J'ai travaillé 5 ans en Egypte : le ramadan était une calamité pour l'entreprise

Je tiens à apporter ma modeste contribution à l’article de Roger Heurtebise, paru dans votre supplément week-end. J’ai vécu 5 ans en Egypte, en tant que responsable d’entreprise.
Le ramadan est une calamité aussi bien d’un point de vue social que comportemental ou économique. En Egypte, les horaires sont pourtant aménagés pour tenir compte de cette période très particulière : au maximum 6h par jour; il est par ailleurs “interdit” de licencier pendant le ramadan, et de sanctionner un employé qui ne se présenterait pas du tout sur son lieu de travail.
Les retards et départs anticipés font bien sûr partie de la routine journalière.
La route est extrêmement dangereuse : les gens sont fatigués et énervés, ils s’endorment au volant ou font fréquemment preuve d’une agressivité inhabituelle. Le pire se produit à partir de 16h, lorsque tout le monde s’affole pour être sûr d’être à la maison pour la rupture du jeûne (vers 17h à cette époque là) : aucune limite de vitesse, aucune indication routière n’a plus de sens (déjà en temps normal elles sont peu respectées, mais là c’est un record).
Le ramadan est signe de dépenses incongrues, et la règle (non écrite) veut que les employeurs donnent une prime avant le ramadan et acceptent de payer des avances sur salaires (les deux se cumulent bien souvent). En effet, les familles doivent recevoir successivement voisins, amis, familles pour la rupture du jeûne, et prouver que leur situation est bonne en offrant les meilleurs plats, dans la plus grande quantité possible…; il faut acheter des vêtements neufs, faire des dons importants à la mosquée, etc. etc.

Une entreprise “doit” offrir un iftar (repas de rupture du jeûne) à ses employés au moins une fois durant le ramadan. Je peux vous assurer que c’est un spectacle inoubliable : la quantité de nourriture engloutie en quelques minutes (ça dure moins d’un quart d’heure) est impressionnante, et donnerait des nausées à n’importe qui. Aucune femme d’expatrié ne supporte ce spectacle, ni le gâchis de nourriture qui en résulte. Il n’y a aucune convivialité dans cet évènement : le silence qui précède le signal de fin de jeûne est digne d’un grand enterrement, et personne n’est en mesure de parler en se bâfrant… Le pire c’est qu’ils recommencent à manger après 20h, et généralement presque toute la nuit.
Il faut ensuite près d’un mois pour que les choses reprennent leur cours normal, et que tout ce qui a été bâclé ou mal fait durant le ramadan soit à peu près corrigé.
Aux dires d’une employée, l’idée d’origine était que chacun se mette durant un mois dans la même situation de pauvreté et de manque que les plus pauvres des pauvres. De même, le ramadan n’était destiné qu’à ceux qui souhaitaient faire cet effort et étaient en condition physique suffisante pour le faire. Les enfants en étaient bien évidemment dispensés, de même que les femmes enceintes, les malades et les personnes âgées… Le reste est venu se greffer au fil du temps, au point de dégénérescence que nous observons aujourd’hui, avec des imbéciles qui pensent faire mieux en refusant même d’avaler leur propre salive…
Jean Tardieu