceptionnelles, en termes de coûts sanitaires et de relance de grandes infrastructures, a été l’occasion d’un contraste de lecture et de vision entre le Premier ministre italien Giuseppe Conte, la chancelière allemande Angela Merkel et le Premier ministre hollandais, Marc Rutte, aboutissant à  une interprétation divergente des traités européens, prévus en leurs temps pour des situations de gouvernance courante et non exceptionnelle. Suite à cette entorse de la solidarité, une question de fond s’affirme et peut se formuler ainsi :

L’Europe existe-t-elle encore ?

Veut-elle encore s’aider soi-même, ou s’imaginer, à tort, d’aider ses États-membres, sans en avoir la légitimité institutionnelle ?

L’UE et la BCE, Orban et von der Leyen

La rapidité de décision et le caractère massif des interventions étatiques dans le monde montrent aux opinions l’efficacité et la réactivité des différents pays et leurs souci de ne pas rater la reprise, en l’encourageant sans répit. Au sein de l’Union européenne, par contre, une loi spéciale sur “l’état de danger” du pays, en vigueur depuis le le 11 mars, puis votée et ratifiée  par le Parlement hongrois le 30 mars, permet désormais au Premier ministre Viktor Orban de gouverner par ordonnance et pour une durée indéterminée.

Le jour suivant, Ursula von der Leyen, aussi absente et tardive dans l’émergence sanitaire de l’Union, a rappelé à l’ordre Budapest et mis en garde les 27 sur les mesures urgentes décrétées en Hongrie et sur les dérives autoritaires supposées de la part de Viktor Orban, ouvrant la voie à une dictature présumée.

Ce qui dicte la priorité idéologique d’Ursula von der Leyen est moins la santé publique ou la sortie de la pandémie que la surveillance intrusive de la Commission sur un État-membre dissident et le respect d’un statu quo de vide stratégique existant et pré-existant

En effet, ce qui est en cause est l’absence d’homogénéité entre le bloc germanique du Nord et les pions nationaux des deux échiquiers, du Sud et de l’Est, ainsi que la nature de l’obéissance exigée par Bruxelles.

En termes de promesses de soutiens à l’économie, voici quelques rappels en chiffres, concernant :

– les États-Unis, 2 000 milliards de dollars + 1 000 dollars par citoyen et 500 pour chaque enfant

– Allemagne, 1 100 milliards d’euros

– France, 300 milliards d’euros

– Italie, 50 milliards d’euros

– BCE, émission d’eurobonds pour 750 milliards (quantitative easing – plan d’urgence de rachat de la dette publique et privée)

– les autres pays de l’UE, selon des quantités décroissantes.

Les besoins ne seront pas comblés par ces mesures, mais les mesures annoncées sont à interpréter comme des signaux d’inversion des tendances.

Le confinement et la peur ouvrent en France plusieurs fronts de combats, familiaux et civiques. Si les premiers concernent les psychopathologies individuelles (mésententes conjugales, divorces), les secondes, qui touchent au statut des banlieues, rouvrent la page, jamais fermée, de la sécurité collective ainsi que le destin unitaire ou sécessionniste de la nation.

En effet, ici la guerre n’est pas que microbiologique, mais identitaire, constitutionnelle et raciale et les accrochages se multiplient avec la police, dans “plusieurs poches de résistance”. Dans ces zones explosives (Seine-Saint-Denis et autres), le relâchement par la Chancellerie de caïds, tenus jusqu’ici en prison, fait reprendre, dans ce vieux man’s land, la rançon des stups et de l’économie illicite, ainsi que la gestion chaotique de l’ordre.

Le Covid, incubateur stratégique de révoltes éclatées et de conflits civils centrifuges

Deux indicateurs institutionnels sont à considérer comme exemplaires et décisifs du bras de fer stratégique qui se joue actuellement en Europe :

– La divergence de lecture des traités européens, conçus pour des conjonctures de gouvernance ordinaire entre l’Italie d’une part et l’Allemagne et les Pays-Bas de l’autre sur la manière de subvenir aux coûts sanitaires et de soutenir l’économie en vue de l’après- Coronavirus. Vis-à-vis de la rigidité d’interprétation des traités, l’Italie soutient  la thèse de réécrire Lisbonne et Maastricht, afin de penser l’exception (ou la souveraineté) dans l’exercice de la gouvernance des pays-membres. Un pas, très contrasté, vers l’indépendance politique de l’Union, revendiquée par Macron.

– Le gouvernement par ordonnance et à durée indéterminée, voté par le Parlement hongrois à faveur d’Orban, qui représente l’hérésie de principe et donc la dérive absolue des “valeurs démocratiques” et de l’État de droit, surveillée rigoureusement par la Commission et par la Cour européenne de justice, chargée de soumettre la politique au justicialisme des magistrats. Ce contrôle a soulevé immédiatement une mise en garde de la part de Mme von der Leyen à Budapest, comme la déviance absolue, en situation d’émergence, portant atteinte à l’unité de l’Union, dans cette phase, très délicate, du post-Brexit et d’un grand potentiel de révolte populaire.

Ce double confinement de deux États-membres, par le bloc intransigeant des pays nordiques, sous direction allemande, fragmente politiquement l’Union européenne et freine ou retarde toute tendance à l’autonomisation et à la liberté de conduite des pays-membres, corsetés par le statu quo, le vide stratégique de l’Union et l’islamisation mondialiste. L’Union agonisante vit par ailleurs, politiquement, une conjoncture internationale indécise et d’hésitation hégémonique, interne et internationale.

En effet, la pandémie en cours affecte à des degrés divers les pays européens et les pays-tiers asiatiques et les transforme en “acteurs-proie” de la scène internationale, dépourvus de capacité de réactivité sur le plan stratégique, productif et logistique, ce qui se répercute sur les alliances militaires et sur leur opérationnalité.

C’est à ce titre que le Covid  devient un incubateur stratégique de l’ennemi interne et du conflit de demain, tant à l’échelle européenne qu’au niveau international et que l’Europe, pour renaître et pour se refonder, ne peut compter que sur ses peuples, devenus, comme toujours, “l’ultima ratio regum” (le dernier argument des rois).

L’Europe post-Covid et son nouveau visage

Après la saignée du Covid asiatique, le vieux continent se réveillera avec un nouveau visage, post-pandémique et ses traits auront profondément changé, ainsi que son esprit, car reprendra de la couleur, par instinct de conservation, la diversité ancestrale des caractères nationaux, à peine modifiés.

L’île britannique se profilera avec une hardiesse gaëlo-saxe et slave, intrépide, la France, basanée par un teint afro-maghrébin, insatisfaite et revendicative, l’Espagne, plus andalouse et plus mauresque, la péninsule italique, afro-méditerranéenne, pendant que la forêt teutonique raillera un langage syro-turque féroce et le Danemark et la Suède pervertiront leur franchise par l’adoption de l’équivoque et du mensonge coraniques, asiatiques et orientaux.

Seules la Hongrie finnique et la Pologne slavo-romaine feront barrage à Babylone montante et à Gomorrhe cupide.

L’esprit de Sodome, béni par un souverain pontife satanique régnera sur le vieux continent servile et l’univers orthodoxe et slave s’opposera à la décadence de l’Occident, en troisième Rome,  et représentera le salut de la chrétienté, à nouveau croisée et vengeresse.

Un seul grand abus persistera, idéologique et démographique, l’abus égalitariste et mondialiste de la gauche radicale, l’arme rationnelle et trompeuse du génocide européen et de la fin du continent, celle de la cage globale, où la démocratie et la loi ont été mises dans les mains ensanglantées des hordes révolutionnaires des tiers-États continentaux, puis coloniaux, depuis 1789.

L’Égalité, dont se sont servis hier les laïcards républicains pour détruire la France séculaire et aujourd’hui les élites globalistes pour confiner, soumettre, traiter et uniformiser le mal.

Ainsi, le statut d’égalité formelle accordé, sans conquêtes civiles et politiques, aux revendications  insatiables de vagues de migrations indiscriminées, pervertira “l’european way of live”, et le transformera, par la stratégie du terrorisme djihadiste, en dhimmitude et en welfarisme revendicatif permanents.

Le  fait démocratique et la religion de la tolérance seront ainsi dénaturés, par l’instauration d’un autoritarisme factice et d’une police de la pensée, à la contrainte sournoise et à la haine farouche de la civilisation européenne et française.

L’Europe du bloc germanique du Nord ne sera point sauvé par l’esprit comptable d’une technostructure sans âme, mais gardera, dans l’incubateur stratégique des inégalités et du métissage, un potentiel de révolte populaire indigène, différé et endormi, réprimé par les élites globalistes et atlantistes et pour finir, repoussé vers l’Est, pour provoquer la Russie de Poutine et ressortir des mythes archaïques, les images horrifiantes de Gog et de Magog.

À cette perspective d’Apocalypse, saint Jean avait déjà rassuré les croyants, en ravivant l’espoir, par son verbe biblique : “Le temps est proche!”

Irnerio Seminatore

Bruxelles  5 avril 2020




L’UE, le Coronavirus et les sentences prophétiques et populaires

La dissolution des ordres politiques débute toujours par des longues crises morales.

C’est le cas de l’Union européenne qui, enfreignant les obligations de solidarité souscrites à Rome, Maastricht et Lisbonne, a assisté avec cynisme et sans bouger à la pandémie italienne puis espagnole.

Lorsqu’elle a bronché, depuis Francfort (Mme Lagarde), c’est pour donner de l’air au feu de la spéculation des marchés contre l’Italie.

Le premier principe de toute communauté humaine, celui de l’aide ou du secours, a été bafoué.

L’Union européenne a permis à des pays tiers, la Chine et la Russie, d’offrir aux peuples européens ce qu’elle a été incapable de donner : le secours sanitaire en hommes et en matériel.

Elle a ainsi perdu la bataille des cœurs !

Quelle guerre pourra-t-elle gagner, ce conglomérat sans âme, qui ouvre ses portes à un faux humanitarisme et met à charge des peuples européens, désormais en révolte, toute la misère du monde (Michel Rocard) ?

Quelle protection aux mourants, que de s’attendre non pas à une sépulture, selon les lois anciennes des cimetières aux croix bénies, mais une mort anonyme et sans sépulture, bref une fin sans pleurs ni familles, vers des  fours crématoires de retour ?

Quel Hitler ou Staline aurait imaginé de plus eugénique que de se laver les mains comme Ursula von Leyen, la nouvelle Ponce Pilate, à décharge symbolique de ses crimes d’insouciance et de prophylaxie morale?

Merci à l’Union européenne d’avoir bien protégé ses citoyens !

Merci d’avoir enfreint une illusion tenace, celle de sa supériorité morale !

Merci d’avoir sanctifié mammona (l’esprit paulinien de l’homme, l’argent, le “pacte de stabilité”, désormais biblique), contre le fils prodigue qui tend ses mains vers la générosité du Père (l’esprit paulinien de Dieu, désormais symbolique et deux fois tué, par l’absence de croyances et par la révolte des “femen”) !

En haut et devant nous se profilent le tribunal du monde et le grand jugement, celui de l’annonce des grands temps !

Sur terre, le temps de la révolte et du sang !

Où sera-t-elle précipitée, l’Union européenne ?

Irnerio Seminatore




Sur les répercussions stratégiques et militaires de la nouvelle route de la soie


Pour mieux inscrire dans la géographie eurasienne, l’ambiguïté de la relation de rivalité-partenariat existante entre l’Empire du milieu et le reste du monde,sous la forme redoutable  d’une politique de coopération multilatérale, Xi Jinping a promus, en 2013 à Astana, la construction d’un ensemble de liaisons maritimes et de voies ferroviaires rappelant les anciennes “voies de la soie”,dans le but de rapprocher la Chine, l’Afrique et l’Europe, en traversant les pays d’Asie centrale
La mondialisation à la chinoise. Un “Cheval de Troye”?
Dans la perspective d’un ordre  global et à la recherche de formes d’ équilibre et de stabilité à caractère planétaire, la Chine, poursuivant une quête d’indépendance stratégique et d’autosuffisance énergétique étend sa présence et sa projection de puissance vers le Sud-Est du Pacifique, l’Océan Indien, le Golfe et l’Afrique, afin de contrer les goulots d’étranglement de Malacca et échapper aux conditionnements extérieures maritimes, sous contrôle américain.
Elle procède par les lignes internes, par la mise en place d’un corridor économique et par une route énergétique Chine-Pakistan-Golfe Persique, reliant le Port de Gwaidar, au pivot stratégique de Xinjiang.
Beijing adopte la gestion géopolitique des théâtres extérieures et resserre ses liens continentaux avec la Russie.
L’influence chinoise est concrétisée par la construction d’une gigantesque “Route de la Soie”, reliant le nord de la Chine à l’Europe, via le Tadjikistan, le Kazakhstan et le Turkménistan.
Rien de semblable,depuis l’époque pré-impériale (VIIème siècle avant J.C.), lorsque commença la construction de la Grande Muraille, achevée par Quin (en 221 avant J.C.), après avoir conquis un à un l’ensemble des Royaumes combattants et avoir unifié ainsi  la Chine.
La similitude n’est pas pour dérouter, car l’idée d’unifier l’Eurasie n’est pas lointaine de l’esprit de Xi-Jinping.
Or Obor rassemble à un véritable “Cheval de Troye” de l’âge moderne, destiné à faire basculer l’Histoire du côté de l’Orient Chinois.
Cette entreprise colossale pourrait avoir  pour principe un précepte de Maître Sun Tzu: dans la guerre,”trompe l’ennemi sur tes intentions!” .
Ainsi, en  détournant l’attention des  ennemis de  la conquête de l’Eurasie,le plan de bataille du nouveau Qin Shi Huang consisterait à vaincre sans combattre, “sans ensanglanter la lame!”.
La transition d’un système international  à l’autre ne peut comporter une dissertation sur la morale, ni sur la licéité de la guerre, juste ou inique, car la guerre est une réalité primordiale et il faut l’accepter comme un ensemble de confrontations , préparées de longue haleine.
La recherche de l’avantages par la ruse, ou par l’ordre apparent, ne peut cacher que nous combattons hors limites,et que  l’apparence de l’ordre , comme l’apparence du chaos est une conséquence de la force montante, dont dispose aujourd’hui l’Empire du milieu.
Obor, le nom des nouvelles routes de la soie, ne peut être autre chose que l’apparence de l’ordre, face au désordre  de l’Otan, dénoncé par Macron, à l’extrémité occidentale de l’Eurasie.
Un grand dessein non -militaire, destiné à faire capituler l’Occident .
Avec Obor, la Chine entend manoeuvrer,à l’intérieur des terres, rivalisant dans tous les domaines, y compris les plus sophistiqués ( les numériques), avec la puissance thalassocratique dominante dans l’Océan Pacifique et indo-pacifique.
Or ce projet de modernisation et de mondialisation, présente l’entreprise de la Chine comme  pacifique, une “Initiative” et pas comme une “grande stratégie”, pour éloigner toute allusion à la guerre.
En revanche cet immense vecteur d’hommes et de biens, constitue un incomparable outil de gains stratégiques et logistiques pour la mobilité des théâtres  et le transfert des forces.
Le transfert des forces du front de l”Est au front de l’Ouest par l’Allemagne, pendant la première et deuxième guerre mondiale a été rendu possible par un réseau ferroviaire moderne, à l’époque, et d’une redoutable efficacité militaire
En Eurasie les fronts sont multiples et il n’y a plus une seule ligne de front,à alimenter en permanence, d’où la valeur accrue du transport multimodal
La prépondérance de la terre sur la mer et du mythe révolutionnaire sur le commandement des forces
Ainsi,en départageant les deux grandes  stratégies de Chung Kuo’, terrestre et  maritime, Obor exprime la prépondérance décisionnelle, en cas de crise, de l’armée populaire sur le groupe dirigent, sur le comité centrale du parti et son  primat stratégique sur les  hauts commandements  des armées de terre, de mer et du ciel  , car elle influence  la liaison du peuple et des élites et rappelle l’épopée mythique de la “longue marche”.
En forte expansion par tonnage annuel ,la marine chinoise aura pour but le”dénis d’accès” des puissances de la mer vers le littoral et, plus loin vers le coeur des terres, le Hearthland de Halford MacKinder, pivot de l’Histoire, car l’empire du milieu, n’a pas vocation à passer d’une existence terrestre à une existence maritime et veut maintenir sur une base continentale la suprématie de Chung -Kuo’.
En réalité, “le jeu politique qui concerne les mers est déterminé par les États terriens.” (Julien Freund, in “Terre et Mer” Carl.Schmitt, postface)
Par son tracé, en volutes de dragons, la nouvelle route de la soie  concrétise la géopolitique des partenariats que dessinent les sept corridors de ce grand ” boa constrictor” et, par conséquent, la désignation des théâtres et les formes de combats coordonnés dans les trois continents, l’Asie, l’Afrique et l’Europe, afin qu’ils soient  soudés par un réseau de couloirs routiers et maritimes, serrés par une seule main.
Pour atteindre la victoire un État doit avoir la possibilité d’occuper tout ou partie du territoire ennemi et seul la Chine est à la hauteur de cet exploit.
Sur les “révolutions de l’espace”
L’initiative chinoise est elle en train  de susciter une nouvelle révolution de l’espace, comparable, pour ses répercussions, à celles qui l’ont précédées?
Après l’âge de la mondialisation(1980-2019),menée par la logique de l’échange,ainsi que  par l’idéologie des droits de l’homme et d’un monde sans frontières, la Chine inaugure-t-elle une nouvelle phase historique, celle de la “continentalisation” du monde autour de l’Eurasie et d’une autre stabilisation  du pouvoir et  de l’économie?
L”élargissement des horizons du monde, provoqués par l’effondrement du système soviétique, a provoqué une mutation culturelle profonde et donné à l’Asie centrale  une vision “déterritorialisée” de l’univers socio-politique, aux possibilités illimités.
Avec les nouvelles routes de la soie, une autre conception de l’espace s’affirme, par laquelle la terre éclipse la mer et la contourne.
C’est un tournant, dans lequel l’humanité se déplace et un autre rapport s’instaure, plus autonome,  dans la relation entre villes et campagnes du monde, marquant la dépendance de certaines régions d’un moteur plus souple de planification, sous forme de partenariat, de projets de co-développement et d’autres maillage d’affaires
Ce ne sont plus “les écumeurs des mers” (pirates, corsaires, boucaniers et flibustiers), à la recherche d’aventures individuelles et lucratives, mais de vagues de terriens , en quête d’une autre stabilisation et existence sociétale.
La nouvelle dimension  de l’espace exige une autre organisation des terres, à l’échelle planétaire, et cette réorganisation sera naturellement belliqueuse.
Or, si la mer avait rendu possible le rêve de l’Amiral Mahan, d’une unification  des peuples de la mer (Grande Bretagne et États-Unis en 1904), et si les Hollandais à la fin du XVIème siècle,devinrent les “transporteurs” des autres pays d’Europe, par les perfectionnements apportés à un nouveau type de navire, pourvu de vergues, de quoi seront ils porteurs les chinois, si non d’un autre type de transports et de parcours terrestres irradiants.
Pourra-t-on encore faire la distinction entre étrangers et locaux, lorsque des dizaines de millions d’hommes , embarqués sur les rails, feront de l’Asie, de l’Afrique et de l’Europe, un univers sinisé et une “République de Confucius”, par une  prise de terre, massive, pacifique et commerçante ?
Au rétrécissement de l’espace européen, fera suite une conscience globale plus éveillée. qui donnera naissance à une nouvelle race, métissée, biologiquement et politiquement, où se confondront blancs, mongols et noirs, gardes rouges fanatiques, ultra-démocrates honkongais, hommes des triades, geishas européennes et arabo-musulmanes, progressistes  trans-gendres, trafiquants  violents et militaires aguerris, pour se disputer le butin de la croissance et le droit à une parole plus libre.?
Le rôle de l’Europe, l’inversion stratégique et Yalta 2
Xi-Jinping veut reprendre l’hégémonie géopolitique du monde sur la base de la puissance terrestre et de la vieille tradition des Empires,par la voie des partenariats et non des alliances, qui seules permettent la constitution de blocs homogènes.
Or, le caractère terrestre a pris en Chine une signification culturelle et historique, à laquelle  les autres pays ne peuvent pas prétendre,celle de se percevoir au mileu du monde et de devoir régner “sur tout ce qui est sous le ciel”.
Rien de semblable depuis l’Empire de Rome, lorsque les voies impériales et consulaires conduisaient toutes à Rome, “Caput Mundi” et règne du pouvoir  et de la loi.
La maîtrise de la logistique impressionnante d’Obor, dont la clé appartient à la Chine, s’imposera aux forces combattantes et dictera les formes de l’affrontement de demain, autrement dit , les conditions de la paix et de la guerre entre”Orient et Occident”.
Quel sera-t-il, dans ce cas, unique dans l’histoire, le rôle de l’Europe, en ce choc de continents et de civilisations?
Dans une période de mutations profondes et globales, quel espace d’autonomie et de manœuvre, culturel et civilisationnel restera-t-il à l’Europe, par rapport à la puissance extérieure dominante, au sein d’une Eurasie sinisée et d’un Rimland américanisé?
La liberté d’action de l’Europe ne pourra  se définir que par une inversion stratégique à l’Est, autrement dit, par le passage de l’isolement continental de la Russie à celui de la Chine.
C’est pourquoi ce résultat ne peut être obtenu par l’Otan, qui demeure une alliance défensive euro-atlantique, visant la Russe. dans un contexte global d’affrontement.
Si Obor représente la logique d’une ouverture atlantique de la Chine, atteignant  l’Europe, en réponse à la stratégie adverse d’isolement , l’esquisse géopolitique de Macron, concernant les blocages de l’Otan et la reprise du dialogue avec la Russie, laisse présager une ouverture euro-russe du Hearthland et une manœuvre diplomatique de désarticulation du partenariat chino-russe.
A terme, un” Yalta 2 “, influant sur le système international du XXIème siècle, sous espèce d’une “Doctrine Monroe” de l’Eurasie, comme zone d’influence européenne, entre l’Europe,la Russie et la Chine, aura pour but de maintenir le pluralisme étatique et non seulement démocratique en Asie centrale, afin qu’il ne se constitue pas un bloc hostile aux intérêts européens.
Ce plan déterminera aussi  la liberté des Océans Pacifique et Indo-Pacifique et libérera l’accès à  l”extrême Orient, de la part de  l’Australie et du Cône sud des Amériques.
Une nouvelle alliance euro-russe, en défense des intérêts des “grands espaces” schmittiens, sur les frontières de l’ancienne Union Soviétique, replacera l’affrontement hégémonique au cœur de l’Asie centrale,de manière à ne pas être pensé encore sur le modèle la guerre froide à l’Est du continent.
Le partenariat stratégique entre la Russie et la Chine au plan géopolitique, a eu pour but de jouer un rôle d’équilibrage et de contre-poids, au cœur de la masse continentale eurasienne et de repartir les zones d’influence entre les deux puissances dominantes, dans le cadre de la multipolarité.
Cette double poussée, virtuellement antinomique, est corrélée à l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), qui fait fonction de stabilisateur régional
Recomposition civilisationnelle de l’espace euro-russe
La stratégie de la future (et encore hypothétique armée européenne) devrait adopter une politique de recomposition civilisationnelle de l’espace euro-russe ( de Lisbonne à Vladivostock) et passer de la tentative de roll-back et d’isolement de la Russie ( par l’Otan), à une doctrine inversée du Hearthland, en isolant  la Chine qui représente la menace majeure pour la puissance thalassocratique extérieure.
Celle-ci, comme Athènes dans les guerres du Péloponnèse,  ne pourra gagner au même temps et conjointement la Russie et la Chine, provoquant à l’Ouest l’effondrement définitif de  l’Europe et l’écroulement de la civilisation Occidentale.
La mort d’Athènes et de Rome ne grandiront point l’image créatrice et chaotique de l’Amérique post-impériale, comme héritière du berceau culturel de l’Occident.
Le paradigme de l’inversion stratégique de l’Occident
Le repositionnement des ambitions du triangle États-Unis, Russie et Chine, rééquilibrant la multipolarité actuelle, aurait pour but de rendre limité le règlement d’un conflit éventuel entre les États-Unis et la Chine, évitant une guerre discriminatoire , élargie à l’ensemble de la planète.
L’affrontement à prévoir aurait alors pour limite l’alternance entre “peer competitors” ou candidats à l’hégémonie et non la structure générale du système international
Il laisserait  subsister les vieilles nations, leurs peuples et leurs mémoires,  dans une position subalterne,  donnant lieu à des métissages inconnus de liberté et de la soumission, au lieu de précipiter le dilemme d’une opposition existentielle entre l’Orient et l’Occident.
Cette limite aurait pour signification essentielle ,la préservation d’un”statu quo” civilisationnel entre les deux hémisphères,  évitant, entre-autre, une invasion des peuplades désordonnées  de l’ hémisphère Sud vers  le Nord  de la planète, où une  seule civilisation, continentale et blanche, a promu les grandes découvertes et a fait évoluer le genre humain.

Un bilan conceptuel

Au moment où le Royaume Unis, avec le Brexit, embrasse à nouveau son insularité  et se tourne vers le grand large, les pays du continent voient réapparaître les figures protectrices des États-Nations (souverainisme  et populisme).  Dans ce cadre, l’Europe  considère qu’une conversion du continent à la mer et au libre-échange intégral, est impossible. Ses citoyens gardent la fidélité à leur habitat, essentiellement terrien et prétendent  le préserver et l’améliorer (campagnes écologiques)
En effet l’arcanum des réflexes européens est constitué par la terre et par l’ordre de l’État, le Léviathan.continental.
L’Europe ne garde pas le réflexe côtière de ses anciennes républiques maritimes (Gênes ou Venise), mais l”attachement des paysans, désormais périphériques, à leur terroir et à leur système de vie (Gilets Jaunes).
Dans ce contexte, dans lequel l’état de nature hobbesien ne peut être arbitré que par la violence et par le spectre du conflit, la conception thalassocratique de la guerre, visant le libre commerce, repose sur l’ubiquité du danger, désigné  par la puissance maritime, par le biais d’une alliance  océanique illimitée, l’Otan
C’est dans ce contexte que l’intervention de Macron sur la “mort cérébrale” de l’Alliance Atlantique, éclaire sur la conscience globale de la nouvelle conjoncture historique.
Face à la discorde sur la désignation de l’ennemi, il prend le parti de la terre (Russie) contre la mer (bloc thalassocratique) et sutout contre l’interventionnisme “illimité”et universel de la puissance de la mer (hégémon).
L’Iran, la Chine et la Corée du Nord n’obéissent pas aux figures obsidionales du”Mal”, contre lesquelles une violence totale est justifiée et légitime, mais à des figures de “justi hostes”, disposant des mêmes droits et des mêmes raisons de faire appel  à la guerre et contre lesquelles une violence illimitée est injustifiée.
En effet le “juste ennemi” est celui que l’on ne peut identifier à la figure du Mal , au nom d’un exclusivisme ou d’une intransigeance morales et dont on peut comprendre l’hostilité et les objectifs politiques, puisque demain il sera peut être un allié.
Puisque l’Eurasie occupe l’espace  historique de l’Allemagne et de la Russie réunies,  la lutte entre la puissance de la mer et la puissance de la terre prend la forme actuelle d’un affrontement entre l’atlantisme de certains pays européens et l’eurasisme de certains courants de pensée russes.
Ainsi, compte tenu de la double impossibilité, d’une domination mondiale unipolaire  et d’un État de l’humanité pacifié, qui suppose une neutralisation et une dépolitisation totale du monde, l’évolution planétaire va dans la direction d’un pluralisme des grands espaces (C.Schmitt), autrement dit, vers des sphères d’influence et des zones culturelles homogènes (Yalta 2), dont la cartographie  obéit , en large partie aux oppositions binaires de la terre et de la mer.
L’échec de la tentative d’instaurer un unipolarisme dominant et la montée en puissance des anciens empires  historiques comme, l’Inde, l’Iran, la Russie et la Chine, justifie la démarche de Macron vers  un nouveau pluralisme du monde autour d’une mère civilisationnelle commune à la Russie et l’Europe, l’Occident romain – orthodoxe.
Le caractère identitaire et irrévocable de cette distinction est au fond la reconnaissance d’une faille profonde entre l’Orient Russe et le grand Orient Chinois, dont les voies de la soie constituent les tentacules puissantes d’un dragon, tiré de son histoire et doué d’un feu existentiel et spirituel  trente cinq fois séculaire.
Irnerio Seminatore
BRUXELLES le 23 Décembre 2019




Les routes de la soie et la mondialisation à la chinoise


La montée en puissance  de la Chine, depuis la fin de la guerre froide, en termes économiques, politiques, diplomatiques et militaires, fera de celle-ci, selon nombre d’observateurs, le plus grand protagoniste de l’histoire mondiale.
Cette émergence est susceptible de produire une inversion du rapport de prééminence entre les États-Unis, puissance dominante établie et  premier empire global de l’histoire et la Chine,”Empire du milieu” ou État-civilisationnel, vieux de trois mille cinq-cents ans et fort d’un milliard quatre-cents millions d’hommes.
À ce sujet, Chalmers Johnson, spécialiste de l’Asie, a soutenu la thèse d’une antinomie conceptuelle  entre “expansion impériale” et “adaptation régionale” et il a précisé, quant à  la conception de l’ordre mondial : “qu’on l’appelle “consensus de Washington”, “soft power”, ou “nation indispensable”, cela aboutit toujours à la nécessité de maintenir un ordre mondial, inspiré, financé et dirigé par les États-Unis.”
Les tentatives américaines pour établir une hégémonie sur la Chine tendent vers des futurs explosifs et sont, en tous cas, vouées à l’échec.”
En effet il n’y a pas de place dans le monde pour deux empires.
Contestation chinoise du “statu quo” normatif américain
Or, dès à présent, la contestation chinoise du “statu quo” normatif, imposé par les États-Unis après la fin de la guerre froide, a déjà pris corps avec le rejet de l’universalité des valeurs occidentales et de la première menace ressentie par Beijin, qui est la menace idéologique du “régime change” et donc le défi intérieur de libéralisation du pouvoir et du pluralisme  politique, identifiés à la démocratie occidentale. (ex.Hong Kong)
Quant à l’Europe, le destin de celle-ci se jouera en Eurasie, tant sur le plan diplomatique que militaire. Quant au  premier, dans la capacité de la diplomatie européenne de dissocier la Russie de la Chine, quant au deuxième, par le rôle accru du Pacifique et de l’Indo-pacifique dans l’échiquier stratégique global.
Puisque le modèle de la stratégie dominante des deux derniers siècles a été celui de Clausewitz, la puissance de la terre qu’est Chung Kuo’ se prépare à une politique d’affrontement  par une logistique qui peut adopter Clausewitz sur terre, en cas de guerre conventionnelle, Mahan, sur les deux océans, Pacifique et Indo-Pacifique, et Sun Tzu dans l’hypothèse d’un double front de combat, terrestre et maritime.
Dans ce contexte, la logistique du système “One Belt, One Road”  devient l’élément décisif de l’épreuve de force probable entre les puissances de la terre et les puissances de la mer, au Nord, au Sud et à l’Ouest du continent européen.
Au même temps , la “limite” du conflit, entre guerre d’alternance hégémonique et guerre d’alternative civilisationnelle deviendra la variable des ambitions et du combat des acteurs aux prises avec le bouleversement de perspective, la dominance continentale et  l’inversion des politiques.
Un rappel peut éclairer ce point non négligeable.
Si l’Europe et l’Asie appartiennent géographiquement à un même espace continental, l’Eurasie, un seul pays tâche de les rapprocher par un immense réseau d’infrastructures routières, portuaires et numériques.
Ce pays est le Chung Kuo’, l’héritier de l’Empire du milieu, dominant “tout ce qui est sous le ciel”.
Puissance de la terre, la Chine, rivalisant avec la puissance de la mer, entend manœuvrer, en cas de conflit, par les lignes intérieures du continent, sans dépendre de la logique des flux et des reflux de la “société liquide”.
En Eurasie, marquée par la diversité des États et des institutions, la dominance continentale est passée de la Russie à la Chine et le resserrement des alliances prendra la forme d’une activation du réseau des routes de la soie, modifiant le rapport global des forces.
En effet la guerre, selon Sun Tzu, ne se gagne pas principalement à la guerre ou sur le terrain des combats, mais dans sa préparation.
Les risques  de conflit instaurent une politique ambivalente, de rivalité-partenariat et d’antagonisme.
Il s’agit d’une politique qui a pour enjeu le contrôle de l’Eurasie et de l’espace océanique indo-pacifique, articulant les deux stratégies complémentaires du Hearthland (1) et du Rimland.(2).
Les rivalités, qui secouent aujourd’hui l’Eurasie, ont forcé l’Est et l’Ouest à s’interroger sur un nouveau projet de sécurité en Europe, de stabilité stratégique et d’unité  de l’espace européen.
Mouvements stratégiques de l’Occident et antinomies d’alliances en Eurasie
Dans tout système international, le déclin de l’acteur hégémonique se signale par un resserrement des alliances militaires autour du leader.
Ainsi, dans la conjoncture actuelle, deux mouvements stratégiques rivaux s’esquissent au niveau planétaire :
– l’alliance sino-russe, assurant l’autonomie stratégique du Hearthland, en cas de conflit et promouvant, en temps de paix, la coopération intercontinentale en matière de grandes infrastructures, (projet OBOR -One Belt, One Road – avec la participation d’environ 70 pays)
– la stratégie du « containement» des puissances continentales, par les puissances maritimes du « Rimland » (Amérique, Japon, Australie, Inde, Europe etc.), comme ceinture péninsulaire extérieure à l’Eurasie.
Rappelons que les deux camps sont en rivalité déclarée et que leurs buts stratégiques respectifs ne sont pas de cerner des équilibres, fondés sur les concepts d’échanges et de coopération, mais de prévoir les ruptures stratégiques, sous la surface de la stabilisation apparente.
Ainsi la fin de la bipolarité, avec l’effondrement de l’empire soviétique, a engendré une source de tensions, entre les efforts centrifuges mis en œuvre par les États de proximité, « les étrangers proches », visant à s’affranchir  du  centre impérial et la réaction contraire de Moscou, pour reprendre son autorité à la périphérie, par une série d’alliances enveloppantes. (OTSC, OCS)
À l’Ouest, c’est l’Alliance atlantique, aujourd’hui en crise, qui a vocation à opérer la soudure de l’intérêt géopolitique d’Hégémon, dans l’ immense étendue continentale entre l’Amérique et la Russie.
Le “déclin d’Hégémon”. Alternance hégémonique ou “révolution systémique” ?
La question qui émerge du débat en cours  est de savoir si la “stabilité hégémonique” (R.Gilpin), qui a été assurée pendant soixante-dix ans par l’Amérique, est en train de disparaître, entraînant le déclin de l’Empire et de la civilisation occidentale, ou si nous sommes confrontés à une alternance hégémonique et à un monde post-impérial dans le cadre toutefois, d’un système planétaire.
L’interrogation connexe peut être formulée de manière plus abrupte et intempestive : “Quelle forme prendra-t-elle, cette transition ?”
La forme, déjà connue, d’une série de conflits en chaîne, selon le modèle de Raymond Aron, calqué sur le XXe siècle, ou bien, la forme d’un changement d’ensemble de la civilisation, de l’idée de société et de la figure de l’homme, selon le modèle des “révolutions systémiques”, de Stausz-Hupé, embrassant l’univers des relations sociopolitiques du monde occidental et couvrant les grandes aires de civilisations connues ?
Irnerio Seminatore




L’Otan et Macron : divergences sur la désignation de l’ennemi

Alors que l’Otan célèbre à Londres son 70e anniversaire, le Président Emmanuel Macron veut que la plus vieille alliance militaire du monde s’interroge sur sa stratégie. AFP/Bertrand Guay

La formule-choc de Macron et ses répercussions

Les reproches de Macron sur la “mort cérébrale”, de l’Alliance, plus proches des formules  du Quartier Latin que des protocoles du Quai d’Orsay, ont été sans répit. “Vous n’avez eu aucune coordination concernant la décision stratégique des USA de retrait de leurs troupes de Syrie, avec leurs partenaires de l’Otan!”.

L’allusion aux deux accusés, Erdogan et Trump, tenus coupables des mêmes crimes, complicité en agression contre la Syrie et abandon sans scrupules des Kurdes, implique, pour le Président français, une reformulation des initiatives européennes, en termes d’indépendance politique et d’autonomie stratégique.

Les réactions russes sur le site “Vzliad”(Regard)

L’expression du Président français  a suscité une première réaction russe à l’interview de “l’Economist”, du 7 novembre, selon laquelle Macron prendrait ses désirs pour des réalités et l’a invité à devenir le “Trump européen”, puisqu’il lui soustrait  la fonction de maître du jeu, celle de diviser l’Europe et d’affaiblir l’Otan.

Par ailleurs, dans le domaine des critiques, F. Heisbourg, ancien conseiller du Président Mitterrand lui rappelle, dans le N° 168 de la revue “Commentaire”, que faire le choix de la Russie, c’est prendre un pari risqué et cela pour deux raisons :

– la première, arracher la Russie à son étreinte avec la Chine, cela signifie redonner toute sa place à la Russie comme puissance européenne et oublier que le partenariat sino-russe a été une option délibérée et ancienne entre les deux pays, partageant une même conception du pouvoir et une approche réaliste de la politique inter-étatique.

– la deuxième, consistant à anticiper le retour de la Russie au sein d’un G8 reconstitué, cela signifie d’accorder une prime à l’achèvement de la démocratie, qui fut l’espoir occidental de l’admission de la Russie d’Eltsine dans le G7, contredit par les événements d’Ukraine de 2014.

Cependant l’encouragement à sortir la France de l’Otan n’est pas nouveau. Ces tous derniers  temps, il vient du site russe “Vzliad” (Regard), qui s’interroge sur le désaccord de Londres, Berlin, Bruxelles et Washington.

La critique de Macron lui permettrait-elle de s’assurer un leadership en Europe et une augmentation du poids de la France, en évinçant l’Allemagne et les États-Unis ?

À ces conditions seulement, Macron gagnerait en influence et en indépendance décisionnelle, contribuant à la mise en place d’une nouvelle géopolitique européenne.

L’armée européenne, entre provocation et défi

In fine, pour être crédible et pour parvenir à ses fins, Macron aurait besoin :

– de mettre en chantier le vieux projet français d’une armée européenne, soutenu aujourd’hui par Mme Merkel, (sur la voie de sortie de l’échiquier politique), et favorisé en cela par le Brexit, par le statut de puissance nucléaire de la France, par une armée de métier réputée et par son siège au Conseil de sécurité des Nations unies

– de prendre exemple du général de Gaulle, qui sortit son pays du Commandement militaire intégré en maintenant politiquement la France dans  l’Alliance atlantique.

Sous le choc de la formule de Macron, provoquant une déchirure de la confiance entre États-membres, que restera-t-il de l’Alliance atlantique et de sa recherche d’unité, si elle est privée de son concept originel, la défense collective ?

L’alliance n’a-t-elle pas égaré son but de coalition défensive, censée intervenir dans le théâtre du centre Europe, lorsqu’elle a décidé de se projeter “hors zone” ?

Divergences de fond sur la désignation de l’ennemi

La posture de “défi” assumée par Macron, au courant de sa longue conversation stratégique avec Jens Stoltemberg, secrétaire général de l’Alliance, du jeudi 28 novembre, a mis sur le tapis deux points-clés : la désignation de l’ennemi commun, qui est pour lui le terrorisme et non la Russie, et la stratégie de théâtre concernant l’engagement d’autres pays membres au Sahel et au Levant.

Ces derniers montrent de la résistance, car ils ne savent pas quoi défendre et sont divisés sur le “sens” politique et militaire de ce combat.

Sur le fond, Macron est en opposition avec la stratégie des États-Unis et la tendance générale du système.

La stratégie des États-Unis et les tendances générales du système

Quant à la stratégie des États-Unis, elle a été formulée avec clarté par le secrétaire à la Défense de l’Administration Trump, l’ancien général des Marines James Mattis, en février 2018, à l’université John Hopkins.

Il s’agit d’une nouvelle stratégie de défense nationale, d’où l’on déduit qu’un changement historique est intervenu  depuis deux décennies dans la politique extérieure américaine.

Le principal objectif des États-Unis est désormais  la concurrence entre les grandes puissances et non le terrorisme. “La Chine est un concurrent stratégique, qui utilise une politique économique prédatrice pour intimider ses voisins, tout en militarisant des zones de la mer de Chine méridionale”.

“La Russie a violé les frontières des pays voisins et exerce un droit de veto sur les décisions économiques, diplomatiques et sécuritaires de ses voisins”.

Par ailleurs, “la Chine recherche” l’hégémonie dans la région indo-pacifique à court terme et le remplacement des États-Unis, pour atteindre la prééminence mondiale dans l’avenir”.

“La Russie, pour sa part, tente de briser l’Organisation de l’Atlantique nord (Otan) et de changer les structures économiques et sécuritaires européennes et du Moyen-Orient”

Ainsi,pour les États-Unis, une conclusion est certaine : “la menace croissante des puissances révisionnistes aussi différentes que la Chine et la Russie… cherche à créer un monde cohérent avec leurs modèles autoritaires”.

Trois régions clés sont indiquées comme objets d’une préparation au conflit : l’Indo-Pacifique, l’Europe et le Moyen-Orient.

Ainsi, face aux appréhensions des pays de l’Est, le ministre des Affaires Étrangères français, Jean- Yves Le Drian, a voulu calmer le jeu suscité par Macron  pour son ouverture vis-à-vis de la Russie et, dans un discours prononcé à Prague le 6 Décembre sur l’héritage de 1989, il a fait appel à la réconciliation entre les deux familles de l’Est et de l’Ouest, au nom de l’unité du continent.

“Les différences, a-t-il dit, ne doivent pas effacer notre communauté de destin et la notion de souveraineté européenne, intimement liée à celle d’une Europe forte et à une compréhension des diverses mémoires nationales”.

De façon générale, Macron semble avoir repris les arguments critiques contre les alliances, dépourvues d’une unité et d’une coordination entre états-majors des puissances décisives, qui furent développés en 1924 dans le livre d’un semi-inconnu, le capitaine Charles de Gaulle, au titre “La discorde chez l’ennemi”.

Les arguments du capitaine de Gaulle dans son essai de 1924 “La discorde chez l’ennemi”

Les arguments étalés par le capitaine de Gaulle, se référaient à l’absence d’unité des coalitions militaires, hier chez les ennemis et aujourd’hui chez les alliés, car cette absence est tenue pour une  source de défaites.

Dans son essai d’histoire immédiate, de Gaulle examina  les causes profondes et directes de l’effondrement du Reich Wilhelmin, les dissensions au sommet de l’alliance militaire des Empires centraux,  l’Empire allemand et l’Empire austro-hongrois, les erreurs diplomatiques et stratégiques  et les causalités multiples et personnelles, imputables à l’absence de coordination politique et militaire.

Celle-ci a provoqué hier et peut provoquer aujourd’hui un désaccord sur les priorités, sur les campagnes et sur les théâtres d’engagement des forces.

En dernier, de Gaulle traita de l’erreur fatale pour le haut commandement militaire, que  de combattre la guerre d’ hier, autrefois victorieuse.

La désobéissance à Moltke et l’adoption du plan Schlieffen, concernant la guerre victorieuse d’août 1870 à Sedan, de la part du général von Kluck sur le front de la Marne, en juillet-août 1914, a provoqué la catastrophe allemande devant les Français.

Le parallélisme entre les déviances d’hier du général von Kluck et celles d’aujourd’hui du  président Erdogan est-il inapproprié ou carrément erroné ?

Les dissensions au sein de l’Alliance sur le calcul des bénéfices

Dans ce cas, ça serait le principe de l’alliance et, par conséquent les rapports avec les États-Unis, les tensions franco- allemandes permanentes, l’opposition des pays baltes et les projets concurrents, bref, la discorde chez les alliés qui serait en cause, sans réversion possible.

Considérant cette situation de crise d’autorité, aucune personnalité ne pourrait se situer à la tête du triangle Washignton-Paris et Berlin et la stratégie générale ne pourrait prendre en compte le Sahel ou le Levant, au lieu des pays Baltes ou du front oriental ( Nord, Nord-Est de l’Europe).

La division et le déchirement au sein de l’Alliance sont donc politiques, stratégiques, de conception du monde et de vision du système  international et opposent les membres de l’alliance atlantique les uns aux autres.

Les bénéfices de l’Alliance sont différemment ressentis, puisque Donald Trump nourrit la conviction que “l’Otan a bénéficié plus à l’Europe qu’aux États-Unis” et l’Otan elle-même considère que le gain de profondeur stratégique vis-à-vis de la Russie, par le recul de ses forces de 1 600 kilomètres, demeure la preuve du succès  de la coalition sur la menace de la guerre froide, puisqu’il a fait gagner la confrontation globale, selon la théorie de Sun Tzu.

Cependant, pour Poutine : “la guerre froide ne s’est jamais arrêtée”, et la Russie est “entourée d’ennemis, l’Otan, l’Occident et autres et tout le reste du monde est une table d’échec”.

Logé dans cette perception du système international, le but de Poutine serait de revenir à un cadre géopolitique, où la Russie, restaurée dans sa puissance, reprendrait le contrôle du “monde russe” (l’ensemble constitué par la Fédération russe, la Biélorussie, l’est de l’Ukraine, la Transnistrie, le Kazakhstan du nord et, peut-être les pays baltes).

Ce contrôle s’exercerait par le retour de la logique des zones d’influence sur le modèle d’un Yalta du XXIe siècle, auquel voudrait le soustraire Macron, resituant l’intérêt vital de la Russie en Europe et pas en Chine.

Pour Macron, dans un monde qui n’est plus bipolaire, l’Otan est ressentie comme un obstacle à la liberté d’action de ses États-membres et son élargissement à l’Est lui fait perdre son caractère défensif en augmentant au même temps son hétérogénéité géopolitique et stratégique.

Or l’extension de la finalité initiale de l’alliance, devenue globale, mais restée toujours sous le leadership d’une puissance extérieure, prouve que le centre de gravité des menaces à l’hégémonie du monde et la véritable alternative systémique se trouvent en Asie, où le théâtre central de jadis se dissout en une multiplicité de théâtres régionaux, ainsi que de risques inconnus.

Dans ce bouleversement de perspectives, les pays européens en sont encore davantage diminués et vassalisés et leur recherche de liberté d’action apparaît difficile, à cause du désarmement spirituel de leurs élites  et de leurs cultures.

L’indispensable dialogue stratégique entre l’Europe et la Russie

Quant à l’Europe de l’Ouest, la globalisation des enjeux de sécurité impose une analyse des tendances générales du système multipolaire et suggère l’établissement d’un dialogue stratégique entre l’Europe et la Russie.

Le fondement de ce dialogue repose sur l’exigence d’allègement des tensions et des défis, portés à la stabilité régionale et mondiale.

Irnerio Seminatore

Bruxelles le 17 Décembre 2019

 




Mieux connaître l’Ouzbékistan, coeur de l’Asie centrale

TRENTE ANS DE PARCOURS ENTRE DEUX PRÉSIDENTS.
ISLAM KARIMOV ET SHAVKAT MIRZIYOYEV

Le premier Président de l’Ouzbékistan, Islam Karimov, ancien président du comité de planification (Gosplan) de la République socialiste d’Ouzbékistan, fut le bâtisseur de l’Ouzbékistan actuel, moderne et indépendant.

L’accession à la souveraineté politique de la part de cet État majeur de l’Asie centrale le 31 août 1991, fit de lui un pilier de l’histoire récente du pays et simultanément un “homme nouveau”, projeté vers l’avenir. Il demeura, au même temps et toute sa vie, un  homme des anciens khanats, à la résolution grave et indiscutable.

Après la dissolution de l’Union soviétique le 25 décembre 1991 et la fin de la bipolarité, Islam Karimov incarna la transition vers une autre redistribution des pouvoirs, comme gage de paix ou de non-conflit.

Parvenu soudainement au pouvoir, il comprit immédiatement la nécessité de l’ouverture de l’Asie centrale et d’un nouvel équilibre dans le Hearthland entre la Russie, privée de ses anciens États membres, par une amputation géopolitique sans précédent, les États-Unis d’Amérique, qui découvraient l’importance stratégique du vieux cœur du monde et la Chine montante, aux ambitions calculées et pas moins grandes de celles de l’Empire du Milieu.

Avide de découvertes réfléchies, il fut ouvert à la logique du monde global et aux nouveaux équilibres de puissance et fonda l’indépendance du pays sur la stabilité interne et  la stabilisation régionale.

En machiavélien modéré, il perçu très vite que la notion d’ordre, interne et international, deviendrait l’objectif prioritaire de la logique du nouveau système et de l’organisation de l’État à bâtir.

Ainsi, les mutations globales des équilibres mondiaux l’incitèrent à la prudence, en le poussant  à agir dans la continuité institutionnelle, plutôt que dans la rupture.

En effet, dans les “révolutions de couleurs”, il perçut clairement les agissements provocateurs et les manipulations extérieures, désarçonnant rapidement les défenseurs des réformes et provoquant une ingérence perturbatrice, sous couvert de démocratie et de défense des droits de l’homme.

Si le “modèle ouzbek”, dans un monde sans modèles, fut considéré comme une recette efficace de gouvernance, le pari du renouveau et de la renaissance ouzbek furent imputables au primat de la politique d’équilibre, fuyant les extrêmes, en économie et en politique, dans les relations interethniques et dans la valorisation de la culture et du passé.

Ce refus des extrêmes  l’aida dans la construction d’une identité historique du pays, forte et sans failles.

La mauvaise perception de la figure d’Islam Karimov en Occident fut une déviance médiatique, presque habituelle, visant à perpétuer une influence extérieure sur ces nouveaux espaces de découverte historique.

Dans ce nouveau cadre, l’exercice du pouvoir de la part d’Islam Karimov, consista à restreindre les zones de non-droit entre les peuples, sans faire apparaître le vieux monde comme anachronique et sans cacher que les stratégies “d’élargissement de la démocratie”, voilaient les “stratégies de l’endiguement”, en apparaissant comme messianiques et illusoires.

Là encore l’exigence de l’État imposa à Karimov de “construire, avant de détruire”, en ouvrant l’État et la société civile aux souffles des temps nouveaux.

C’est pourquoi la méfiance  et non l’idéologie apparentent Karimov aux grands khans  du passé et c’est pourquoi il restera dans la mémoire  comme un Président fondateur de la Nation et  bâtisseur d’avenir.

Les élections parlementaires du 22 décembre 2019

Après la disparition de Karimov et l’élection du nouveau Président Shavkat MirziyoÏev, le  6 avril 2016,  les élections parlementaires du 22 décembre sont les premières consultations populaires du nouveau pouvoir.

Elles renouvellent les chambres législatives (le Oliy Mailis), dans un système électoral constitué par un parlement bicaméral de 150 sièges renouvelés tous les cinq ans, comportant un compétition entre cinq partis politiques

L’enjeu est constitué par l’élargissement des bases électorales du Président élu et par l’esprit de réforme du nouveau chef de l’État.

Le renouvellement de la Chambre basse comporte un scrutin uninominal à deux tours et la participation de 20 millions d’électeurs, dont deux millions votent pour la première fois. Le renouvellement politique devrait suivre au  renouvellement démographique.

Dans le même temps ces élections permettent de tirer un bilan du parcours accompli par le pays depuis 30 ans.

Les éléments d’appréciation de ce parcours portent sur les deux concepts d’indépendance politique et de développement économique.

Quant au premier, l’Ouzbékistan, dont l’indépendance est jeune de trente ans, a joué un rôle central dans le maintien de la stabilité régionale et mondiale. Situé à la marge de deux zones de stabilité relative, la zone euro-atlantique couverte par l’Otan et la zone eurasienne, couverte par l’OCS, l’Ouzbékistan est le pays pivot de l’Asie centrale, qui dispose de la population la plus nombreuse (32 millions), des taux de développement économique les plus élevés (autour de 5 %) et de la fonction stratégique et militaire de verrous, car il interdit à l’instabilité du Caucase et du Proche et Moyen-Orient de se propager à l’ensemble de l’Asie centrale, et donc à la Russie et à la Chine, constituant ainsi un blocage anti-terroriste évident.

Dans la perspective d’une difficile stabilité, l’Ouzbékistan a donné une contribution importante à l’architecture de sécurité eurasienne, en raison des objectifs de sa politique étrangère, basée sur le principe d’une “doctrine multivectorielle “, qui prône l’équilibre des forces dans toutes les directions géopolitiques,  vise à réduire les rivalités entre grandes puissances et à contenir les forces centrifuges à l’intérieur du cadre régional.

En terme de politique économique, l’Ouzbékistan est devenu  une plaque tournante des routes commerciales et énergétiques, en promouvant l’Asie centrale comme “région-pivot” des corridors de transport eurasiatiques et en mettant l’accent sur la création d’infrastructures, d’ industries de base et de haute technologie, ainsi que sur le développement du tourisme et de la culture.

Fort d’une population jeune et éduquée, l’Ouzbékistan représente la moitié de la population d’Asie centrale et la deuxième économie de la région.

L’ancien Premier ministre Shavkat Mirziyoïev qui a succédé  au Président I. Karimov, le 4 décembre 2016, mène, depuis deux ans  d’importantes réformes structurelles, une libéralisation progressive de l’économie  et la consolidation du système bancaire. Au plan institutionnel, il fait appel à un meilleur respect des lois et des règlements et à une simplification des privatisations qui doivent contribuer à améliorer le climat des affaires et à encourager les investissements étrangers.

L’opposition n’a point l’apprêté des pays occidentaux et de ses excès, souvent douteux et mal reçus dans une société traditionnelle.

Vis-à-vis des rapports de voisinage, l’Ouzbékistan, pays enclavé, a diversifié ses partenariats commerciaux et industriels et le Président Mirziyoïev a fait de la coopération régionale une priorité en politique internationale. En particulier, il entretient de bonnes relations avec les deux grands voisins russe et chinois, tout en développant les échanges avec les pays occidentaux et d’autres pays d’Asie, dont les progrès, facteurs de prospérité, seront soumis au test populaire du 22 décembre prochain.

Le réalisme et le goût du concret trompent rarement le peuple, qui oppose toujours l’antidote de l’ironie traditionnelle à la rhétorique effrénée des promesses sans suite.

Irnerio Seminatore

Bruxelles le 29 novembre 2019




La démondialisation, l’irruption du politique et l’ère des ruptures

La démondialisation. Concept économique ou concept politique ?

Face aux grands retournements du monde et aux évidences les plus affirmées, il est toujours utile de se poser des questions de fond. Dans le cas de la démondialisation comme source et effet de répercussions innombrables, faut-il la tenir pour un concept économique, ainsi qu’il semblerait à une première lecture du phénomène ou bien comme un concept politique ? Plus loin, ne s’agit-il pas d’un nouveau paradigme désignant un retour des vieux cycles historiques et donc d’une fausse découverte ? Au premier abord,  la démondialisation est présentée comme un modèle alternatif à l’économie néolibérale, fondée sur l’interdépendance des sociétés et donc sur une  critique du libre-échange, née d’un courant de pensée hostile au libéralisme et à ses corollaires. Il serait question, par ce terme, d’une nouvelle organisation de la société planétaire, soustraite à l’emprise de la finance et caractérisée par un repli  autarcique, articulant le cadre local et la dimension internationale. Ses partisans préconisent, au travers de son adoption, une reterritorialisation du développement, plus équitable et plus écologique, privilégiant le marché intérieur au marché mondial, sous le primat d’un protectionnisme national et européen (J.Sapir). L’instauration d’une régulation de la finance mondiale, dans le but d’un développement eurocentré et sur des régions à base civilisationnelles communes, aurait une portée réformatrice incontestable, selon ce point de vue. Or, il n’en est pas ainsi dans une lecture de la démondialisation comme concept politique. Dans ce cadre, la séparation classique  entre l’État et la société reprend son importance comme ligne de régulation des inégalités nouvelles et comme remise en cause des interdépendances asymétriques.

Les menaces et la diplomatie globale

La diplomatie globale, pratiquée par Kissinger pour négocier les accords SALT 1 et SALT 2, en fut une application remarquée, puisqu’elle associa les aspects économiques aux aspects stratégiques en vue de la stabilité à atteindre, en matière nucléaire, entre les États-Unis et la Fédération de Russie. De même et de nos jours, la différente régulation des échanges en termes de barrières tarifaires et de prélèvements fiscaux par l’Administration Trump, s’est fait sentir par la prise de conscience de la dangerosité, structurelle et sociale, de la désindustrialisation. Dès lors  a commencé une surenchère de menaces de la part des États-Unis, sans distinction de pays ou d’aires économiques, au nom de l’instinct protecteur du peuple américain. Or la mondialisation, qui avait fait disparaître les oppositions et les séparations traditionnelles entre l’État et la société et avait mis en exergue la contradiction entre la démocratie et l’État impérial, a rabaissé le rôle politique de l’État à une fonction technique de gestionnaire du développement capitaliste. Cette même mondialisation, dont l’apogée date de la première décennie du XXIe siècle, s’inverse progressivement en son contraire, la démondialisation et la réémergence du politique. C’est le moment culminant du monde unipolaire.

La démondialisation, l’irruption du politique et l’ère des ruptures

La démondialisation est l’irruption de la politique dans un monde dépolitisé, l’éveil des oppositions anti-système au cœur de cadres politiques exsangues, neutralisées  par la bifurcation d’économie et d’éthique, sous laquelle se cache toujours  une pluralité de projets de domination, d’exclusion  et de puissance .

En effet, si la mondialisation fut, à l’Est, la conséquence libératrice de la fin du monde bipolaire et des régimes totalitaires (chute du mur de Berlin et fin de la division de l’Europe), elle fut aussi la mère anesthésiante, à l’Ouest, d’une grande illusion, celle d’un monde post-historique, post-national et post-identitaire, un monde dépossédé  des passions humaines, culturellement aliéné et embrigadé par l’Amérique.

Ainsi, la démondialisation  apparaît aujourd’hui, au plan de la connaissance, comme un retour de l’histoire, de l’existence  tragique du monde, de la “jealous emulation”,  de l’État national et de la souveraineté décisionnelle. Elle est aussi le retour, en Europe, de la différenciation, civilisationnelle et raciale, par opposition à un univers indifférencié, homogène, d’apparence universelle et dissimulateur des ennemis, déclarés et visibles.

La mondialisation a désarmé  les nations européennes par son utopie de reconstruction du monde sans effusion de sang et par la négation du sens de la violence armée et des conflits militaires ; négation irénique, portée par les fils des fleurs dans la  célébration mythique de la culture hippie de Woodstock  à la fin de la guerre du Vietnam, par les sit-in des campus américains et par la vocation déstructurante de Mai 68.

Et enfin la mondialisation a étreint l’Europe, spirituellement amorphe, entre l’Amérique impériale et l’immense Eurasie des tsars, de l’Empire du milieu et du Soleil Levant.

Peuple, populisme et nouveau “compromis historique”

Au sein des vieux cadres institutionnels, l’irruption du politique a sonné, en Europe, l’éveil des peuples, sous la bannière inattendue du populisme, suggérant l’exigence d’un nouveau compromis historique entre le demos et les élites.

C’est au plan spirituel et historique que la démondialisation représente, au fond, l’achèvement de l’ère des neutralisations et des dépolitisations, débutée il y a deux siècles, et le retour aux antithèses de la démocratie et de l’État constitutionnel libéral, faisant de l’évolution de la forme d’État un piler de référence et de protection, qui, parti de l’État absolu du XVIIIe, a abouti d’abord à l’État neutre ou non interventionniste du XIXe, puis à l’État total du XXe et enfin à l’État gestionnaire d’aujourd’hui.

Ce type d’État a égaré sa raison d’être profonde, la sécurité des citoyens et l’identification de l’ennemi et  recouvre désormais la représentation d’un demos hostile et  islamisé, conjuguant, en sa forme fusionnelle, l’irrationalisme éthique des religions et le fanatisme fondamentaliste des idéologies.

Par ailleurs, la société civile est devenue la proie de cet ennemi intérieur, un conglomérat  étranger, invasif, déraciné et violent, politiquement enhardi contre les intérêts et les besoins, mais aussi les  convictions, les valeurs et les formes culturelles de vie, appartenant aux traditions européennes, détournées de la civilisation occidentale.

Le peuple, menacé de désagrégation par une immigration massive, a-t-il voté pour sa mise à mort démographique ?

De figure secondaire et apparemment inessentielle à  la mondialisation, l’État souverain est devenu à nouveau incontournable et le “peuple” resurgit contre la démocratie convertie en utopie diversitaire et en régime mis sous tutelle par les juges et par  leurs sanctions liberticides.

Le “peuple”, cette figure exaltée et honnie de l’histoire, fera-t-il table rase de la “révolution ” multiculturelle, en sujet vengeur de son aliénation forcée et en réaction à sa mise à mort identitaire ? Une mort qui commence par la dissolution de son histoire et de son passé, promue par le gauchisme intellectuel et par le recours à une “histoire métissée” (P. Boucheron)

Sera-t-il cagoulé et corseté, dans la camisole de force d’une souveraineté des élites, affranchie de tout contrôle référendaire et échappant à la colère du “souverainisme” populaire ?

Une insurrection d’ampleur mondiale (Ivan Krastev) apparaît de moins en moins comme une hallucination intellectuelle, car la réponse à l’irruption du politique à l’âge de la démondialisation se résume à la question : ” l’Ouest doit-il  adopter ou refuser la démocratie illibérale théorisée à l’Est ?”

La démocratie illibérale et l’État souverain, entre compétition économique et compétition politique

Or, si la fonction du politique se transforme dans les démocraties avancées, la démondialisation fait du peuple un acteur incontournable des contre-pouvoirs, un sujet de changement qui arrive au pouvoir pour restaurer la démocratie trahie par les élites cosmopolites.

En termes politiques, la mondialisation a représenté la dissolution et le déclin de l’État classique européen, celui du “Jus publicum europaeum” comme cadre des relations interétatiques qui s’est fragmenté et polarisé depuis. Ce cadre, dominé par les appétits de puissance, demeure celui de toujours, le champ d’une compétition belliqueuse, où l’état d’hostilité et de guerre peut reprendre à tout instant, puisque dans le monde des Léviathans, “Pugna cessat, bellum manet” (le combat cesse, mais la guerre demeure).

Ainsi, en guise de synthèse, si la mondialisation a été emblématisée par la chute de la bipolarité et la financiarisation de l’économie mondiale, russe et chinoise, la démondialisation représente la crise politique et morale de ce système et ouvre sur une série de conflits qui se succèdent et s’installent dans la durée, de nature ethnique, sociale et  géopolitique : en Europe, le Brexit, l’Ukraine, l’invasion migratoire et, à proximité immédiate, la Syrie, l’Irak, l’État Islamique, la Turquie, reconfigurant les alliances et secouant leurs fondements et leurs principes.(l’Otan en état de mort cérébrale – E. Macron)

Dans le système international, le déplacement du centre de gravité du monde de l’Ouest vers l’Est et, en ce qui concerne l’Occident, la rupture de légitimité entre les peuples et leurs élites et la crise de l’État démocratique ajoute à ces critères un épuisement des formes dominantes de pensée, qui quittent le terrain de la morale humanitaire et des droits de l’homme  pour s’orienter, dans les relations interétatiques, vers le  réalisme et, dans les relations internes, vers le conservatisme et le populisme.

À ce sujet, une nouvelle séparation prend forme en Europe entre les États libéral-démocratiques de l’Ouest et les États illibéraux de l’Est.

La fin du “statu quo ” et la critique de la modernité

En effet, la crise du mondialisme et l’inversion de son procès, la démondialisation, marquent la fin de la légitimité du “statu quo” et celle de l’institution qui l’emblématise, l’Union européenne, puissance antithétique aux mouvements de l’histoire.

Or dans l’impossibilité de faire revivre le passé, se pose l’éternelle question de toute impuissance politique :”Que faire face à l’avenir ?”

La restauration du passé est donc une restauration du mouvement de l’histoire, le refus du primat de la société civile sur l’État et le retour des passions politiques, populaires et nationales. C’est aussi le retour du religieux qui structure le rapport au monde du sujet collectif et qui appelle à la critique de la modernité radicale et à l’esprit de déconstruction qui l’accompagne.

Comme inversion du pouvoir globalisé, la démondialisation met en crise les tyrannies modernes, déconnectées du réel, dispersées en oligarchies solidaires et dressées contre les intérêts des “peuples”.

La “gnosis globalisante”, la vengeance de l’histoire et le temps des orages

Aux grandes portes de l’avenir, l’optimisme le plus débridé s’attend à un nouveau krach mondial, signalé par la névrose d’ un ralentissement économique synchronisé et par une démondialisation étendue.

Celle-ci comporte l’enchaînement disruptif de trois arcs de crise, du Sud-Est asiatique, du Proche et Moyen-Orient et de l’Europe de l’Est, secoués par une confrontation des modèles économiques, sociétaux et culturels, que  le choc de civilisations, opposant Orient, Occident et Islam, aggravera avec force incendiaire.

Ainsi le siècle que nous vivons verra la coexistence d’une nouvelle guerre froide, d’une confrontation globale permanente et d’une lutte de classe des peuples et des nations, à l’échelle continentale.

L’âge des révolutions et des guerres civiles n’est pas terminée, car une immigration massive et incontrôlée fera de la démographie, de la religion et de la culture le terrain privilégié d’un affrontement, armé et violent, où se décidera du sort de l’Occident.

Portant atteinte à l’être des nations,  la “gnosis globalisante” ouvrira un horizon de vide intellectuel sur la fin d’un monde, travaillé confusément par la déconstruction du passé et par la recherche d’une espérance qui était assurée autrefois par les grandes métaphysiques et promise, puis trahie, par les trois concepts-clés de la modernité et de la révolution des Lumières, “liberté, égalité, fraternité”.

Pendant ce temps, à l’âme corrompue et malade, le monde européen, abandonné par sa civilisation, connaîtra la déshérence existentielle, avant le moment des orages et la  vengeance de l’histoire.

Irnerio Seminatore

Bruxelles, le 9 novembre 2019




Chronique géopolitique des événements d’octobre 2019

Plusieurs importants dossiers ont marqué l’actualité européenne du mois d’octobre, méritant chacun une analyse approfondie :

  1. Attaques islamistes à Paris et “dénislamisme”

– la défaillance politique, dans la prévention du terrorisme islamique et du djihad silencieux (Touati), au sein de l’appareil d’État français, et la prise de conscience du dénislamisme (Brezet), comme dissimulation et cécité volontaire du pouvoir, face à l’islamisation rampante de la société. Le passage à une “société de vigilance” est désormais le mot d’ordre lancé à ce sujet par le Président Macron

– le débat “sans tabou“, à l’Assemblée nationale française sur l’immigration et sa maîtrise, promu par l’exécutif, à partir du 7 octobre, en ses différentes facettes, politiques, sociologiques, sécuritaires et éducationnelles. On prétend que ce débat sur les “politiques migratoires en France et en Europe”, a été promu par Macron, pour se positionner en vue des élections présidentielles de 2022.

  1. Les prévisions du ralentissement de la croissance mondiale, qui atteindra selon le FMI le 3,2 du PIB en 2019 et le 3,5 en 2020, avec un recul plus marqué au Brésil, au Mexique et en Russie. Cette baisse s’explique par les tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis et exige des mesures concertées contre les liquidités excessives et les bulles spéculatives, pour éviter un effondrement des échanges et des paiements internationaux, en cas de krach du système multilatéral.
  1. BREXIT ET diplomatie

– les répercussions globales du Brexit sur la scène européenne et mondiale, au-delà des impasses d’une négociation âpre UK-UE, dans laquelle Boris Johnson rejette la responsabilité sur l’UE et accorde le primat politique aux résultats du vote référendaire britannique et implicitement à une sortie du Royaume-Uni à tout prix. Le choix entre Deal et No Deal étant le pari final d’un jeu de poker extrême.

  1. Les transformations du jeu diplomatique et l’importance acquise par la “diplomatie d’influence et le “soft power”, dans une conjoncture de renouvellement du paysage électoral en Europe et en Amérique et dans le cadre plus général.

– des “guerres hybrides”. Analyse des cas russe, ukrainien, syrien, iranien et turc, en réponse aux menaces sur la souveraineté et la stabilité des pays concernés et sur la stratégie dictée par une diplomatie réaliste en relations internationales (renforcement de l’emprise de la politique extérieure sur la politique interne).

– une des répercussions de cette diplomatie d’influence est constituée par les déclarations et manœuvres, visant le déclenchement, par les démocrates, de la procédure “d’impeachment” du Président des États-Unis au Congrès américain.

Cette initiative ouvre la voie à une épreuve de force entre la Maison-Blanche et la Chambre des représentants ayant pour objet la légitimité, contestée par Trump, de la Commission d’enquête, mise en œuvre sur la base d’accusations non prouvées, d’avoir sollicité assistance à l’étranger, en sa qualité de candidat à l’élection présidentielle, interdite par la Constitution.

  1. Les Kurdes, le revirement de Trump et la détermination de Erdogan
    Le banc d’essai de cette transformation de la diplomatie publique internationale, en géopolitique de la menace, et, plus loin, d’une véritable “Stratégie du conflit” (Th.Schelling-1960), est représenté par le retrait des soldats américains de Syrie et par l’accord tacite, accordé par Trump à Erdogan, de créer dans le nord-est de la Syrie une zone de sécurité pour les intérêts turcs, afin d’y ré-installer des réfugiés arabes sunnites (3,6 millions). Bien évidemment ces masses de réfugiés constituent un moyen de chantage et une menace ultérieure pour l’Europe, si elles devaient être utilisées en rouleau compresseur et par vagues successives.

Ce marchandage tacite, autorisant Erdogan à utiliser la force contre les Kurdes de Syrie, met simultanément en échec la Syrie, la Russie et l’Iran et achève, selon l’ancien colonel américain Mc Gregor,une série d’alliances contre-nature, constituées dans la lutte contre l’Isis, les États-Unis contre la Syrie et des groupes terroristes contre d’autres groupes terroristes. Ce revirement permet de jouer les uns contre les autres, aux intérêts opposés.

Dans le cas syrien, Trump donne suite au revirement stratégique d’Obama, consistant à délaisser le Moyen-Orient au profit de l’Asie-Pacifique et met en œuvre ses promesses de campagne, visant à soustraire l’Amérique aux guerres périphériques, tribales, coûteuses et sans fin.

  1. Le retrait des troupes, la théorie de Th. Schelling et le “coup stratégique” de Erdogan

Les promesses de campagne faites à l’Amérique et non à l’establishment ont été motivés par le but de leur éviter le piège d’une triple menace, pour les troupes américaines, russes, syriennes et iraniennes.

En revanche, pour certains pays, dont la France, l’Italie et l’Allemagne, la décision de Trump serait une volte-face vis-à-vis des Kurdes, car le départ des forces américaines ne permettrait plus d’empêcher la résurgence de l’État islamique, accroîtrait le risque de dispersion des djihadistes étrangers, qui pourraient se réorganiser, gênerait les menées de l’Iran et perdrait une monnaie d’échange dans les négociations face à la Turquie.

Nous avons ici un parfait exemple d’application de la théorie de Th. Schelling sur la “Stratégie du conflit”.

Selon cette approche, les concepts de dissuasion (conventionnelle), de guerre limitée et de négociation seraient intimement liés à l’existence d’intérêts communs aux adversaires et refléteraient leur dépendance commune, géopolitique et stratégique.

Ainsi, suivant la théorie de Schelling, Erdogan aurait adopté le concept de “coup stratégique”, puisqu’on retrouve dans son mode d’action tous les concepts clés de sa théorie, “d’engagement”, de “menaces”, de “promesse” et de “contrainte” (ou coercition).

Dans les conditions de “négociation” où se trouvent désormais engagés tous les acteurs impliqués par l’initiative de Erdogan, les aspects distributifs de la manœuvre de crise doivent tenir compte des aspects intégratifs de la négociation finale du conflit et influencent ainsi les concessions réciproques, étant entendu que les Américains ont déjà payé, par le consentement initial de Trump et que les Européens auront un prix lourd à payer, sur la base de la “menace” d’envoi vers les pays européens de 3,6 millions de migrants.

L’ouverture des négociations d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne en octobre 2005 et les accords Merkel-Erdogan de novembre 2015, pour freiner l’afflux de réfugiés, ont coûté déjà très cher, en termes de compensations politiques et financières.

  1. La “Commission géopolitique” d’Ursula von der Leyen

– la tentative européenne de se soustraire au leadership américain, supposé “fatigué ou déclinant”, par l’annonce, de la part de la présidente de la Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen, de vouloir créer une “Commission géopolitique”, autrement dit, d’essayer d’unifier le “pouvoir morcelé” (A. Sapir) de l’Union européenne entre géopolitique et économie, à l’image des États-Unis.
En effet, dans un monde de plus en plus modelé par les rapports de force, la centralité du dollar a permis aux États-Unis d’imposer unilatéralement ses choix stratégiques.

Les objectifs affichés par Mme von der Leyen  impliquent une triple transformation, d’orientation culturelle, de structure institutionnelle et de philosophie opérationnelle, ce qui se traduit par l’apprentissage de la souveraineté économique, l’adoption de la pensée stratégique et la soumission de ces options à l’intérêt à long terme de l’Union.

L’acquisition des capacités d’une “diplomatie de risque”, en substitution d’une diplomatie du “statu quo” est-elle possible, sans un changement préalable de la “boîte à idées” ? De surcroît, les nouvelles initiatives de l’UE, en matière de sécurité et de défense, (rapport sur “la stratégie globale de l’UE” de 2016, la coopération structurée permanente en matière de défense, (CSP), la constitution du fonds européen de défense (FED), l’accroissement des pays qui ont rejoint “l’Initiative européenne d’intervention” (IEI), destinée à augmenter l’autonomie stratégique de l’UE, sont-elles la preuve d’une volonté d’instaurer une défense commune ?

Sont-elles suffisantes à accentuer la perception que l’Europe s’achemine sur la route d’un véritable projet fédérateur ?

  1. La montée du niveau de conflictualité entre la Chine et les États-Unis

La marche ascendante de la Chine en termes de croissance économique et de puissance militaire ne peut se faire dans l’aveuglement ni dans la cécité de la part de l’Occident.  À la voie des coalitions qui pourraient faire basculer le monde dans le chaos, une autre voie devrait s’imposer. Or la vision monolithique du Chung Kuô, qui a fêté le 1er octobre le soixante-dixième anniversaire de la proclamation de son réveil communiste, avec un défilé militaire impressionnant, a été marqué par l’assurance, de la part de Xi Jinping, de la validité de la formule “un pays, deux systèmes”, malgré les manifestations de Hong Kong.

La célébration du retour pacifique de Hong Kong et Taïwan, pour le centième anniversaire de la République populaire, repousse à plus tard la réalisation du “rêve chinois”. C’est un message de force qui a été renvoyé au monde entier et de défi aux États-Unis. Entre-temps la peur l’emporte sur l’admiration et le retour de la guerre économique conduit à la séparation du système mondial des échanges en deux blocs politiques opposés, comme au temps de la guerre froide. La traduction de cette situation en termes industriels est le blocage par l’Amérique du rachat du spécialiste 3Com par un consortium, constitué par le financier Bain et du champion des nouvelles technologies 5G, Huawei, motivé par le risque d’interférences. La raison en est le mariage du matériel et du logiciel dans les grand services, fait que ces services peuvent être contrôler, voire infecter à distance. Ces réalités, conjointes au non-respect des règles du commerce international et à des pratiques déloyales en matière d’investissements, ont poussé Trump à déclarer la guerre économique à la Chine de Xi Jinping. Au même temps la Commission européenne se limite à publier un rapport d’experts de 28 pays destiné à rester un matériel de pure connaissance.

Irnerio Seminatore

Bruxelles le 13 octobre 2019




Les répercussions du Brexit dans un monde multipolaire

Le 31 octobre, le Royaume-Uni quittera l’Union européenne, où il était entré en 1973, après 48 ans d’adhésion et deux veto successifs de la part du général de Gaulle, en janvier 1963 et en novembre 1967.

Deux tentatives infructueuses d’entrer dans la Communauté économique européenne (CEE) qui donnent la clé du divorce d’aujourd’hui, marquées, en 1963, par l’incompatibilité de l’économie anglaise avec les règles du « Marché commun » de l’époque et, en particulier de la politique agricole commune (PAC), l’économie britannique étant encore liée au Commonwealth en une zone mondiale de libre-échange et, en novembre 1967, par l’irréductibilité des intérêts insulaires (GB et Pays scandinaves) et des intérêts continentaux (les Six), doublés des relations privilégiées de la Grande-Bretagne avec les États-Unis d’Amérique.

De surcroît l’orientation atlantiste de la politique étrangère et de défense de la Grande-Bretagne et son refus de participer à la création d’une force nucléaire européenne indépendante aurait transformé, aux jeux de De Gaulle, la Communauté européenne en une Communauté atlantique et la première aurait été absorbée par la deuxième.

Ces vieux sentiments de singularité des Britanniques ont-ils joué un réflexe instinctif d’indépendance et de liberté dans les orientations populaires, lors du référendum de juin 2016 sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne ?

Il est certain que, du point de vue historique, cette date marquera un échec du projet européen et un tournant décisif dans son évolution.

En effet, les dangers du consensus de masse, exprimés par le référendum britannique, ont pris le pas sur la définition de l’avenir du pays.

Ce retour à l’exercice intégral de la « souveraineté » par un choix populaire s’est fait dans des tensions internes, parlementaires et civiles, ainsi que dans l’incertitude internationale.

Trois arguments ont pesé sur le vote populaire : l’immigration, la zone euro et deux perspectives géopolitiques divergentes sur l’espace économique et politique vers lequel projeter l’avenir des deux ensembles.

De façon générale, le vote en faveur du Brexit a représenté pour tous, continentaux et Britanniques, une victoire du populisme, du nationalisme et du souverainisme.

En France et en Europe, l’impuissance des traités à proposer une offre politique à la hauteur des défis a mis en lumière, grâce au référendum, le clivage qui existe désormais entre deux visions de la société, nationale et internationale.

Le Royaume-Uni, l’intérêt national et la « Balance of Power »

En effet, c’est au nom de « l’intérêt national » que la Grande-Bretagne a toujours défini ses choix, en politique interne et en politique européenne, prônant dans le premier cas l’unité du royaume, et dans le deuxième, l’adoption du vieux principe du « divide et impera »!

L’adaptation de l’intérêt national à la politique de « l’équilibre de puissance », comportant une surveillance permanente des intentions et des manœuvres des acteurs continentaux concurrents, afin que « ne soit pas tenue en une seule main une force supérieure à toutes les autres coalisées » a présidé à l’entrée réluctante de la Grande-Bretagne dans la Communauté économique européenne en 1973.

Perspectives continentales et équilibres planétaires

Si les deux impératifs, de l’intérêt national et de l’équilibre de puissance, ont été les deux fils conducteurs du Royaume-Uni depuis le traité de Utrecht (en 1713, reconfirmé par le Congrès de Vienne en 1805), rien de tel n’a joué pour les 27 pays membres, irréductibles à un principe d’action commun.

Or, l’identification des intérêts de survie et l’insertion de ces intérêts dans les nouveaux équilibres planétaires, portera-t-elle la Grande-Bretagne à oublier son encrage insulaire entre l’Europe et l’Amérique ?

À première vue, le Royaume-Uni vise désormais l’océan Pacifique et l’océan Indien (le vieux Commonwealth) dont le contrôle représente l’enjeu majeur du XXIe siècle comme nouveau centre de gravité du monde, où battra le cœur de la grande finance internationale  et de la grande manufacture.

Un « partenariat ambitieux » entre le Royaume-Uni et l’UE ?

Face à une Union européenne à qui a fait défaut une capacité de conception et d’action géopolitique et stratégique globales, et qui montre une impuissance singulière en matière monétaire, de politique étrangère et de sécurité, mais aussi de frontières et d’immigration, l’attractivité de jadis s’est commuée en délégitimation de son rôle et en diffractions internes multiples, qui rendent douteuses ses propositions de « partenariat ambitieux après le Brexit » (M. Barnier/ Le Figaro du 2 août 2018).

Le Brexit permet en effet de comparer deux interprétations du concept de « souveraineté ».

Du côté britannique, une conception unitaire et cohérente du pouvoir et de la légalité, en sa liberté de manifestations historiques, dont la principale s’exprime sous forme de « Balance of Power ».

Du côté de l’Union, une définition relative et partagée du pouvoir souverain, inessentielle du point de vue historique, artificielle du point de vue institutionnel et circonstancielle du point de vue stratégique.

Or, quelles histoires sont en train d’écrire, aujourd’hui, ces deux acteurs de la vie contemporaine, le Royaume-Uni et l’Union européenne ?

Une histoire de vassalisation du Royaume-Uni à l’entreprise déclinante du projet européen, ou, en revanche, une nouvelle aventure de la liberté des peuples de langue anglaise et un retour des nations ?

La souveraineté et le multilatéralisme selon Mike Pompeo

À l’échelle mondiale, le secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, a déclaré, au même moment du référendum, au German Marshall Fund de Bruxelles, la fin du multilatéralisme, au nom de la priorité de la souveraineté américaine sur la logique du système international.

Après avoir rappelé que le vieux système des interdépendances et de la coopération ne fonctionne plus et qu’il profite à des acteurs de l’ombre (la Chine), leur permettant d’avancer des pions au sein des institutions supra-nationales ou de creuser un clivage entre les intérêts de bureaucraties non élues et leurs peuples et pays (UE), Pompeo a rappelé que les intérêts de l’Europe et des États-Unis précèdent ceux des institutions supra-nationales (Onu, UE, FMI, BM, OMC etc.), puisque seuls les États-Nations peuvent garantir les libertés démocratiques et ont pour assise des peuples libres.

Un monde libre est un monde d’États-Nations et ne peut être en aucun cas un univers de bureaucraties supra-nationales.

Ce nouvel ordre ne peut jaillir que d’une profonde réforme des esprits et ne peut aspirer à la stabilité que par l’affirmation d’un principe de cohérence, fondé sur le soubassement de trois notions, le leadership, pourvu du sentiment instinctif de l’histoire, la capacité de décision et d’action, essentielle à la vie des États et l’ordre contraignant du monde, bannissant les compromis sans fin et les déclarations illusoires.

Il ne s’agit pas de rééquilibrer, mais de refonder l’ordre international !

Pas d’inclure l’ennemi ou la menace, mais de l’exclure et de les combattre !

Lorsque la liberté et la démocratie se dissocient et la foi dans la raison disparaît ou s’affaiblit, la « guerre civile » mondiale fait son irruption violente dans le cœur des nations.

La souveraineté et la géopolitique globale

Or, si « la souveraineté » est l’autorité, qui décide du cas d’exception, le Brexit, né d’un conflit entre deux principes, de légitimité et de décision, est millénaire pour l’empire britannique et circonstanciel pour l’empire des normes (l’UE).

En son pur concept, la souveraineté reste le nœud incontournable du maintien ou de la déconstruction de tout ordre social, interne ou international et permet d’inscrire un pouvoir dans la géopolitique des grandes espaces, constitués, au XXIe siècle, par le Pacifique et l’océan Indien, comme pivots maritimes de l’Eurasie.

Ainsi, il est à parier que l’après-Brexit sera marqué par la recherche d’un nouveau destin, planétaire et multipolaire, pour les deux ensembles concurrents,le Royaume-Uni et l’Union européenne

De la vieille architecture euro-continentale de la sécurité, le Royaume-Uni héritera l’objectif historique d’une opposition permanente à la Russie et à toute organisation eurasienne à caractère stratégique, dans le but d’empêcher un rapprochement euro-russe et, encore davantage germano-russe, qui en ferait un ensemble dominant et menaçant.

La souveraineté et l’ordre libéral du monde

Le Brexit, comme beaucoup d’autres moments des relations euro-britanniques a été une victime du consensus de masse des démocraties et des tentations des classes dirigeantes, divisées, de satisfaire simultanément aux revendications populaires et aux objectifs à long terme de leurs pays.

En effet le défi a été de taille et a concerné le grand art de gouverner, autrement dit la capacité de conjuguer les impératifs immédiats des passions populaires et les horizons de l’avenir.

Par ailleurs le Brexit marque la fin du sentiment d’appartenir à une même communauté humaine de peuples et de nations, distincte de toutes les autres, la communauté européenne, qui avait réussi à modérer par la raison et à atténuer par le calcul et par l’équilibre des forces, les rivalités continentales.

Pour conclure, le Brexit pousse à une reconsidération sur la résilience de l’État et de la souveraineté étatique, reposant, dans la conception post-moderne du projet européen, sur le soft power, la société civile et les droits de l’homme, dépourvus de l’expérience millénaire du conflit, de la tragédie et du « Daimon » de la guerre.

À la recherche d’une autre idée de l’Europe

L’activation du débat sur l’épuisement historique du modèle de l’intégration a remis à l’ordre du jour la problématique traditionnelle relative à la primauté des Nations dans les relations européennes et internationales. Dans ce cadre, l’approche réaliste (permanence de la société hobbésienne et de l’anarchie internationale) n’exclut en rien l’approche idéaliste, autrement dit l’adoption d’un déterminisme volontariste pour tout projet historique.

L’Europe a besoin de réalisme pour raviver ses conceptions de la sécurité et de la puissance, sans adhérer à l’apostolat d’une doctrine, mais elle a besoin aussi d’idéalisme  pour réactualiser en permanence son idée de l’Europe.

Le Brexit et ses répercussions dans un monde multipolaire

Le Brexit et ses options

La sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne, comme acteur national essentiel, engendrera une série de répercussions, à caractère systémique

– sur l’interaction stratégique entre acteurs majeurs de la scène mondiale

– sur la logique du risque politique, militaire et financier de l’ensemble occidental

– sur les nouveaux modèles de gouvernance de l’UE.

Ces répercussions peuvent conduire également à un séisme géopolitique prolongé : la dislocation du sous-système régional européen, car le retrait d’un acteur essentiel engendre instabilité et conflit.

En effet la défection d’un acteur étatique ne peut être compensée par un sous-système social, la « société civile », qui n’est pas inspirée par l’intérêt individuel d’un acteur national.

La sortie de l’Union fait reprendre au Royaume-Uni son rôle traditionnel de balancier dans les affaires du continent, comme arbitre de ses équilibres politiques et militaires et comme garant de son ancrage dans le camp euro-atlantique.

En puissance océanique et nucléaire, la Grande-Bretagne renforce également sa liberté d’action sur la scène européenne, à travers l’Otan (balance régionale), et sur la scène mondiale, par le biais du Commonwealth (balance planétaire) et favorise indirectement une distribution du pouvoir plus large et plus souple, qui augmente les incertitudes et pousse à l’établissement de nouvelles règles du jeu dans le domaine économique et financier.

Suite au Brexit, l’UE sera dans l’obligation de choisir entre un partenariat atlantique et un rôle planétaire d’acteur incomplet : la première option la place dans une position subordonnée vis-à-vis de la stratégie globale des États-Unis via l’Otan, la deuxième dans une condition solitaire par rapport à une reconfiguration de son projet initial.

Il s’agit là de la quête d’un espace de manœuvre plus autonome et plus indépendant, à obtenir par des ententes bi ou multilatérales, avec une ou plusieurs puissances extérieures, eurasiennes (Russie, Turquie, Moyen-Orient, Chine) ou extra-européennes (États-Unis).

Le but de la réforme de l’Union serait de reprendre son rôle de puissance d’équilibre dans le système global, lui empêchant de dériver vers un vide géopolitique entre l’Est et l’Ouest et d’interdire la constitution d’alliances défavorables à ses intérêts, dans un monde multipolaire à forte compétition stratégique.

Par ailleurs, un sous-système politique sans leadership ne peut se maintenir, car il est soumis à des forces centrifuges qui aboutissent in fine à la désagrégation de l’ensemble.

La survie des États-Nations

En réalité la survie des États-Nations, même transformés par le processus d’intégration, pose à l’Union européenne trois problèmes majeurs, qui méritent un examen critique et un bilan d’étape, théorique, historique et stratégique.

  • Le premier concerne l’hypothèse aronienne et bien connue : « Peut-on aller au-delà de l’État-Nation ? » Or cette hypothèse a pour objet une analyse de la notion d’autonomie et d’indépendance politiques
  • Le deuxième concerne le multilatéralisme et donc la communauté juridique des nations qui ont leur expression supranationale et universelle dans l’organisation de sécurité des Nations unies
  • Le troisième, l’économie mondiale, ou le processus de mondialisation en cours, ou encore la tendance à une interdépendance planétaire sans cesse accrue.

Qu’est qu’une Europe politique ?

A-t-on perdu la notion du politique ?

Est politique une Europe dressée sur une hiérarchie et donc sur un « leadership » reconnu, articulant la « verticale des responsabilités », en une série de cercles de nations, différenciées entre elles.

Cette Europe avec leadership, s’oppose à la démocratie égalitariste, autrement dit à l’Europe « puissance civile », liée à la défense du « statu quo », constamment remis en cause dans la scène internationale.

À partir de l’expérience séculaire de l’Histoire, décideurs et stratèges savent pertinemment que la sphère de la politique est un maillage dans lequel se nouent et se déploient des rapports de force, des rapports de domination, ainsi que des rapports de compétition et de lutte entre individus, groupes, classes, ethnies, peuples et nations, autour de trois grands enjeux : l’idée, l’ambition et la puissance et que dans ce contexte, seule une « Europe des Nations » est en mesure de préserver la personnalité, l’identité et l’homogénéité, culturelles et civilisationnelles, élaborées par l’Europe, au cours d’une histoire vingt-huit fois séculaire.

Irnerio Seminatore

Bruxelles, 7 octobre 2019