Interview de Michel Thooris, secrétaire général du syndicat France Police
Qu’est le syndicat France Police ?
France Police est un syndicat professionnel indépendant, autonome et corporatiste, c’est sa force. Chez nous, ce sont les militants qui fixent la ligne syndicale et pas les grandes centrales syndicales qui passent leur temps à critiquer la police. Nous, on défend exclusivement les intérêts des fonctionnaires de la police nationale, on ne confond pas nos intérêts avec ceux des enseignants ou des cheminots.
Vous serez candidat aux élections professionnelles qui se dérouleront du 1er au 4 décembre 2014 au sein des personnels du ministère de l’Intérieur. Pourquoi France Police, participe-t-il à cette élection ?
Pour proposer une véritable alternative syndicale crédible autour d’un projet réaliste face au marasme dans lequel est plongée notre institution.
Quelle est aujourd’hui la situation sociale, logement, salaire, faite aux personnels de la police nationale et plus particulièrement aux policiers de base ?
La situation sociale est désastreuse. Le pouvoir d’achat des policiers est en berne. Ils contractent souvent des crédits pour s’en sortir et tombent ainsi dans le surendettement. Ils n’arrivent pas à se loger correctement dans les grandes villes. Les logements sociaux qui leur sont proposés se situent souvent dans des quartiers sensibles où il est très dangereux d’habiter. Les salaires ne correspondent pas au niveau de responsabilités et aux risques inhérents à notre profession. Les différentes fondations qui font office de comités d’entreprises rendent un service très insuffisant. Les mutuelles professionnelles sont chères et leurs couvertures, selon les contrats, sont aléatoires. En raison des contraires horaires et des dépassements réguliers du temps de travail, les collègues rencontrent les plus grandes difficultés pour faire garder leurs enfants.
Madame Taubira, prétend que sa réforme est au service de l’ensemble de la population, n’est-elle pas plutôt au service de ceux que par « gentillesse » le ministre Chevènement appelait « les sauvageons » ?
Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, 100.000 condamnations fermes n’étaient pas exécutées du fait d’un manque de places dans les prisons et du refus d’en construire. D’une certaine manière, Christiane Taubira a raison ! À quoi bon prononcer des peines d’emprisonnement qui ne seront jamais exécutées ? Sa réforme aura au moins le mérite de régler le problème de la surpopulation carcérale, mais elle aggravera considérablement le problème de l’insécurité. C’est un choix. Notre parc carcéral n’a suivi ni l’évolution démographique de la population française ni l’évolution de la criminalité. L’idéologie selon laquelle l’incarcération n’est pas la solution a finalement triomphé. Cette réforme pénale est la concrétisation du discours consistant à dire que les délinquants ne sont pas responsables de leurs actes, que c’est la faute de la France. Dès lors, on accorde « aux sauvageons » selon Chevènement ou à « la racaille » version Sarkozy, un « droit » de commettre des infractions pour obtenir réparation d’un préjudice imaginaire en mettant la France à feu et à sang.
Quelle est votre analyse de la situation dans ce que l’on nomme « les quartiers sensibles », ou les quartiers « populaires » tout est fait d’ailleurs pour euphémiser et donc éviter de parler des cités habitées à 90 % par des immigrés, légaux ou clandestins ?
La sécurité des Français est-elle assurée ?
L’ordre public n’est plus maintenu dans les banlieues. La première menace est le terrorisme islamique souvent en lien avec les gangs de narcotrafiquants. La seconde menace est liée à l’insuffisance d’infrastructures psychiatriques et au manque de prises en charge des patients atteints de troubles mentaux graves qui sont potentiellement dangereux pour la société. Enfin, la troisième menace est liée aux atteintes aux biens avec une criminalité organisée itinérante très mobile à travers toute l’Europe qui pille tout sur son passage. Les cités ne sont pas peuplées à 90 % par des étrangers. Les naturalisations en augmentation constante et les enfants de parents étrangers nés sur le territoire français font qu’aujourd’hui une très large majorité de la population qui vit dans les banlieues est de nationalité française, et pourtant les tensions communautaires et les revendications religieuses augmentent. La libanisation de la société française est malheureusement en marche. Sur la question du terrorisme, les affaires Merah et Nemmouche ont totalement changé la donne. Maintenant dans chaque racaille ou dans chaque sauvageon se cachent potentiellement un Merah ou un Nemmouche. En 2005, lorsque j’ai dénoncé le caractère religieux des émeutes, parlé d’intifada et demandé l’intervention de l’armée dans les banlieues, j’ai été très durement critiqué.
Après l’affaire Mohammed Merah, après les affrontements quasi quotidiens entre la police et les « jeunes » pensez-vous que vos collègues acceptent de gaîté de cœur de servir de cible sans pouvoir répondre ? Alors que bien souvent la justice donne le sentiment de défendre les voyous plutôt que les policiers, l’action de la police est-elle selon vous reconnue par la population ?
Oui, notre action est reconnue par la population lorsqu’elle est victime et qu’on a interpellé l’auteur ! Plus sérieusement, actuellement, même si les juges prononçaient des peines fermes tout azimut, elles ne seraient de toute façon pas exécutées faute de places dans les prisons. Dès lors, les juridictions font du tri lors des audiences correctionnelles. Pourtant, six grandes orientations changeraient radicalement la donne. 1° le principe d’individualisation de la peine doit être restreint. Lorsqu’on est reconnu coupable, les peines prononcées doivent s’approcher le plus possible des sanctions encourues. 2° il faut renoncer au système de confusion de peines et opter pour le système de cumul de peines. 3° il faut porter notre capacité carcérale à 110.000 détenus. 4° il faut frapper au porte-monnaie ; confiscation systématique et définitive des biens mal-acquis. 5° il faut donner des moyens à la psychiatrie. 6° il faut réinstaurer la double peine et expulser les étrangers condamnés.
Ces derniers mois, plusieurs affaires ont relancé le débat, sur la légitime défense, ainsi, ce braqueur qui avait tenté un vol chez un bijoutier de la Marne, avec une arme tirant des munitions en plastique s’est retrouvé face à un commerçant qui, lui, avait une arme à balles réelles. Ce braqueur multirécidiviste qui avait déjà fait de nombreuses années de prison est mort de ses blessures.
À Marseille, c’est un buraliste, qui a tiré sur des malfaiteurs. Un des braqueurs, âgés de 17 ans, a été blessé à la jambe.
L’affaire du bijoutier de Nice, en septembre dernier, a fait également grand bruit un commerçant de 67 ans, qui a ouvert une bijouterie au chiffre d’affaires modeste, avait été victime d’une première attaque en 2012, un vol à la disqueuse le 11 septembre, il a tué, d’une balle dans le dos, l’un des deux braqueurs qui venait d’attaquer son magasin.
En 2002, la cour d’assises du Tarn-et-Garonne a acquitté un boucher qui avait tué un cambrioleur, venu s’introduire chez lui avec un complice, en décembre 1999. La mort de ce garçon avait d’ailleurs à l’époque, provoqué des incidents dans le quartier de Montauban où résidait la victime. Toutes ces affaires et tant d’autres posent la question de la légitime défense, pensez-vous que celle-ci est la réponse des citoyens à ce qu’ils vivent comme une incapacité de la police ?
Je pense surtout que les gens ont peur et qu’ils se disent « il vaut mieux que je tire le premier ». Les gens s’arment plus par peur que pour jouer au shérif. C’est l’explosion de la criminalité et la violence avec laquelle elle est commise qui provoquent l’augmentation des faits divers que vous citez. La police est rendue en partie inopérante à cause d’une mauvaise priorisation des missions et d’une procédure pénale qui freine la résolution des affaires en raison de sa lourdeur et des droits exorbitants accordés à la défense au cours de l’enquête pénale.
Pensez-vous que cette « pseudo » incapacité est due à la vision par vos collègues de la démission de la justice relâchant une majorité des délinquants ?
Non, c’est plus un problème de moyens que de motivation. On retire chaque jour un peu plus à la police ses moyens d’action. Le travail avec les indics n’existe quasiment plus en raison de l’interdiction des anciens modes de rémunération des sources. La provocation à l’infraction est également interdite. Les relations entre le policier et sa source ne doivent pas prendre la forme de chantage. Autrement dit, les indics n’ont plus rien à gagner à balancer et il n’est plus possible de mettre un peu de pression psychologique sur eux. Je ne crois pas qu’on peut faire de la bonne police sans renseignement, c’était une évidence bien avant Fouché. La garde à vue ne sert plus à la manifestation de la vérité, mais uniquement à garantir toujours plus de droits aux mis en cause. On est en train de tuer la police judiciaire et donc de mettre en péril l’ordre républicain.
Et les autres syndicats au sein de la police nationale ?
Le piston est un véritable cancer dans la fonction publique. Ce système a été créé et entretenu par et pour les syndicats. Leur vision du syndicalisme n’est pas la nôtre. Eux se battent pour des exemptions syndicales, des subventions. 1 voix dans l’urne c’est 15 € de subvention. Nous, nous battons pour des idées, pour un projet. L’administration passe toutes les réformes qu’elle veut depuis plus d’une décennie avec la bénédiction des syndicats, du port du matricule à la réforme des retraites en passant par la saisine de l’IGS et de l’IGPN en ligne, ils signent tout, ne s’opposent à rien. À part se critiquer entre eux, les syndicats de police n’aident en rien la police et les policiers. Avec France Police, nous voulons mettre un terme au clientélisme et supprimer la prime au mérite.
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Interview recueilli par Julien Miramont