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Syrie : les incroyables incohérences de Hollande-Valls

On reste de plus en plus abasourdi devant l’incohérence de nos gouvernants. Soudain frappé par la lumière, Manuel Valls, adoubé par Hollande, prend conscience du danger du recrutement intégriste dans le tumulte syrien. Son plan promet virilement que “l’Etat prendra toutes mesures pour dissuader empêcher, punir, ceux ou celles embarqués dans la guerre sainte. La France déploiera tout un arsenal, en utilisant toutes les techniques, y compris la cybersécurité”. Son ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, non moins subitement musclé, annonce “le développement de cyberpatrouilles sur les forums islamistes  pour endiguer la diffusion de leur propagande”. Il envisage de mettre au point à Londres, le 30 avril prochain, avec ses homologues britannique, belge et allemand “des outils de coordination et des initiatives à prendre à 28 (les pays de l’UE) à destination des opérateurs du net.”

Félicitations (enfin). Mais tout de même, on croit rêver…

Voilà des gens qui se lancent dans quelques maigres précautions antifanatiques après avoir soigneusement détruit tout ce qui pouvait s’opposer au fanatisme. Merveilleux, non ? Non seulement ils ont présenté pendant des mois la rébellion contre le laïque Bashar al Assad comme la croisade des chevaliers blancs de la démocratie, et ils ont encouragé les aides apportées aux insurgés par les pays les plus rétrogrades de la planète (les arabes du Golfe), mais ils ont appelé à une intervention militaire pouvant écraser le régime de Damas. En Egypte, ils dénoncent la persécution des musulmans. En Centrafrique, ils protègent les musulmans contre les chrétiens. Et tout cela après avoir éliminé de façon sinistre les chefs des seuls bastions solides de la résistance au djihad à l’intérieur même de l’islam, Kadhafi et Saddam Hussein. Autrement dit, après avoir brisé sur les ordres de Washington toutes les oppositions à la guerre sainte, nos apprentis sorciers s’aperçoivent que les fous de Dieu sont de plus en plus actifs, nombreux et décidés. N’y a-t-il pas de quoi s’étonner de ce mélange de cynisme et d’aveuglement ?

Autre sujet de stupéfaction. Nos dirigeants sont-ils incapables de faire une différence, à la portée d’enfants à l’école, entre offensive et défensive ? Ne peuvent-ils pas se poser quelques questions d’une simplicité évidente ?

  • Où et quand la Russie a-t-elle pris l’initiative de bombarder un Etat souverain, d’agresser et d’envahir des territoires étrangers, de fomenter des insurrections dans des pays indépendants, d’encercler un rival international avec des bases militaires ? En Georgie, elle a répondu à l’attaque de Saakashvili, en Ukraine elle a réagi à l’essai d’annexion du pays par l’Union européenne. Nulle part, à aucun moment, elle n’a entrepris une opération d’implantation impériale de son propre chef.
  • Où et quand le gouvernement de Moscou a-t-il menacé d’envahir l’Europe ? Où et quand a-t-il rassemblé un nombre important de pays sous son influence pour former une OTAN orientale fortement armée, participant à la destruction de pays entiers et à l’occupation d’espaces conquis et colonisés par la force ?
  • Où et quand les chrétiens ont-ils déclenché des guerres, formé des groupes militarisés, entraîné des combattants, transformé leur fanatisme en suites d’attentats, de combats meurtriers et d’exécutions ? Même en Centrafrique, les milices antibalaka n’ont fait que contrer la coalition seleka qui cherchait à les éliminer. En Egypte, Abdel Fattah al Sissi n’a fait que briser un pouvoir musulman qui voulait faire du pays un califat religieux. Nulle part, à aucun moment, on ne constate dans la chrétienté l’existence d’un équivalent du djihad. On peut se poser la question. Est-ce une incohérence consciente ? Nos dirigeants qui, par définition, ne devraient pas être idiots, comprennent-ils les objectifs de l’impérialisme US ? Sont-ils volontairement complices d’un plan machiavélique consistant à soutenir les pires fondamentalistes musulmans pour pouvoir les détruire plus tard avec l’appui de l’opinion publique ? Sont-ils tordus au point de compromettre notre existence pour aider Washington à conquérir le monde ?Probablement un mélange des deux. Laurent Fabius est un bon exemple de cette combinaison franchouillarde de myopie, de vantardise et de servilité. Son anagramme est “naturel abusif”. Ce n’est peut-être pas par hasard. Il y a longtemps qu’il a dépassé la ligne rouge de la nocivité.
  • Grâce à lui, entre beaucoup d’autres d’hier et d’aujourd’hui, ce n’est pas une balle que la France se tire dans le pied. C’est une rafale de coups de canon.
  • Ou nos élites sont-elles simplement pourries au point de sombrer dans une criminelle inconscience ?
  • Faut-il plus de preuves de l’incohérence de notre politique étrangère ? Au moment où l’on devrait soutenir le dernier combattant efficace des filiales d’Al Qaeda, on continue à idéaliser les adversaires de Bashar al Assad. Au moment où l’on pourrait s’affranchir de la tutelle américaine, on se délecte d’une russophobie inepte. Au moment où Obama ressuscite les délires de la Guerre froide, on le suit sans mot dire. C’est-à-dire qu’on prend position contre Poutine, qu’on ignore les remarquables insubordinations en Amérique Latine, qu’on ne voit en Iran qu’un effrayant tripatouilleur nucléaire et qu’on ne s’intéresse à la Chine qu’en tant que marché à explorer.
  • Certes, toute défensive peut commettre les atrocités inhérentes à la bataille, aussi impardonnables que celles de ses ennemis, ou imaginer des répliques du même ordre que les mesures qui l’ont suscitée. Il n’empêche qu’il y a une différence fondamentale entre celui qui frappe le premier et celui qui réagit aux coups. La responsabilité n’est pas également partagée. Ne pas le constater est le signe d’un préjugé dangereux ou d’une surprenante stupidité.

Louis Dalmas




Blanc c’est noir : un monde en folie, où les pires sanctionnent les meilleurs

L’inversion de la réalité est une acrobatie de la pensée qui fait de plus en plus fureur dans les grands médias. C’est plus qu’une mode, c’est devenu une règle d’expression. On prend un ou plusieurs faits ; on ne se contente pas de les dénaturer, comme c’était l’habitude ; on les retourne sur eux-mêmes en fabriquant leur exact contraire. Le vaincu d’un match de tennis a battu son vainqueur ; la lanterne rouge a gagné le Tour de France ; l’eau de mer n’est pas salée et Hitler a remporté la Seconde guerre mondiale.

Vous ricanez devant ces affirmations idiotes ? Pourtant, c’est le genre de choses qu’on entend tous les jours en géopolitique. Hier, c’était Milosevic qui semait la terreur en se battant pour la Grande Serbie alors qu’il s’y était toujours opposé, Saddam Hussein qui menaçait le monde avec des armes de destruction massive qui n’ont jamais existé, Kadhafi qui ravageait son pays qu’il avait transformé en nation la plus prospère d’Afrique ou Gbagbo qui régnait en tyran parce qu’il tentait d’affranchir la Côte d’Ivoire de la tutelle coloniale. Aujourd’hui c’est Bashar al Assad qui massacre son peuple en le protégeant contre les fanatiques des filiales d’Al Qaeda, Hassan Rohani qui prévoit d’atomiser la planète alors qu’il veut améliorer les conditions de vie en Iran et Poutine qui rétablit une dictature totalitaire dans une Russie qu’il a spectaculairement remise sur pied.

Poutine, parlons-en. C’est le nouveau diable. Il est à l’origine de tous les méfaits. Il a attaqué la Georgie en étant agressé par Saakashvili. Il est un danger pour les Etats-Unis qui l’ont encerclé de leurs bases militaires. Il terrorise la Pologne qui installe des ripostes de missiles US à ses portes. Et surtout il piétine son berceau ukrainien en voulant s’approprier un territoire qui lui appartient. On a rarement assisté à un tel récital de mensonges, ressassé à longueur de journée par des gens qui nient l’évidence en marchant sur la tête.

Au Kosovo, on fabrique un Etat mafieux en arrachant une province à la Serbie, c’est-à-dire qu’on efface les frontières d’un pays souverain, mais on se souvient soudain de leur existence en Ukraine en refusant de rendre à la Russie un morceau de son territoire. On proclame que l’ère des ingérences est révolue au moment où on cherche à détruire un gouvernement à Damas et on en bricole un autre à Kiev. On met au pilori les malfaiteurs qui se moquent de la légalité internationale et de l’autorité des Nations Unies, alors qu’on ne fait que ça depuis des décennies dans des dizaines de pays minés par des subversions organisées, des révolutions de couleur ou des invasions armées.

Enfin – peut-être le plus ahurissant – on voit un ministre socialiste, censé représenter la gauche d’une démocratie, prendre le parti d’héritiers du nazisme, et un intellectuel juif, éloquent dénonciateur du moindre soupçon de racisme, faire l’éloge des pires antisémites actuellement en activité.

Un monde en folie. Où les pires “sanctionnent” les meilleurs. Va-t-on encore longtemps accepter d’y vivre ?

Louis DALMAS




L’aveugle de l’Elysée est le larbin d’Obama

OpérationpédalobisPeut-on imaginer plus éloquente illustration du délire que nous vivons ? A Clermont-Ferrand, 350 sans-abri ont dû camper dans la rue parce que l’Anef, l’association qui gère localement le 115 – le numéro d’urgence du relogement – n’a plus assez d’argent pour payer leurs nuitées d’hôtel. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres. Le constat est général en France car l’Etat ne rembourse pas ce qu’il doit. Cette crise du relogement est remontée jusqu’à la ministre Cecile Duflot qui a dû reconnaître “un dysfonctionnement de paiement pendant six mois”. La défaillance gouvernementale en matière de domicile promis à tous, a lieu au moment où le nouveau Tartarin de l’Elysée veut dilapider des millions d’euros dans une offensive qu’il mène seul en Europe, en satellite zélé des Etats-Unis. Il n’a pas d’argent pour faire du social, mais il en a pour faire la guerre. Pas d’argent pour aider à survivre, mais assez pour semer la mort. Comme pour son prédécesseur, la vanité du politicien promu chef des armées le pousse à prouver sa virilité par une nouvelle agression.

On pourrait rire de cette folie si elle n’était pas sanglante. La position officielle de l’Elysée sur la Syrie – relayée bien sûr par nos mass-medias dociles – est effrayante par son mélange de grotesque, de cynisme et d’aveuglement.

HollandeIL NOUS FAIT HONTERappelons quelques points à l’appui de ce jugement.

1) L’indignation frénétique qui s’est emparée du monde occidental à l’idée que seraient employés des gaz neuro-toxiques dans la bataille n’est-elle pas curieusement disproportionnée ? Certes, on a raison de dénoncer les barbares qui y ont recours, mais sont-ils si différents des sauvages qui ont atomisé des centaines de milliers de civils au Japon, ou plus récemment, qui ont fait des milliers de victimes innocentes en bombardant sans discrimination d’abord les Allemands, puis les Serbes, les Irakiens ou les Libyens ? Je n’ai pas l’impression que le malheureux estropié, démembré ou volatilisé distingue très bien la différence entre le nuage de sarin, l’explosion nucléaire ou la mutilation à l’uranium appauvri. Alors pourquoi ne condamner qu’un instrument de mort horrible ? On aimerait voir une indignation moins sélective, moins orientée.

2) Même observation en ce qui concerne le nombre de morts. Qu’on me pardonne cette sinistre comptabilité, mais ils se comptent par centaines de milliers avec l’engin nucléaire et par dizaines de milliers avec les bombardements conventionnels, et les bonnes âmes se révoltent devant les 350 victimes (selon les Anglais, ou 1.429 selon les Américains) de l’attaque au gaz du 21 août ! Etrange hystérie, d’autant plus suspecte que la “punition” du coupable – qui n’a pas encore été déterminé, soulignons-le – risque de faire plus de morts que l’attaque elle-même…

3) Le mélange de grotesque et de cynisme touche à un sommet avec la prétention d’agresser la Syrie au nom de la “communauté internationale”. A la veille de la réunion du G 20, Obama a eu le front de déclarer : “Ce n’est pas moi qui ai tracé la ligne rouge, c’est le monde. La crédibilité de la communauté internationale est en jeu.”  Incroyable prétention ! Quel monde ? Quelle communauté internationale ? L’ensemble dit “occidental” – on devrait plutôt dire “atlantique” – baptisé “communauté internationale”, représente moins d’un dixième de la population mondiale ! En additionnant les USA, l’Europe, en y ajoutant même le Japon et l’Australie, on obtient quelques centaines de millions d’âmes, alors que l’humanité en compte plus de six milliards. C’est ça, le “monde”, la “communauté internationale” ? Cette minorité dont on invoque le patronage, qui, d’ordinaire, ne représente qu’une faible portion de notre planète mais qui de plus, en l’occurrence, s’est réduite à une “coalition à deux”, tous les autres pays du petit ensemble s’étant désolidarisés de Washington et de Paris ! C’est ça la caution morale qui justifie de ravager un Etat indépendant ?

4) Quelques politiciens se sont félicités de la “fermeté” de la France, en affirmant qu’elle améliorait l’image de notre pays. Le justicier tricolore ferait un tabac dans les populations avides de délivrance “démocratique”. C’était l’illusion du Superman US de la Maison Blanche en Irak et en Libye, c’est le rêve du Batman de l’Elysée qui se voit triomphalement applaudi par les insurgés syriens libérés. En fait, la réalité est beaucoup moins rose. Du côté rebelle, on a renforcé le fanatisme musulman en assurant la domination d’Al Qaeda ; du côté gouvernemental, on a trahi une vieille amitié en prenant parti contre l’élu de Damas. Et de tous les côtés, l’avis est unanime : Fabius est un rat qui s’efforce de rugir, l’Occident est représenté par un criminel récidiviste suivi (ou précédé) par un chien. Si c’est ça, l’image “améliorée” de la France …

5) Comment ne pas être frappé par une évidence : la parfaite répétition du mécanisme occidental. L’objectif : éliminer toute résistance à l’hégémonie américaine. La méthode : criminaliser le chef d’Etat indocile. L’action : le renverser par tous les moyens, de la subversion à l’assassinat. La liste est d’un parallélisme limpide, les accusations d’une similitude flagrante. Milosevic, génocide des Albanais du Kosovo. Castro et Chavez, oppression dictatoriale. Gbagbo, autocratie insupportable. Saddam Hussein, Kadhafi, Bashar al Assad, massacres de leurs peuples. A chaque fois, des mensonges de propagande, des prétextes d’intervention fabriqués. A plusieurs reprises, une attaque illégale, forçant la main des Nations Unies ou se moquant des instances internationales. Dans le cas présent, des préparatifs de bataille sans même attendre le résultat de l’enquête de l’ONU.

Cette fois, la véritable “communauté internationale” (Russie, Chine, Inde, Amérique Latine, Afrique) commence à se lasser. Avec même la totalité de l’Europe.

Il n’y a que Hollande pour ne pas s’en rendre compte…

Louis DALMAS




La Syrie, cible de la désinformation

Le citoyen ordinaire n’a pas le temps de s’intéresser à la politique étrangère. Il a trop de problèmes à résoudre dans sa vie quotidienne. C’est une poignée d’experts ou de journalistes qui mâche l’information internationale pour lui faire avaler quelques idées simples. Le malheur est que chez nous, cette poignée de professionnels est cynique, aveugle ou incompétente. Cynique parce qu’elle relaie ouvertement la propagande américaine ; aveugle parce qu’elle ne décèle pas les objectifs et les méthodes de Washington ; incompétente parce qu’elle ne s’attache pas à la recherche de la vérité.

Ses idées simples vont toujours dans le même sens : celui du mythe dominant.

Nos grands médias – télévisions, radios, journaux nationaux – ne se posent jamais de questions. Une ligne de clichés étant établie, ils la suivent les yeux fermés. Milosevic était un dictateur ; Saddam Hussein menaçait l’univers ; Khadafi étranglait la Libye ; Gbagbo saignait la Côte d’Ivoire ; Ben Ali et Moubarak étaient des autocrates pourris ; Chavez est un tyran ; Poutine trahit la démocratie ; Lukashenko muselle la Bielorussie ; Ianukovitch verrouille l’Ukraine ; Hu Jintao étouffe la Chine dans un étau totalitaire, et Kim Jong Eun cadenasse la Corée du Nord. Aucune nuance, pas d’hésitation, jamais un doute. Tous ces hommes – bien différents pourtant – sont jetés en vrac dans le sac poubelle des pèlerins des droits de l’homme. Sur ordre américain. Je ne dis pas que tout ce qu’on leur reproche est faux. Je dis simplement d’une part, que ne figurent pas dans la liste quelques satrapes arabes, africains ou asiates, aussi autoritaires que les susnommés, mais dont la poigne de fer est agréablement graissée par le dollar ; d’autre part, que dans le cadre d’une information juste, chaque cas cité ci-dessus aurait du – ou devrait – être examiné sans passion, parti pris ou préjugé. Et surtout pas sous l’influence de Washington.

Le slogan vedette actuel de cette liste est “Assad massacre son peuple”. Une fois de plus, un jugement à l’emporte-pièce, repris à l’unisson par nos médias. Ne favorisant qu’un seul côté. De la droite à la gauche, à la télé et à la radio, dans la presse du Figaro à Libération, les comptes rendus n’émanent que de sources rebelles, les arguments du régime n’existent pas. Tout ce qui contredit la version du glorieux “combat pour la liberté” est passé sous silence. Les cris de victoire des opposants ont beau être invérifiables, et être démentis par de nombreux témoins sur place, les mises au point sont ignorées. Assad est le diable, comme l’étaient  ou le sont tous les “hommes forts” résistant à la mise sous tutelle de leur pays.

Cette partialité médiatique dissimule opportunément le but majeur de la stratégie impériale : se débarrasser de tous ces chefs d’Etats indociles. L’opération est menée par une entente USA-Arabie Saoudite-Qatar – soutenue par Israël qui voit avec plaisir l’affaiblissement de ses ennemis – et s’appuie sur la branche sunnite et wahhabite de l’islam. Le jeu est dangereux. S’adjoindre un adversaire déclaré pour des raisons tactiques est en même temps le renforcer. L’administration Obama croit pouvoir maîtriser l’expansion sunnite qu’il finance et arme contre Damas et Téhéran, d’une part en soutenant des terroristes qui ne perdent pas l’occasion de mordre la main de leur maître, d’autre part en achetant un islamisme soi-disant “modéré” qui se révèle pourtant partisan de la sharia. Pendant ce temps, le fanatisme religieux en profite pour gagner du terrain avec la destruction des régimes laïques qui entravaient sa propagation. Les organes les plus bruyamment partisans de la croisade “humanitaire” (dont les interventions militaires font à chaque fois plus de morts civiles que les soi-disant massacreurs qu’elle combat), sont obligés de reconnaître, à peine gênés, que l’opposition syrienne est truffée de mercenaires étrangers, de militants fondamentalistes et d’enragés d’Al Qaeda.

“Après seize mois de révolution, lit-on dans Libération des 4-5 août 2012, et plus d’un an de révolution armée, la Syrie risque de devenir une nouvelle terre de jihad, comme l’ont été l’Irak et l’Afghanistan. (…) Au moins deux organisations, liées à Al Qaeda, se sont déjà implantées dans le pays.”  Déjà l’International Herald Tribune du 31 juillet avait tiré la sonnette d’alarme. “L’opposition se radicalise, écrit le journal. Les jihadistes locaux et des groupes de combattants d’Al Qaeda y jouent un rôle grandissant et réclament une part de direction de la résistance. (…) La plus grande partie de l’argent alimentant l’opposition provient de donateurs religieux en Arabie Saoudite, au Qatar et ailleurs dans le Golfe, dont la générosité repose sur l’éducation salafiste.” Les rebelles renoncent peu à peu à déployer leur drapeau de l’indépendance nationale au profit de bannières religieuses.  Selon Thomas Pierret, de l’université d’Edinburgh, “Le problème du drapeau est un problème-clé. Ils sont sur une voie jihadiste et salafiste de rejet de la structure nationale.” Au profit de l’universalisme musulman.

Avec l’imprégnation confessionnelle de la rébellion, deux autres éléments importants de la réalité syrienne sont plus ou moins occultés par nos médias.

D’abord les préoccupations d’Ankara. La Turquie, qui fournissait le soutien logistique de l’offensive anti-Assad, commence à se préoccuper du renforcement kurde à sa frontière. “Le dirigeant du Kurdistan irakien autonome, Massoud Barzani, tenait il y a peu une réunion de conciliation à Erbil entre les différentes factions kurdes de Syrie. Bien que divisées, celles-ci, parmi lesquelles se trouve le PKK (mouvement kurde armé de Turquie), disposent d’armes et contrôlent déjà un pan de territoire jouxtant la Turquie. Ces développements inquiètent Ankara qui vient de masser des troupes à la frontière syrienne.” (Libération, 2 août 2012). Le New York Times du 31 juillet avait été encore plus net. “Les militaires turcs ont envoyé hier des troupes, des véhicules blindés et des batteries de missiles à la frontière syrienne. (…) Des morceaux de la Syrie sont tombés aux mains de milices kurdes et une région frontalière est contrôlée par des groupes de jihadistes dominés par des combattants étrangers puissamment armés. (…) Les autorités turques craignent que la Syrie ne devienne une tête de pont pour des militants kurdes résolus à provoquer un chaos en Turquie. (…) Le gouvernement turc considère les séparatistes kurdes comme la plus grande menace à la sécurité nationale. Depuis les années 80, des dizaines de milliers de personnes ont été tuées dans le conflit opposant le gouvernement au Parti des travailleurs kurdes (PKK). (…) Il y a un autre problème. Des centaines de combattants étrangers – venant de Libye, d’Algérie, d’Irak, d’Afghanistan et d’Europe – pénètrent en Turquie et s’en servent comme zone de transit vers la Syrie. La plupart disent qu’il mènent un jihad, une guerre sainte, dans le but de transformer la Syrie en un pur Etat islamique.”

Une seconde conséquence de l’offensive contre Damas est l’anéantissement du pluralisme syrien. Selon l’International Herald Tribune des 4-5 août, “les 2,3 millions de chrétiens, qui constituent environ 10 % de la population du pays, connaissaient sous la dynastie Assad une situation encore plus privilégiée que la secte chiite alaouite à laquelle appartient le président. (…) Alors que les armes et l’argent d’Arabie Saoudite fortifient l’opposition, 80.000 chrétiens ont été “épurés”, chassés en mars de leurs foyers dans la province de Homs par l’Armée syrienne libre. (…) Le comportement des rebelles a poussé un certain nombre de sunnis qui les avaient soutenus au début, à renouveler leur loyauté à Assad. Beaucoup d’entre eux qui considéraient le régime comme une kleptocratie le regardent maintenant comme le meilleur garant d’un pluralisme menacé. (…) L’apparente indifférence de la communauté internationale à la dégradation de la situation des minorités religieuses engendre un fort sentiment anti-américain chez les nombreux Syriens séculiers qui voient les Etats-Unis s’allier à l’Arabie Saoudite, la source du wahhabisme, contre l’Etat le plus résolument laïque du monde arabe. (…) Les groupes armés qui ont pris le contrôle de la rébellion, désormais contaminée par les combattants d’Al Qaeda et corrompue par l’argent saoudien, commencent à déplaire à bien des gens.”

Avec les chrétiens, on peut citer les druses dont 20.000, citoyens syriens, habitent le plateau du Golan annexé par Israël. Selon l’International Herald Tribune eu 8 août, ils vivaient bien sous le règne d’Assad et s’interrogent avec anxiété sur le sort qui leur sera réservé s’il est chassé du pouvoir.  

On ne voit pas grand’chose de tout cela dans les médias français. Le consensus de la désinformation y règne sans partage. Bashar al Assad n’est qu’un tyran assoiffé de sang. Ses sbires ont le monopole des atrocités. Les zones calmes de son pays sont ravagées par des massacres, malgré le déni des habitants. Les principales villes sont aux mains des insurgés, en dépit de nouvelles contraires. Malgré tout ce qu’on sait de son désordre, l’Armée syrienne libre, unifiée et disciplinée, vole de succès en succès. Un tel déluge d’approximations (pour ne pas dire de mensonges) ne fait que mesurer la médiocrité de nos médias.

Un mot pour conclure. On ne peut pas reprocher à l’opinion publique d’ignorer l’actualité internationale ou d’accepter passivement sa tendancieuse et unanime description. Elle a bien d’autre soucis que le sort d’Assad. Mais on peut en vouloir à ceux qui se targuent de rendre compte honnêtement (?) de cette actualité, de n’en évoquer ni la réalité, ni les coulisses, ni les manipulateurs, ni les dangers.

Louis DALMAS

Directeur de B. I.




Les islamistes : victorieux ou manipulés par les dirigeants occidentaux ?

Selon Raymond Ibrahim, de Front Page, plusieurs rapports de la presse arabe affirment que d’importants clercs musulmans commencent à réclamer la démolition des grandes pyramides d’Egypte, considérées par le sheik saoudien Ali bin Said al-Rabi comme des symboles du paganisme. Récemment, le sheik des sheiks sunnite de Bahrein et président de l’Unité nationale, Abd-al-Latif al-Mahmoud, a appelé le nouveau président égyptien Mahmoud Morsi à détruire une des Merveilles du monde Morsi n’a pas répondu mais en attendant, nous dit le New York Times, il n’a pas hésité à réclamer la libération d’Abdel Rahman, le “sheik aeugle”, un terroriste notoire emprisonné à vie en Caroline du Nord, et à s’engager dans un bras de fer avec les militaires, principaux gardiens de la laïcité nationale, dans le but de mettre fin à leur pouvoir.

Au Mali, “Hommelibre” rappelle sur Agoravox que Tombouctou, nommée “perle de l’Afrique” ou “Ville aux 333 saints” est aujourd’hui sous la domination des milices salafistes qui ont commencé à détruire les mausolées des saints. La destruction des sites sacrés de Tombouctou par des factions islamistes est d’une part une profanation de leur propre religion, d’autre part une bataille dans la guerre d’influence que se livrent les différents courants musulmans. C’est aussi une manière de terroriser les habitants et d’asseoir le pouvoir sur eux. ”Désormais, il n’y a que deux activités possibles à Tombouctou : aller à la mosquée et rester chez soi”, dit Hallé Ousmane, le maire, qui cache mal son dépit. Sa ville, inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, se meurt à petit feu. Les façades sont éventrées, les archives de l’administration ont été détruites, des bâtiments saccagés servent d’abris aux animaux.

En Libye, l’Humanité est à peu près le seul journal à rendre compte de la réalité. Alors que les autres grands médias encensent triomphalement le résultat d’élections qui ont vu 40 % d’abstentions et un récital de violences, l’organe communiste décrit un Conseil national de transition peinant à établir son autorité ailleurs que sur quelques quartiers de Tripoli et un pays en plein chaos aux mains des milices et des tribus. Libération note qu’aux yeux de plusieurs Etats africains, la guerre occidentale a déstabilisé l’ensemble du Sahel en provoquant une dissémination sans précédent d’armes en tous genres. Et pour preuve de la dérive religieuse du nouveau pouvoir-croupion, L’International Herald Tribune précise que le leader de la coalition “libérale” qui a remporté le scrutin, Mahmoud Jibril, a pris grand soin de rejeter publiquement l’étiquette “laïque” attribuée à son Alliance des forces nationales, et s’est dépêché de tendre une main fraternelle aux islamistes.

En Tunisie, les Salafistes n’aiment pas les artistes. Le Canard enchaîné raconte comment s’est terminée, le 10 juin dernier, la dixième édition du Printemps des arts. “La nuit même, des islamistes attaquent l’exposition, vandalisent et volent. le lendemain, à la télévision, le ministre des Affaires religieuses condamne les œuvres, qu’il n’a pas vues. Dans les mosquées, les imams appellent au lynchage des artistes pour apostasie, déchaînant la colère des jeunes islamistes dans tout le pays. Un mort, des dizaines de blessés ; des tribunaux, des postes de police, des bâtiments administratifs incendiés.”

En Syrie, les officiers français de la Direction du renseignement militaire (DRM) constatent que la présence d’Al Qaeda – qui est loin d’avoir disparu avec la mort de son gourou – est en nette progression. Non seulement ses combattants anti-Assad arrivent d’Irak, mais des centaines de djihadistes, dont certains formés au Kosovo, viennent de Libye, d’Egypte, de Jordanie et du Liban. Ils garnissent les rangs d’une rébellion financée et armée par de solides gardiens du culte comme l’Arabie Saoudite et le Qatar.

En Turquie, le célèbre pianiste Fazil Say, de renommée internationale, est poursuivi en justice pour avoir osé proclamer son athéisme dans un pays de plus en plus confessionnel. Il risque un an et demi de prison après avoir déclaré au grand quotidien Hürriyet : “La pression du conservatisme religieux est de plus en plus forte.” L’AKP, le parti islamique au pouvoir depuis 2002, accentue son emprise sur cet Etat membre de l’OTAN, après avoir affaibli la résistance laïque de l’armée.

Au Soudan, le nord de Khartoum, dirigé par l’islamiste Omar el-Bechir et son Parti du congrès national, a déclaré la guerre au sud de Juba, dirigé par Salva Kiir Mayardit et son Mouvement de libération du Soudan, refusant de voir son rival transformer sa nouvelle indépendance en affranchissement de la charia.

En ex-Yougoslavie, après le démantèlement brutal par l’Occident de l’Etat fédéral, la Bosnie a été livrée aux successeurs musulmans d’Izetbegovic et les stratèges de Washington ont fabriqué un pseudo-Etat islamique mafieux au Kosovo, après avoir écrasé sous les bombes les défenseurs orthodoxes serbes de la chrétienté.

Ces “avancées” musulmanes alimentent la crainte – et l’irritation – de voir se répandre une foi fondée sur les excès de la charia et le refus de l’indépendance laïque de l’Etat. Conservateurs et progressistes convergent dans la résistance à une confession qui contredit leurs convictions ou leurs valeurs : les uns redoutent un populisme de solidarité avec les démunis et de lutte contre la corruption qui pourrait menacer leurs privilèges ; les autres s’inquiètent de voir ignorés des acquis de civilisation qu’ils ont mis des siècles à conquérir. Le choc de culture s’exacerbe. Une nouvelle hantise remplace chez beaucoup la peur ancienne : le péril noir barbu a pris la place du péril rouge le couteau entre les dents.

Bloc contre bloc. Rome contre les barbares. La modernité contre la régression. Dans de nombreux esprits, le tableau est simple. Et la conclusion s’impose. Les politiciens qui nous dirigent sont aveugles ou demeurés. Obsédés par leur dévotion au credo technocratique, libéral et mercantile des Etats-Unis, ils ne voient pas le danger d’un alléchant substitut spirituel. Ils ne comprennent pas la force du ressort religieux. Et dans leur ignorance, ils ne mesurent pas les effets pervers de leurs compromis, les résultats désastreux de leur naïve défense des droits de l’homme, la pernicieuse irréalité de leur poursuite de la démocratie.

En fait, ceux qui sont de cet avis ont à la fois raison et tort. Il est vrai que la religion musulmane est très éloignée de nos conceptions laïques et républicaines. Il est vrai que ses fanatiques entachent leur militantisme de provocations, d’absurdités et de crimes. Il est vrai que leurs comportements d’un autre âge gagnent du terrain. Il est vrai que nos politiciens ne brillent pas par leur perspicacité. Mais ces constats élémentaires sont loin de rendre compte de la réalité. Avant de se lancer tête baissée dans l’impasse d’une réaction islamophobe à sens unique, il faut explorer l’envers du décor.

A première vue, l’énumération de la première partie de cet article prouverait l’échec d’une politique occidentale imprudente et mal inspirée. Mais une seconde version éclaire des coulisses plus complexes. Elle exige l’abandon de beaucoup d’idées reçues et de clichés de propagande.  Elle mérite un examen.

Notre Occident est dirigé par le tandem anglo-saxon où les Etats-Unis ont pris le guidon. Or les grosses têtes de Washington sont loin d’être toutes vides. Certaines d’entre elles poursuivent avec ruse et efficacité leur objectif majeur : assurer l’hégémonie internationale héritée de l’Angleterre. Ces soldats de l’empire savent que l’obstacle principal à cette domination mondiale est toute forme d’indépendance, qui peut se transformer en indocilité. D’où leur chasse à la souveraineté des nations et à leurs chefs indisciplinés. Ils ont agencé des coups d’Etats en Amérique du Sud. Ils ont mené des guerres contre la Yougoslavie, l’Irak, la Libye. Ils ont fomenté les “révolutions de couleur” en Asie centrale. Toutes dans le même but : supprimer les résistants.

Depuis longtemps, l’islam leur pose un problème. Une idéologie mobilise des masses qui échappent à leur Nouvel ordre mondial. D’une façon d’autant plus dangereuse qu’elle est spirituelle. Un inacceptable défi. Il leur faut en venir à bout pour sécuriser le colonialisme du dollar. Ce n’est pas une question de religion. La religion, ils s’en moquent. C’est une question de stratégie, de première place à consolider.

Comment y arriver ? Un moyen est classique : diviser pour régner. C’est là qu’il faut s’accrocher pour ne pas perdre le fil de l’intrigue.

Les “printemps arabes”, présentés comme des soulèvements spontanés de peuples avides de démocratie, ont porté au pouvoir les Frères musulmans et d’autres compagnons de route. Donc facilité en apparence l’extension de cet islam si redouté. Mais loin d’être le fruit de la bêtise politique, c’est l’aboutissement d’un plan mûrement prémédité, consistant à manœuvrer une partie de l’umma contre l’autre. C’est-à-dire, en l’occurrence, utiliser les sunnites bien pris en mains contre les chiites plus difficiles à manipuler. Comme l’écrit un géopoliticien réputé, le Dr Webster Tarpley : “La création d’un front sunnite uni sert de soutien à la stratégie fondamentale des USA et du Royaume Uni dans le Moyen Orient, qui est de former un bloc de pays arabes sunnites (notamment l’Egypte, l’Arabie Saoudite, les Etats du Golfe et la Jordanie) avec la participation d’Israël, qui combatte le front chiite iranien, comprenant la Syrie, le Hezbollah, le Hamas et diverses forces radicales.” Une stratégie qui a pour but d’abattre les deux derniers Etats indépendants de la région : la Syrie et l’Iran.     

Un article du célèbre journaliste Seymour Hersh, dans le New Yorker de 2007, intitulé “The Redirection” (la réorientation), donne une idée de cet envers du décor. Il y révèle que les Américains, les Saoudiens et les Israéliens collaborent derrière un paravent sunnite d’anti-sionisme factice ; que les Etats-Unis entretiennent un vaste réseau de militants et de terroristes (dont certains entraînés dans des camps d’Al Qaeda) ; que le clan Hariri au Liban, travaillant avec les Saoudiens et les Américains, a créé un refuge sur le sol libanais pour les groupes fanatiques engagés aujourd’hui dans la déstabilisation de la Syrie. Son analyse démontre que les Frères musulmans sont un instrument important utilisé dans l’effort US-saoudien-israélien de détruire la Syrie et l’Iran. Le programme a débuté sous Bush ; il se poursuit aujourd’hui sous Obama, prouvant ainsi la continuité de la politique impériale.

“Pour saper l’Iran qui est en majorité chiite, écrit Hersh cité par Land destroyer Report, l’administration Bush a décidé de reconfigurer ses priorités dans le Moyen Orient. Au Liban, l’administration coopère avec le gouvernement saoudien, qui est sunnite, dans des opérations clandestines destinées à affaiblir le Hezbollah, l’organisation chiite soutenue par l’Iran. Les Etats-Unis ont aussi participé à des opérations secrètes ciblant l’Iran et son allié syrien.”

Ces affirmations sont confirmées dans un rapport de 2009 du Brookings Institution, intitulé “Which Path to Persia” (quel chemin vers la Perse). Il y est précisé, entre autres : “Les Frères musulmans sont souvent décrits comme étant anti-israéliens, anti-US et anti-Occident en général. En réalité, ils sont – et ont toujours été – une création servile du développement dans le monde islamique de l’hégémonie de Wall Street et des financiers de la City. (…) Les Etats-Unis et l’Occident en général, considèrent le Proche-Orient comme rien de plus qu’un amas de débris de l’empire ottoman à être utilisé et exploité. Quand émergent nationalisme ou résistance, ses différents composants doivent être dressés les uns contre les autres dans des conflits meurtriers.”

Ainsi derrière une islamisation envahissante qui paraît être l’effet pervers d’interventions occidentales ratées, se dessine un vaste plan d’asservissement du Proche-Orient qui, lui, n’est pas loin de réussir. Sa motivation : la mainmise américaine, drapée dans le trompe-l’œil de la démocratie. Ses instigateurs : les USA, l’Arabie Saoudite, le Qatar, Israël, et quelques comparses gouvernementaux issus de “printemps” populaires préparés, infiltrés et contrôlés. Son but : l’élimination des Etats, des mouvements ou des leaders manifestant des velléités de souveraineté ou de résistance. Sa méthode : l’exacerbation du conflit entre sunnites et chiites. Ses acteurs : les chefs sunnites dont certains sont autorisés à vociférer leur hostilité anti-occidentale pour asseoir leur popularité, mais dont la majorité est tenue en laisse par la manne financière qui les rend obéissants.

Faut-il des preuves de tout cela ? Comme cela a été le cas pour la Yougoslavie, l’Irak et la Libye, les campagnes de propagande justifiant les agressions militaires des alliés occidentaux et de leur OTAN sont truffées de désinformations et de mensonges. Celle qui vise aujourd’hui la Syrie ne fait pas exception. Quoique rarement publiés dans nos médias bien conditionnés, les rapports se multiplient sur l’armement anglo-saxon des rebelles et la présence chez eux d’un nombre croissant de combattants étrangers. L’intervention déstabilisatrice, menée de l’extérieur, est évidente. Les Russes l’ont bien compris. Ils ont été roulés pour la Libye. Ils ne veulent pas l’être une seconde fois. Leur refus de lâcher la Syrie n’est pas seulement dû à leur besoin de protéger leurs liens économiques avec Damas ou de conserver leur base militaire navale en Méditerranée. Il est motivé par leur compréhension du menaçant plan américain.  

Et pour ceux qui accusent de “complotisme” les dénonciateurs de la stratégie US et de la réalité de son implantation arabe, qu’ils méditent une récente information d’actualité. Chez qui s’est rendu, pour sa première visite à l’étranger, le nouveau président égyptien Mohamed Morsi, frère musulman ne l’oublions pas ? Chez le roi Abdullah d’Arabie Saoudite. Pour faire allégeance et quêter de l’argent. On ne saurait mieux illustrer le pion qu’il est et la nature stipendiée de la confrérie.

Que conclure de ce tableau ? Que nos dirigeants occidentaux, téléguidés de la Maison Blanche, jouent avec le feu.

D’un côté, Ils trompent les non-musulmans en minimisant les avancées des fous de Dieu qu’il ont provoquées. En invoquant les droits de l’homme et un soi-disant affranchissement de l’oppression, ils ont détruit tout ce qui faisait barrage à l’intégrisme du croissant. Sous le couvert de la guerre au terrorisme, ils entretiennent les terroristes qui servent leurs intérêts.

De l’autre, Ils trompent les musulmans en les faisant croire au leurre d’une liberté dorée et d’une démocratie indépendante. Ils dressent les adeptes du Coran les uns contre les autres. Ils cajolent les plus frénétiques en les enrôlant dans leurs combinaisons tordues. Ils achètent les chefs de gouvernements croyants en arrosant de dollars leur bonne volonté.

Lincoln disait à peu près : “On peut tromper une personne tout le temps ; on peut tromper tout le monde pendant un moment ; mais on ne peut pas tromper tout le monde tout le temps.”

Un jour viendra où les peuples, non musulmans et musulmans confondus, se soulèveront pour lui donner raison.

Louis DALMAS

Directeur de B. I.




Crise économique, impérialisme américain, prosélytisme musulman : tour d’horizon avant les vacances

Tout le monde ne peut pas en profiter, mais l’été marque malgré tout pour beaucoup de gens un hiatus dans le déroulement de la vie habituelle. C’est l”occasion de faire un point de la situation.

La crise économique

Le tableau de notre Occident est dominé par une évolution majeure : la financiarisation de l’économie. C’est-à-dire la déréalisation de ce qui matérialisait la valeur de nos biens, services et activités. Les sacs d’or sont du folklore, le papier des accords a disparu, l’argent n’a plus d’existence concrète, la monnaie s’est détachée de son socle de production ou de travail. La vérité est passée du support palpable à l’entité imaginée. Un monde de virtualités maniables s’est créé en transformant l’économie “implantée” en une gigantesque tumeur de spéculation et de risque.

Dans ce monde de symboles manipulés, à la fois irréel et générateur d’effets incontrôlables, la voie s’est ouverte à un sentiment vieux comme le monde : la séculaire avidité des pillards en tous genres. Jongler avec des chiffres supposés et des montants fictifs, les faire artificiellement s’auto-reproduire, s’est trouvé soudain à la portée des plus inventifs et des mieux nantis. En l’occurrence, les détenteurs d’une richesse désormais informatisée et métaphorique, ces rapaces qui n’ont qu’un impératif : accroître leurs profits. Les banquiers.

Par quel moyen assouvir leur cupidité ? Simple : par une des plus vieilles façons de faire fortune, rentabiliser de plus en plus la dette. Toutes les dettes, celles des individus comme celles des Etats. Les intérêts étaient déjà le juteux bénéfice des créanciers. Multiplier les endettés augmentait la masse de ces rapports. Mais ils ont voulu trop faire. A force de créer des endettés, ils ont fabriqué des insolvables. La multiplication à outrance de ces derniers a provoqué une première explosion : la crise des subprimes. Celle-ci plus ou moins surmontée, les spéculateurs sont passés des particuliers aux gouvernements. Sans tirer la moindre leçon de leur premier égarement. D’hypothèses dangereuses en investissements douteux, de combinaisons sans scrupules en risques mal calculés, il s’est créé un formidable marché de la dette internationale, régi, comme le reste de l’univers néolibéral, par le dangereux laxisme du capitalisme sauvage. Cet univers est contrôlé par les géants de Wall Street et de la City de Londres.

L’évolution de la crise est limpide. En 2009, Goldman Sachs embarque la Grèce dans son aventure fatale par des conseils empoisonnés destinés à dissimuler son endettement. En février 2010, – a révélé le Wall Street Journal – un dîner réunit le puissant boursicoteur G. Soros et quelques spéculateurs de haut rang. Goldman Sachs, commettant un joli délit d’initié, décrit aux manieurs de hedge funds la situation de la Grèce. On décide d’attaquer l’euro en mettant la Grèce en faillite, conformément à un raisonnement d’une éblouissante simplicité : quand les obligations d’Etat coulent, les intérêts augmentent. L’engrenage meurtrier se met en route, la spirale des trous à combler s’enclenche, l’offensive gagne d’autres Etats fragiles (ou fragilisés). A la grande joie des banques qui non seulement se voient renflouées par les gouvernements affolés à l’idée de perdre leurs prêteurs, mais se gavent de bénéfices crevant les plafonds.

Voilà notre décor occidental, en cette première moitié de XXIe siècle. Une crise du capitalisme néolibéral, développée et entretenue avec soin par ceux qui en profitent.

Dans ce décor de trouble économique et financier, un étrange combat se déroule entre deux adversaires qui s’affrontent sur des plans différents. Les deux s’incarnent en une poussée à vocation mondiale, l’un au niveau temporel, l’autre au niveau spirituel. Leurs opérations s’interpénètrent dans la réalité géostratégique, mais leur nature est fondamentalement dissemblable.

L’impérialisme américain

L’élément dominant de la première poussée est l’impérialisme américain, animé par les colosses financiers. Il règne sur l’espace temporel. Celui de la matière. Et il est d’autant plus obligé de le faire que les Etats-Unis sont en état de survie désespérée : ils sont le pays le plus endetté du monde.

L’hégémonie impériale s’exprime de trois façons : utilitaire, politique et militaire.

1) – L’expression utilitaire concerne la défense du dollar et surtout les sources d’énergie. Leur découverte, leur conquête et leur possession sont l’essence de la stratégie internationale de Washington, qui enracine leur prise en main dans des implantations disséminées dans le monde entier. Cette appropriation agressive s’efforce de masquer son absence de scrupules par une rhétorique moralisante et démocratique, qui lui assure la complicité d’Etats dociles et le soutien de peuples bien conditionnés à la défense des droits de l’homme.

Ses résultats sont sécurisés et ses objectifs poursuivis de deux façons : politique et militaire.

2) – La méthode politique va des subversions organisées aux révolutions de couleur. Petit rappel. En Amérique Latine, le plan Condor, l’Ecole des Amériques. On y a fabriqué les sinistres dictateurs aux ordres de Washington, au Chili, en Argentine, au Paraguay, au Nicaragua, en Bolivie. Dans le reste du monde, les mouvements organisés sous la bannière des droits de l’homme. Renversement du Yougoslave Milosevic, putschs contre le Vénézuélien Chavez, révolution des Roses en Georgie, Orange en Ukraine, Citron ou Tulipe au Kirghizstan, soulèvements réussis ou ratés au Liban, en Moldavie, en Iran, en Biélorussie. Ingérences en Egypte, en Tunisie, en Côte d’Ivoire. Une série de déstabilisations fabriquées de toutes pièces par une longue liste de fondations ou d’ONG., avec la complicité des pays satellites, dont la France. Les plus connues étant l’Open Society de George Soros, USAID, le National Endowment for Democracy, l’International Republican Institute, le National Democratic Institute for International Affairs, Freedom House, entre autres.

3) – La méthode militaire comprend les guerres fomentées par les Etats-Unis et ses alliés, et menées par l’OTAN. Bombardement de la Yougoslavie, invasion de l’Irak et de l’Afghanistan, destruction de la Libye, opérations en Somalie et au Soudan, développement des assassinats par drones. Préparation de la guerre à la Syrie et à l’Iran. Encerclement par bases militaires de la Russie et de la Chine. Le principe de ces interventions armées est l’élimination de tout chef d’Etat manifestant des velléités d’indépendance, et accessoirement de tout opposant à la domination de l’empire. Le maintien anachronique et injustifié du bras armé de Washington, l’OTAN, permet au tandem anglo-saxon de jouer au gendarme du monde, menaçant constamment d’ingérence ou d’agression les souverainetés gênantes.  

Le prosélytisme musulman

L’autre poussée universaliste est spirituelle, religieuse. Elle conquiert et s’implante matériellement, elle aussi, mais de façon différente. Par quatre méthodes de travail qui se complètent : l’opportunisme, la solidarité, la démagogie, l’infiltration.

1) – L’opportunisme est facilité par la stratégie à courte vue de Washington. Dans leur ardeur à s’assurer leur ravitaillement énergétique, à se protéger des attentats et à conforter leur capitalisme de marché, les décideurs américains se sont imaginés que la suppression du pluralisme confessionnel pratiqué par certains leaders autoritaires (Milosevic, Saddam Hussein, Moubarak, Ben Ali, Kadhafi) et son remplacement par un pouvoir musulman supposé “modéré”, allait leur valoir la reconnaissance – et la servilité – de chefs islamiques faciles à manipuler. Ou leur permettre de tirer avantage de l’antagonisme sunnite-chiite en jouant une croyance contre l’autre. Fatale erreur. L’islam est une foi solide qui d’une part ne se laisse pas édulcorer, d’autre part surmonte ses divisions dans son hostilité d’ensemble à l’Occident. En voulant écraser toute souveraineté réticente, les cow-boys aveugles d’outre-Atlantique ont ouvert la porte de la fiction démocratique dans laquelle un islam toujours aussi convaincu s’est engouffré en jubilant.

Résultat : l’islamisation renforcée de la Bosnie, du Kosovo, de l’Irak, de l’Afghanistan, de l’Egypte, de la Tunisie, de la Libye, de la Côte d’Ivoire, du Soudan et du Mali. Par des variétés confessionnelles plus ou moins inspirées d’Al Qaeda. En un mot, une Bérésina générale pour les amateurs de liberté et de progrès.

2) – La solidarité est le point fort de l’islam. L’aide aux défavorisés est un pilier majeur de son action. Elle est réelle, remarquablement organisée en réseaux efficaces. Elle fait du culte coranique une véritable religion des pauvres. La troisième de notre histoire, après le christianisme et le communisme, a se présenter comme un secours aux démunis, un antidote à la misère et une voix des opprimés. L’unité populaire dans la révolte contre l’indigence a toujours été un mot d’ordre à succès. Les trois religions des pauvres, motivées par les ressorts de l’entraide et de la générosité, clamant leurs revendications sincères ou hypocrites, se sont propagées comme des traînées de poudre.

3) –  La démagogie. L’assistance au prochain est fille de la morale. Celle-ci est omniprésente dans l’islam, depuis la rédemption par le djihad et la répétition quotidienne des prières jusqu’à la conception rigoriste de la femme et la bigoterie sexuelle. Elle se manifeste en politique par un autre slogan mobilisateur : la lutte contre la corruption. Corruption de l’Occident, corruption des gouvernements, corruption des fonctionnaires, corruption des infidèles. Appeler les masses à éradiquer la corruption a toujours été une démagogie stimulante : les manifestations publiques et les prêches dans les mosquées ne s’en privent pas.

4) – L’infiltration est le procédé de propagation le plus subtil. Il consiste à se saisir, pour  se propager, de toutes les perches tendues par la légalité occidentale : le pluralisme républicain, le respect de la démocratie, le droit à la différence, le culte des minorités, la neutralité laïque, etc. L’islam jouit goulûment en France d’un ensemble de libertés qui n’existent pas dans la plupart de ses pays, à travers des lieux de culte, des associations, des lobbys ou des instruments de pression, tous abondamment financés par les monarchies pétrolières.

Elément de conclusion

En résumé, dans le cadre de la crise économique, nous subissons l’assaut de deux vagues : la vague de l’impérialisme US qui s’impose au niveau temporel de façon utilitaire, politique et militaire ; la vague de la religion musulmane qui s’impose au niveau spirituel par l’opportunisme, la solidarité, la démagogie et l’infiltration.

Mais attention. Ce gros plan binaire ne sert évidemment qu’à situer quelques grandes orientations. Il est loin de rendre compte de la réalité, qui est beaucoup plus complexe, et ne saurait induire à des généralisations, sources de prises de positions sectaires qui sont toujours absurdes. Tous les Américains ne sont pas impérialistes, tous les musulmans ne sont pas des fanatiques religieux. Loin de là. Les peuples, même s’ils en ont élu quelques-uns, ne doivent pas être confondus avec leurs gouvernements ou leurs leaders, surtout en matière de responsabilité pour leurs erreurs ou leurs excès. La répartition des convictions ne se fait pas selon des lignes nettes, dans des blocs aux contours précis. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les étranges rapports entre Etats qui entretiennent la confusion internationale : la Russie orthodoxe soutien de la Syrie musulmane ; l’Iran clérical du côté de la Syrie laïque ; la Turquie membre de l’OTAN en conflit avec Israël membre de l’OTAN ; le Vénézuela socialiste et la Chine communiste amis de l’Iran religieux ; l’Allemagne en solo aux prises avec le restant de l’Europe ; la diversité des membres du Groupe de Shangaï, pour n’en citer que quelques-uns.

Un point commun dans cette mosaïque : le gouffre qui s’est creusé entre les citoyens et leurs dirigeants. En témoignent les sursauts des “indignés”, les manifestations croissantes de révolte, les abstentions aux scrutins électoraux, les émeutes de la faim ou de la misère. Un peu partout la confiance faiblit, la colère fermente.

 

Quelle leçon en tirer ? Qu’il est de plus en plus nécessaire de s’opposer aux deux tendances majeures, en tenant compte des nuances d’application. Lutter contre l’impérialisme américain et le prosélytisme islamique, sans renoncer aux apports d’une riche culture et au respect de la foi individuelle. Et pour pouvoir le faire sans compromis ni concessions, maintenir l’indépendance et la souveraineté de notre République sociale, pluraliste et laïque, et mettre fin au pouvoir des banques en cassant une fois pour toutes la spirale de l’endettement Cela exige courage, fermeté, justice et bon sens.

Y a-t-il des forces, au pouvoir ou dans l’opposition, qui en sont capables ?

Louis DALMAS.

Directeur de B. I.   

    

 

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Quelques réflexions sur le terrorisme (2)

Dans mon article précédent sur le même sujet, j’ai évoqué le terrorisme couramment considéré comme le plus impressionnant, celui des fanatiques islamiques. Mais il n’est pas le seul. Il y en a un autre, masqué par le conditionnement de l’opinion publique, celui de l’Occident.

La stratégie occidentale de la terreur est moins évidente que l’islamique, car elle se recommande d’une culture que nous partageons. Bien des valeurs de l’Amérique sont les nôtres. Mais elle est aussi réelle, sinon plus, que celle de son adversaire. C’est une terreur massive de rouleau compresseur, en comparaison de la terreur pointue des fous de Dieu.

Si l’on se réfère à la définition du mot “terrorisme” donnée par le Larousse :  “Ensemble d’actes de violence commis par une organisation pour créer un climat d’insécurité, pour exercer un chantage sur un gouvernement, pour satisfaire une haine à l’égard d’une communauté, d’un pays, d’un système”, on s’aperçoit que cette définition s’applique parfaitement à la politique étrangère des États-Unis.

La “haine à l’égard d’une communauté ou d’un système”. Elle a été amplement démontrée par l’obsession anti-rouge de Washington, qui a poussé les gouvernements américains successifs à se faire depuis près d’un siècle les créateurs ou les complices des pires criminels. Tout ce qui pouvait frôler le socialisme de près ou de loin a été, pendant des décennies, l’ennemi à abattre par tous les moyens. En Indonésie, l’appui donné à Suharto a eu pour résultat le massacre de près d’un million de communistes. Au Chili, le soutien de Pinochet a conduit à l’assassinat d’Allende et à l’instauration d’un fascisme meurtrier. En Amérique Centrale et du Sud, l’appui donné aux “contras” ou aux “escadrons de la mort” a été marqué par des dizaines de milliers de victimes. Partout dans le monde, les plus rigides dictateurs, les régimes les plus oppresseurs, ont été systématiquement choyés, financés et armés dans une sorte de prolongement international du délire de Mc Carthy. Nous avons tous le souvenir des décennies de guerre froide, pendant lesquelles tout a été mis en œuvre pour contrer l’Union Soviétique et ses satellites, considérés comme l’enfer de la subversion et le cimetière de toute opposition. Et il ne fait aucun doute que la rage à l’égard du seul pays qui n’avait pas abjuré le socialisme à la suite de la chute du Mur de Berlin a été un des éléments de l’empressement avec lequel l’Amérique a emboîté le pas à l’Allemagne dans le dépeçage de la Yougoslavie.

Aujourd’hui la hantise se perpétue avec l’étranglement de Cuba, l’infiltration du Venezuela, les menaces à la Corée du Nord, l’encerclement de la Russie et la préparation d’une confrontation avec la Chine.

Toujours dans la définition du Larousse : les “actes de violence commis pour créer un climat d’insécurité”. Ils sont illustrés par les guerres de Washington, les sanglantes répressions des révoltes latino-américaines, l’agression de l’OTAN contre la Yougoslavie, l’écrasement de l’Afghanistan et de l’Irak, les subversions organisées en “révolutions de couleur”, la destruction de la Libye, le financement de l’opposition syrienne, tous ces coups de force qui ont entraîné beaucoup plus de morts civiles que l’histoire de tous les attentats terroristes réunis.

Enfin, les “actes de violence pour exercer un chantage”. On peut y assimiler le cynisme glacial avec lequel les États-Unis jouent de leur richesse pour mettre les gouvernements à leur service. La pression économique exercée par les instruments de la politique américaine que sont la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international, qui imposent de ruineuses réformes néo-libérales à des États déjà en crise en échange d’une aide financière, est une forme de terrorisme sourd et permanent beaucoup plus rentable que le recours ponctuel à une valise d’explosifs ou à une voiture piégée.

Voilà pour la définition du Larousse. Mais à côté du mot “terrorisme”, il y a le mot “violence”, aux variétés de laquelle l’Amérique a de plus en plus recours.

A l’échelle internationale, c’est la violence militaire. Les États-Unis consacrent à l’armement un budget supérieur aux budgets militaires de la Russie, du Japon, de la Chine, de la France, de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne, de l’Italie et de l’Arabie Saoudite réunis, et les opérations prolongées en Afghanistan ou en Irak leur coûtent des milliards de dollars. Les guerres, déjà menées ou à venir, désormais baptisées de “préventives”, qui soumettent le choix de l’adversaire à détruire aux vertiges d’un président ou à l’incompétence de ses services de renseignement, sont les instruments de la nouvelle colonisation du monde. Une colonisation que l’Amérique entend mener seule, indépendamment de l’ONU qui la gêne et de ses alliés quand ils hésitent, selon la formule de Richard Holbrooke : “Multilatéral quand on le peut, unilatéral quand il le faut.”

Cette colonisation est fondée sur deux ressorts : le profit et le pétrole.

Inutile de détailler le premier, il est dans la nature du capitalisme d’en vouloir toujours plus et le système de domination actuel de la haute finance, des banques et des multinationales est fondé sur ce que le capitalisme a de pire : le libéralisme du marché tout-puissant, qui ne s’accommode que de suppressions des frontières entravant les affaires, de déréglementations, de  privatisations, de rentabilité, de rachats à bas prix, de flexibilité du travail, de délocalisations, de “dégraissages”, de réduction des avantages sociaux, et autre principes qui entraînent la ruine des économies auxquelles ils s’appliquent. Avec la crise qui a ébranlé le système, le maintien des bénéfices passe aujourd’hui par la version nouvelle de l’étranglement des peuples : l’austérité et la rigueur.

Le ressort du profit peut être considéré comme un ressort “volontaire”. Il y en a un autre qui échappe à la gestion cynique du capitalisme : l’état de l’économie américaine. Celle-ci est condamnée à une terrible fuite en avant. En 2002, la dette publique américaine a atteint le montant insensé de 6.400 milliards de dollars (soit plus de 60 % du PIB de la nation, et son déficit commercial est de 462 milliards d’euros, ce qui signifie que l’ensemble de la planète produit pour les États-Unis et finance en partie sa consommation. Comme l’écrit Philippe Dessertine, dans un article de Libération du 18 janvier 2005 : “La croissance américaine se nourrit, autant qu’elle produit, de la dette. L’État fédéral creuse un déficit abyssal, auquel il convient d’ajouter ceux des États de l’union ; de plus, le déficit est chronique chez tous les acteurs économiques d’outre-Atlantique, privés ou publics, individuels ou collectifs. L’ensemble des balances est déséquilibré ; l’Amérique pratique une fuite en avant perpétuelle, et vit à crédit. Le reste du monde est plus que jamais contraint de financer le statut désormais unique de la superpuissance. (…) Le dollar échappe au précipice parce que l’Asie accepte jusqu’ici de venir à sa rescousse en absorbant des quantités industrielles de bons du Trésor ; la Banque centrale chinoise par exemple dispose de réserves énormes (un bon quart de son PIB) immobilisées en morceaux de dette de l’oncle Sam, très faiblement rémunérés, exprimés en unités monétaires fantoches, ce dollar sans résistance.”

Une situation de survie à crédit où la Chine, entre autres, représente le danger d’une exigence meurtrière : la contrepartie de sa monnaie de singe honorée soit par une prise de participation massive dans des entreprises américaines soit par des concessions géostratégiques qui modifieront l’équilibre de forces dans le monde. On comprend que Washington cherche à s’en préserver par des précautions militaires tout en persévérant dans sa course folle à l’aide des bouffées d’oxygène de guerres à répétition.

Quant au ressort du pétrole, il tient en quelques chiffres : les États-Unis ne possèdent que 3 % des réserves mondiales connues de pétrole ; 60 % de leur consommation est importée (dont 13 % des pays du Golfe) et, alors qu’ils ne représentent que 5 % de la population mondiale, ils représentent 25 % de la consommation pétrolière de la planète. Peu sûrs de contrôler le pétrole du Mexique ou de l’Amérique du Sud, où se manifestent de plus en plus de réticences, et confrontés aux décisions de l’OPEC dont ils ne sont pas tout à fait maîtres, ils se voient obligés de se tourner vers les bassins de l’Eurasie, notamment de la Caspienne, et les voies de transport balkaniques qui assurent l’acheminement de leur production. Inutile de rappeler les détails. Les livres de Pierre-Marie Gallois ou de Michel Collon ont démonté le formidable mécanisme qui va du maillage de la planète en bases militaires jusqu’à la préparation des révolutions “soft” qui modifient les régimes récalcitrants, en attendant les mesures plus musclées des Folamour du Pentagone à l’encontre de l’Iran, de la Syrie, de la Corée du Nord ou du Venezuela.

A l’échelle nationale, nous trouvons toutes les formes de violence civile. Les atteintes à la liberté des citoyens. La peur engendrée par le drame du 11 septembre a entraîné la mise en place aux États-Unis d’un régime policier dont les piliers sont les deux serrages de vis qui font le plus de mal à la démocratie : la répression et la censure. Prétextant les besoins de la loi martiale, Washington a installé le système totalitaire de la droite la plus conservatrice. La mobilisation anti-terroriste justifie tout : les mesures de sécurité renforcées, les précautions décuplées, les consignes données aux médias durcies. C’est le triomphe des soupçons, des contrôles, des dénonciations, de la méfiance raciste. Les visages basanés sont épiés, les barbus regardés de travers, les voisins surveillés pour leur accent. Avec la guerre et l’état de siège, la violence physique du côté occidental, militaire ou civile, ne le cède en rien à celle que nous avons décrite du côté musulman.

D’autant qu’elle se complète par la violence mentale du terrorisme intellectuel.

Comme les démocraties doivent prêter tout de même une certaine attention à leurs opinions publiques, elles sont obligées de trouver les explications qui fassent avaler les couleuvres de leur politique. C’est ainsi que la brutalité de la domination américaine, et la complaisance des gouvernements européens qui s’y soumettent, revêtent les masques vertueux de la protection des droits de l’homme, de l’ingérence humanitaire ou de la défense de la liberté.

Le contrôle du pétrole est travesti en sollicitude pour les Tchétchènes opprimés, les libyens sous la botte de Kadhafi ou les Syriens décimés par Bashar el Assad, ou en légitime défense contre Al Qaeda ; la complaisance pro-musulmane (sourires aux monarchies arabes en échange du soutien d’Israël) est travestie en respect de la différence, pluralisme des cultures ou protection des minorités ; la satanisation des Serbes et la destruction de la Yougoslavie ont été travesties en nécessaire anéantissement de la barbarie ; la fabrication du bouc émissaire Milosevic a été travestie en application de la justice ; les contraintes néo-libérales imposées aux économies sous peine d’assèchement de l’aide financière sont travesties en réformes indispensables à la modernisation ; l’élargissement de l’OTAN est travesti en bienfaisant établissement du nouvel ordre mondial et en garantie de paix ; le bombardement de l’Afghanistan et de l’Irak ont été travestis en libération des autochtones, désormais promis aux bienfaits de la démocratie ; la préparation d’une attaque de la Syrie, de l’Iran ou de la Corée du Nord est travestie en lutte contre le Diable et en sauvetage de la civilisation. On retrouve ici la dimension religieuse (l’Amérique est investie de la mission divine d’assurer la victoire du bien sur le mal), serinée à la partie croyante et conservatrice des électeurs.

Tout cela constitue un énorme bourrage de crâne reposant sur deux moyens classiques : le mensonge et le silence.

Le mensonge est la masse de fausses informations diffusées par les spécialistes de la communication et les porte-parole officiels. A ceux qui douteraient de la manipulation médiatique, les délires sur les armes de destruction massive en Irak ou sur les soi-disant menaces de Kadhafi sur la population de Benghazi, entre autres inventions, ont fourni des exemples éloquents. Mais peu se rendent compte que l’intoxication du public dure depuis des années. Il faut avoir le nez dessus, comme l’a eu depuis près de dix ans notre journal B. I., pour réaliser que nos politiciens, nos médias ou nos soi-disant intellectuels ont été – et sont toujours – capables de falsifications de faits, d’approximations volontaires ou de calomnies sans fondement à une échelle sans précédent dans l’histoire de l’humanité.

Le silence, lui, est celui auquel sont condamnés les dissidents privés de tous moyens d’expression. On ne les invite pas aux débats, on ne publie pas leurs articles, on ne fait même pas état de leurs lettres de rectification. Qualifiés de rouges-bruns, de négationnistes, de révisionnistes ou d’aliénés, ils sont marginalisés par les oracles officiels et les gourous de la pensée unique. La situation s’améliore un peu, au fur et à mesure qu’émergent certaines vérités et que les démentis se multiplient, mais pendant une décennie, tout opposant à la version standardisée du pouvoir était enterré vivant.

Ce terrorisme intellectuel est plus sophistiqué, plus insidieux, que celui des camions-suicide ou des lettres à bacilles. Mais il est aussi redoutable. Et il n’a pas fini de produire ses effets.

Voilà l’autre face du monde de la terreur. Ayant parlé dans le précédent article de la violence religieuse, j’ai voulu dire quelque mots de la violence impérialiste. Sans les confronter de façon simpliste. Avec le vœu que soit évitée toute généralisation. L’importance est inégale, les méthodes varient, les acteurs sont différents. Aucun bloc n’est homogène, aucune opposition n’est nettement tranchée. On ne peut ni confondre les fidèles avec leurs extrémistes, ni identifier les peuples à leurs gouvernements.

Mais on peut avoir une vue plus juste de la réalité en étant mieux informé.

Louis DALMAS.

Directeur de B. I.




Quelques réflexions sur le terrorisme

Il est difficile de parler de sujets comme le terrorisme, Al Qaeda ou l’islam – surtout depuis qu’ils sont devenus matière aux envolées électorales sur la sécurité – sans tomber dans une furieuse passion. Ils sont importants pourtant, et méritent d’être traités avec sérieux, au-delà des partis pris et des préjugés. C’est ce que nous allons essayer de faire avec les quelques remarques qui suivent.

D’abord, rappelons que les attentats qui ont plongé l’Occident dans une paranoïa sécuritaire depuis le dramatique 11 septembre 2001 aux États-Unis, ne sont que des épisodes spectaculaires d’une pratique bien connue. Le recours à la violence ciblée n’est pas nouveau. Il est l’arme des faibles qui s’attaquent aux forts. Quand on n’a pas les moyens de risquer un choc frontal, un coup précis peut déstabiliser l’adversaire en le privant d’un homme-clé ou en le frappant en un point vulnérable. Cette tactique a été souvent utilisée par des individus isolés ou des petits noyaux pour des raisons sociales ou politiques. Pour ne parler que de l’époque contemporaine, les anarchistes en France et les nihilistes en Russie ont connu leurs heures de célébrité. Depuis, bien d’autres extrémistes ont suivi leur exemple, comme Carlos et ses émules, les desperados de l’OAS ou les révoltés des Brigades rouges, persuadés que la mort semée au hasard donnerait un poids sanglant à leurs aberrations.

Mais ces attentats, malgré leur retentissement et leur nombre, n’ont jamais été que les sursauts spectaculaires de fous solitaires ou de groupuscules sans réelle influence. Leurs vagues se sont étiolées d’elles-mêmes dans le brassage des événements. 

Ils appartenaient à ce qu’on pourrait appeler le terrorisme classique. Depuis, un terrorisme nouveau est né, qui a changé de nature. Il est passé de l’acte plus ou moins isolé, à l’organisation rationnelle. L’ancienne protestation, souvent improvisée, s’est muée en véritable méthode de combat, faisant partie de la tactique d’ensemble d’une armée en guerre. On ne tue plus à la pièce, on aligne des séquences calculées. Le ponctuel s’est planifié. Le changement a commencé à être significatif pendant la guerre civile en Espagne, (le sabotage des ponts a même été le sujet du magnifique roman de Hemingway, “Pour qui sonne le glas”) puis est devenu manifeste dans la Résistance à l’occupation allemande, avec entre autres la célèbre “bataille du rail” des cheminots, dans l’affrontement du Pacifique avec les kamikazes japonais et dans le combat contre l’Angleterre pour la création de l’État d’Israël, avec les fameux groupes de l’Irgoun et du Stern.

Ce changement de nature du terrorisme, transformé en instrument militaire de la défense d’une cause, pose la question de cette cause. Celle-ci, s’avérant capable de mobiliser une armée dont les soldats sont prêts à se suicider pour elle, n’est pas négligeable. Bien loin de la balayer comme une éruption de satanisme, il faut l’examiner de près, tenter d’y distinguer ce qui fait sa force, faire le tri entre ce qui est juste et ce qui ne l’est pas.        

On peut dire que, dans notre partie du monde, la motivation principale de ce terrorisme organisé a été pendant longtemps nationaliste. Qu’il s’agisse des attentats basques en Espagne, catholiques dans le Royaume-Uni, kurdes en Asie Mineure, palestiniens dans le Proche-Orient, tchétchènes en Russie, corses en France ou albanais dans les Balkans, ils ont tous été inspirés par la revendication de la reconnaissance nationale d’une collectivité se considérant comme infériorisée dans un cadre étranger.

Mais là aussi, il y a eu évolution. Et surtout rencontre. Rencontre explosive, car il s’agit de la conjonction de deux motivations redoutables, de deux buts fortement mobilisateurs : celui de l’indépendance et celui de la justice sociale.

Là où ce phénomène s’est produit, les revendications territoriales se sont doublées de poussées d’émancipation politique et économique. La dénonciation de frontières mal tracées est devenue aussi celle d’une société intolérable. La libération du peuple coïncide avec la revanche des opprimés.

Or, qui représente le mieux aujourd’hui cet immense espoir qui dynamise les masses défavorisées dans le monde, sinon l’islam ? Après le christianisme et le communisme, l’islam apparaît comme l’exaltante croisade contre la richesse imméritée, l’égoïsme, la corruption, l’inégalité et la misère. Les chrétiens ont miné la puissance romaine, les communistes s’attaquaient au capitalisme et à l’opium religieux du peuple. Aujourd’hui l’islam voit dans le matérialisme et le pouvoir de l’argent, l’ennemi à abattre. Ses deux prédécesseurs s’étant affaiblis, il a pris leur place comme religion des exploités et des déshérités. Les estomacs vides remplissent les mosquées, comme ils remplissaient jadis les catacombes ou les cellules du parti. Et la foi des mal-nourris est un combustible qui se répand comme une traînée de poudre et enflamme une grande partie de l’humanité.

C’est ainsi que le nationalisme a vu s’affirmer dans divers endroits son incidence confessionnelle. Le message ethnique, élargi en message social, s’est imprégné d’un contenu religieux fourni par le culte le plus actif et le plus conquérant aujourd’hui, le culte musulman. Un exemple frappant de cette association peut se voir aujourd’hui au Mali, ou le mouvement indépendantiste national du MNLA, partisan du nouvel État de l’Azawad, partage la rébellion avec les salafistes d’Ansar Dine, truffés de membres d’Al Qaeda.

Si l’islam se bornait à prôner la vertu et à revendiquer la justice, nous pourrions tous être musulmans. Malheureusement, comme dans tous les dogmes, il y a le revers de la médaille. Sa conception du monde est inacceptable pour beaucoup d’entre nous. Elle se compose de principes qui suggèrent plus une régression qu’une avancée de l’esprit. Entre autres : l’axiome du déterminisme absolu de la volonté divine qui induit à la notion de fatalité ; la fusion du spirituel et du temporel dans la conception de l’État religieux ; la recommandation d’éliminer les infidèles ; la guerre sainte comme expression du devoir individuel ; la loi intangible aux sanctions disproportionnées (la Charia) ; la réduction de la femme à l’état de bibelot masculin. Lourde d’absolutisme et d’intolérance lorsqu’elle est interprétée de façon sectaire, elle conduit au terrorisme les plus convaincus de ses fidèles par un raisonnement simple : il n’y a qu’une vérité ; cette unique vérité doit triompher du mensonge ; comme ce dernier est partout, triompher du mensonge signifie conquérir le monde ; pour conquérir le monde, il faut anéantir l’ennemi ; pour anéantir l’ennemi, il ne faut jamais cesser de le combattre ; le combat incessant nécessite le recours à tous les moyens ; l’homme qui emploie tous les moyens est le héros qui accomplit la volonté de Dieu.   

L’obligation morale est donc parfaitement définie. Elle est conforme à la définition inconditionnelle d’Emmanuel Kant – agir comme si la maxime qui inspire votre action devait devenir, par votre volonté, une loi universelle – plus connue sous le nom d’ “impératif catégorique”. Or nous avons vu qu’un des principes de l’islam est la fusion du spirituel et du temporel, c’est-à-dire la politisation de la morale. Il ne suffit pas de recommander le dévouement abstrait du croyant, il faut situer son sacrifice dans le concret. D’où la pénétration religieuse de certains combats nationalistes, qui sont un terrain de manœuvre particulièrement bien adapté. Tout le monde s’y retrouve. Les croyants voient leur foi s’implanter dans la réalité. Les nationalistes donnent à leur politique le lustre de la moralité et trouvent des ressources matérielles dans le soutien de certains pays intéressés.

C’est ainsi que l’engrenage s’est mis en route. Comme à l’intérieur de chaque grande religion il y a des fanatiques, et que ce sont les plus durs et les plus bruyants qui entraînent les autres, les guerres locales de libération ont été fondues dans un djihad d’ensemble. La fabrication de guerriers dévoués, désormais méticuleusement endoctrinés, convaincus de s’immoler pour gagner le ciel, efficacement entraînés et armés, a pris de l’ampleur. Une internationale du terrorisme s’est formée, pouvant planifier ses frappes, déployer ses commandos de martyrs là où le besoin s’en fait sentir, c’est-à-dire partout où se mène la bataille contre les “incroyants”.

C’est ainsi qu’on retrouve des unités de cette armée, à la fois nationaliste et religieuse, un peu partout dans le monde. Le réseau de ces unités est souple, sûrement pas sous les ordres d’un commandement unique, ni même inspiré par des revendications identiques, probablement même pas administrativement homogène. Mais elles sont liées par une même interprétation du Coran, celle de la violence nécessaire. Elles affichent la même haine de l’infidèle, leurs intégristes pratiquent la même technique du clou de terreur planté dans un pli inattendu du ventre de l’adversaire. Et elles sont souvent constituées par les mêmes hommes qui passent d’un théâtre d’opérations à un autre pour mener le même combat. On les a vues en Bosnie, au Kosovo, en Indonésie, en Tchétchénie, en Libye ; on les voit en Égypte, en Tunisie, en Syrie et ailleurs.

Une telle mobilisation ne se fait pas sans raison. C’est là où il faut essayer de comprendre le contexte avant d’aveuglément condamner l’action.

Une première constatation est que l’islam végète après une période historique de gloire. On peut voir dans cet étiolement l’effet du carcan religieux qui a peu à peu ralenti l’évolution de la société. Le christianisme a connu ce passage de l’épanouissement à l’étroitesse. Pendant longtemps, la foi a inspiré de grandes œuvres de la littérature, de merveilleuses œuvres d’art. Puis, en se durcissant avec l’âge, l’Église a resserré son contrôle – ou plutôt ne l’a pas assoupli – en particulier sur le développement de la science. Elle a perdu le contact avec l’explosion de l’industrie, de la technique, des innovations dans tous les domaines. C’est ce qui est arrivé en islam. Le corset des écritures sacrées s’est refermé sur les expressions de l’initiative humaine. Les sociétés ont marqué le pas dans un présent qui n’arrivait pas à émerger de son passé.

Or, en Occident, la sclérose religieuse a volé en éclats avec les secousses des Lumières et de la Réforme. L’islam n’a pas connu ces tumultueuses mises à jour. Le décalage s’est accentué entre une modernité explosive et une tradition bloquée. Il est devenu de plus en plus visible – et irritant – avec les progrès de la communication. Le résultat est ce qu’on pourrait appeler une crise d’identité du monde musulman, teintée d’animosité pour le concurrent qui a mieux réussi.

On peut ajouter à cela le fait que les régimes autocratiques arabes interdisent pratiquement les oppositions politiques. Les seuls endroits où peuvent s’exprimer des opinions contraires sont les mosquées, ce qui renforce encore le rôle de la religion. Restée toute-puissante, à la différence de ses rivales, la croyance islamique s’enracine dans ces sentiments mêlés d’échec, de rancune et de frustration, qu’elle transforme facilement en haine par la voix de ses plus convaincus zélateurs. Haine pour l’Occident, qui tient en laisse des gouvernements arabes asservis. Haine pour la croissance économique qualifiée de mercantilisme, pour la facilité de vie qualifiée de débauche, pour la richesse qualifiée de mépris de la misère, pour la puissance qualifiée de corruption, pour l’individualisme qualifié d’indifférence à autrui. La contrepartie se conçoit aisément : la domination religieuse se perpétue par le culte de la vertu, de la fidélité au dogme, de la prière rédemptrice et de la solidarité. Et par la recommandation de combattre ceux qui ne respectent pas ces obligations, comme seul moyen de compenser la faillite dans le réel par la béatitude dans l’au-delà. Le message est fort : il mobilise facilement des croyants prêts à mourir pour lui.

Des leçons sont à tirer de ce rapide résumé. D’abord qu’il est absurde, comme toujours en matière de pensée raisonnable, de généraliser. Tous les musulmans ne sont pas arabes et, bien sûr, tous les musulmans ne sont pas des terroristes. Et tous les musulmans ne pensent pas la même chose. La preuve de ces évidences est qu’il y en a qui se battent cruellement entre eux. Et que probablement une grande majorité d’entre eux aimeraient pratiquer pacifiquement leur culte sans se battre du tout.

Mais le terreau menaçant du terrorisme subsiste. Les vrais problèmes – alimentaires, économiques, sociaux – les problèmes d’inégalité, de faim, d’oppression impériale, de géostratégie colonialiste et de pauvreté, ne sont pas résolus par la “guerre à la terreur” ou le Nouvel ordre mondial américain. Tant que l’Occident flattera les régimes les plus réactionnaires pour s’assurer ses sources d’énergie ; tant qu’il n’arrêtera pas d’éliminer les opposants laïques (mêmes chefs d’États) ; tant qu’il ne s’attaquera pas à une réduction de la misère de la plus grande partie de l’humanité ; tant qu’il ne trouvera pas les moyens d’ouvrir des voies populaires à une renaissance de l’islam en soutenant les soulèvements rénovateurs des divers “printemps” et en accordant une plus large audience aux voix musulmanes progressistes – il y en a, mais leur portée est faible ;  il s’exposera aux coups frappés par les plus féroces des gardiens du message sacré. Parce que ces derniers trouvent dans l’aveuglement ou le cynisme d’un Occident assoiffé d’argent, de profit et de pétrole la justification de leur violence.

Ce n’est pas en mettant le feu aux déserts ou en semant le chaos pour construire ses pipe-lines que l’Occident arrivera à s’en protéger.

Louis DALMAS

Directeur de B. I.




La troublante exécution de Mohamed Merah

L’affaire Mohamed Merah est loin d’être aussi claire que les grands médias voudraient nous le faire croire. “Mission accomplie“, titre le Figaro du 23 mars. A droite, pas d’hésitation. La version officielle est docilement adoptée. “Zones d’ombre”, titre Libération de la même date. A gauche, on se pose quelques questions. Mais, comme d’habitude, les deux me semblent omettre l’essentiel. Du côté gouvernemental, pas de doute. Dans l’opposition, des doutes approximatifs. Il faut donc essayer de jeter quelque lumière sur l’envers du décor.

Voilà un “ennemi public numéro un” repéré, cerné par l’unité d’élite du RAID et d’abondantes forces de l’ordre ; confiné sans pouvoir sortir ; privé d’électricité, de gaz, d’eau ; empêché de dormir par des jets de grenades ; ne pouvant ni s’alimenter, ni se reposer. Et on veut nous persuader qu’on ne pouvait en venir à bout qu’en donnant l’assaut et en le mettant à mort ?

Au moins deux interrogations sautent aux yeux. Parmi les mille façons d’immobiliser une cible, pourquoi pas un peu de gaz, lacrymogène par exemple ? Il y a d’innombrables variétés de gaz paralysants. Dans cet espace verrouillé, les spécialistes ne pouvaient pas en utiliser une pour faire perdre conscience à Merah ? Encore plus simple, avec un sujet dépourvu de tout, les assiégeants ne pouvaient pas attendre un jour ou deux de plus, qu’il s’effondre de lui-même par manque de nourriture et de sommeil ? ll y avait au moins deux possibilités de ne pas aboutir à une issue fatale.

Eh bien non. Les autorités ont préféré la spectaculaire mise en scène d’un assaut complètement inutile, d’un échange dramatique de coups de feu et d’une mort à la gloire des braves soldats de la protection du peuple. On a vraiment l’impression qu’il fallait tuer Mohamed Merah. Et le tuer d’une manière particulière. A l’avantage du pouvoir. Une exécution dont on peut facilement deviner les raisons.

D’abord empêcher l’assassin de parler. D’éventuellement expliquer comment un homme surveillé depuis des années par la DCRI, connu pour ses opinions et suivi dans ses déplacements, ait été tout à coup en mesure de commettre non seulement un, mais plusieurs attentats ? Étrange liberté d’action, en effet. De deux choses l’une : ou sa surveillance a été gravement défaillante, ou elle a été volontairement suspendue. Pire encore, parallèlement à l’endoctrinement religieux des talibans, y aurait-il eu une instrumentalisation française ? Une instrumentalisation ayant eu des effets pervers, et qui pourrait avoir échappé au contrôle initialement prévu ?

Ensuite éviter un grand procès public. Le passage devant un tribunal d’un criminel d’une telle vilénie aurait été massivement couvert par les grands médias. Il serait devenu une dangereuse tribune libre permettant à un fou de Dieu de jouer les héros pour ses débiles admirateurs. Il aurait permis la propagation dans le grand public d’arguments de propagande, capables d’impressionner les fanatiques en tous genres et les djihadistes potentiels.

Mieux valait se garder de tout risque et éliminer l’individu.

On ne peut négliger non plus le profit électoral tiré par Sarkozy de cette affaire. Pendant plusieurs jours, il est apparu partout comme un président qui unit et non plus comme un candidat qui divise. Il a déplacé les enjeux de la campagne, les faisant passer de la solution des problèmes économiques et sociaux à la nécessité de combattre le terrorisme et d’assurer la sécurité publique. Un joli tour de passe-passe qui remet au premier plan les éléments essentiels de son programme, en effaçant la faillite de sa politique et en lui conférant la stature de père de la nation.

Ne croyez-vous pas qu’on peut se poser des questions ?

Louis DALMAS




Les aveugles et les cyniques à la tête de l’occident

En période électorale, les gens s’intéressent plus à la politique que d’habitude. C’est donc un moment où il est utile d’en parler. Cela dit, l’attention se porte surtout sur la politique intérieure, qui nous touche dans le concret quotidien. La politique étrangère semble lointaine, hors d’atteinte. Pourtant, elle a autant d’effet, sinon plus, sur notre vie courante, sans que le public s’en rende compte. D’où la nécessité de profiter de ce regain de politisation pour dire quelques mots de la situation de notre monde “occidental”.

Un court état des lieux d’abord. Dans mes livres, dans notre journal B. I., et dans de fréquents articles, j’ai souligné deux aspects d’ensemble de notre Occident.

1) L’existence de deux grandes forces à vocation internationaliste.

Une force matérielle, économique, celle du capitalisme néolibéral de libre échange axé sur le profit ; animée par les États-Unis sous la forme d’une hégémonie impériale ; opérant soit pacifiquement par infiltration et pression, soit militairement par des guerres coloniales ; présentée comme une défense de la démocratie, de la liberté et des droits de l’homme sous la bannière d’un individualisme consumériste. Sa définition tient en deux principes : “Ce qui est bon pour les USA est bon pour le monde” et “il faut l’imposer par la paix quand on le peut, par la guerre quand il le faut”.

Une force spirituelle, religieuse, celle de l’islam ; animée par des pays arabes sous la forme d’une volonté de conversion mondiale ; opérant soit pacifiquement par prosélytisme et implantation légale, soit militairement par le djihad et des attentats terroristes ; présentée comme une lutte contre la corruption et une propagation de la vertu sous la bannière du collectivisme confessionnel de la Charia. C’est Voltaire, il y a deux siècles et demi, qui en a trouvé une bonne définition : “Je vous demande la liberté au nom de vos principes et je vous la refuse au nom des miens.”

Ces deux forces ne sont bien sûr pas homogènes. Des variétés sont en conflit de chaque côté, ne serait-ce qu’entre fanatiques et modérés : du côté matériel entre colombes et faucons par exemple, du côté spirituel entre sunnites et chiites pour ne citer qu’eux. Mais pour l’essentiel et en gros, si l’on tient compte des concessions et complicités de tous ordres, elles concrétisent un réel antagonisme de civilisation.

2) L’approfondissement d’un gouffre séparant les dominants de leurs dominés. Le fossé s’est creusé  entre une pellicule de fortune et de pouvoir et la masse de la population. De plus en plus, les riches vivent dans un monde à part, sur une planète protégée sans commune mesure avec le restant de la société ; les gouvernants prennent des décisions dans des sommets étanches, fréquentés par un microcosme aux ordres, en méconnaissance totale des intérêts et des opinions de la sphère plébéienne. Un abîme sépare une micro-classe de nouveaux seigneurs de la bourgeoisie moyenne et du prolétariat, désormais confondus dans le même asservissement, dans le cadre d’une inégalité jamais atteinte dans le passé.    

C’est à l’aune de ce double aspect de rivalité de culture et de fracture sociale qu’il faut mesurer les résultats internationaux des deux dernières décennies. Le bilan vaut le détour.

• Une crise économique sans précédent. L’explosion d’un système où la virtualité de la financiarisation a pris la place de la réalité de la production et du travail, et où l’argent impose son culte en dieu unique et tout-puissant. L’explosion a ébranlé notre espace. Les victimes se multiplient. Mais nos dirigeants (je parle aussi bien des Américains que de leurs complices français ou européens, tous ceux de la croûte dominante) ne voient pas qu’elle a atteint les fondations de l’édifice. Ils ne voient pas que l’édifice s’écroule. Ils veulent le sauver avec un replâtrage des lézardes et une couche de peinture, mais personne ne veut en construire un autre à sa place. Le règne des banques doit être perpétué par le procédé classique du trou creusé pour en boucher un autre, on s’endette pour payer les dettes, on réforme un peu en surface mais on se garde bien de secouer en profondeur.

• Une Europe conçue dès le départ dans le secret de la diplomatie au bénéfice des transnationales, par dessus la tête des peuples, piétinant les histoires et les singularités, grevée d’une bureaucratie dictatoriale et coûteuse qui rogne avec incompétence la souveraineté des États. Nos dirigeants ne voient pas la fragilité de cette construction prématurée et artificielle, ils s‘efforcent d’en maintenir la fiction au mépris de toute démocratie, en la gonflant même de nouvelles recrues.

• La Yougoslavie, un des fondateurs des Nations Unies, le pays le plus pluraliste d’Europe, fragmentée en mini-républiques dépendantes de l’aide bancaire, dont une est raciste (la Croatie), deux autres musulmanes (la Bosnie et le soi-disant Kosovo) et une dernière ruinée (la Serbie). Nos dirigeants, envoûtés par la campagne de diabolisation des Serbes entretenue pendant dix ans par un quarteron d’intellos irresponsables, n’ont pas vu qu’ils installaient l’islam au cœur de l’Europe et qu’ils réduisaient à l’état de satellites aux abois la Roumanie et la Bulgarie, après avoir ravagé les environnements par des bombardements à l’uranium appauvri.

• L’Irak, un grand État laïque où cohabitaient pacifiquement diverses confessions et dont le ministre des Affaires étrangères, Tarek Aziz, était un chrétien, détruit et livré à une guerre larvée de factions islamistes sur les cadavres de centaines de milliers de victimes. Nos dirigeants, abusés par de fausses informations, n’ont pas vu qu’ils privaient l’Occident d’un précieux bastion de rationalité, au sein même de l’islam, pouvant utilement freiner l’exaltation des militants religieux.

• L’Afghanistan, que les Soviétiques avaient tenté de moderniser, repoussé dans l’anachronisme tribal et le désordre primitif par une agression perdue d’avance. Nos dirigeants n’ont pas vu qu’ils enrichissaient le terreau de la ferveur nationale et religieuse, autrement dit qu’ils renforçaient avec efficacité leurs prétendus ennemis talibans.

• La Libye, siège d’une remarquable expérience de socialisme d’État menée par un chef original mais exceptionnel, plongée dans le néant par une guerre criminelle et un honteux assassinat. Nos dirigeants, se fiant à des renseignements tendancieux, n’ont pas vu qu’ils livraient un pays riche et avancé aux excès et aux désordres de bandes infiltrées par Al Qaeda.

• L’Égypte, la Tunisie, où des soulèvements populaires ont illustré la fracture sociale citée plus haut. Nos dirigeants y ont discerné un moyen de redorer leur moralisme droitsdel’hommiste en aidant à expulser ou à affaiblir des chefs d’États qualifiés de “dictateurs”. Ils n’ont pas vu que ce faisant, ils ouvraient la porte à la pénétration des Frères musulmans ou des affidés d’Ossama Ben Laden, tenus en laisse par les présidents expulsés.

• La Syrie, où l’on est accablé de voir se répéter la même arrogance dans l’erreur de jugement. Là encore, un solide bastion de laïcité est attaqué sur la foi de mensonges orientés. Nos dirigeants ne voient pas qu’ils offrent aux extrémistes d’Allah une nouvelle tête de pont en liquidant un des derniers chefs d’État capables de réfréner leurs ardeurs.

L’énumération n’est pas exhaustive. Il y a encore la ruine de la Grèce par des financiers de Wall Street, les révolutions “de couleur” ratées en Asie centrale ; l’échec du blocus de Cuba et des coups d’État fomentés au Venezuela ; la farce de la reconquête coloniale de la Côte d’Ivoire ; les interventions de plus en plus impopulaires en Europe centrale et dans le restant de l’Afrique.

Au cours des deux dernières décennies, nos dirigeants américains et leurs valets européens ont accumulé contre-performances et effets pervers. Leur économie est à l’agonie ; leur Europe imaginaire se décompose ; leur système social bat des records d’inégalité et d’injustice. Pour assurer la paix, ils ont fait cinq guerres. Pour se conformer à la charte de l’ONU, ils détruisent les nations indépendantes. Pour prouver leur humanisme, ils affament ou tuent des populations entières par leurs sanctions et leurs embargos. Pour défendre les droits de l’homme, ils facilitent la propagation d’une religion d’intolérance et de soumission. Bref, ils ont suscité les effets diamétralement opposés à leurs credo affichés. Le contraire absolu et direct de toutes leurs prétendues convictions.

Et tout cela, parce qu’ils n’ont rien vu ?

Bien sûr que non. Ou du moins pas seulement. Certes un grand nombre de nos politiciens des deux côtés de l’Atlantique ont, en maîtrise de politique étrangère, un niveau mental consternant. Leurs connaissances en histoire et géographie égalent celles d’un cul de jatte en matière de course à pied. Quant à celles des journalistes, soi-disant préposés à leur information, elles avoisinent celles d’un handicapé complet.

Mais attribuer le désarroi actuel de l’Occident seulement à l’ignorance ou l’aveuglement du microcosme est une lecture superficielle des événements. L’analyse est juste, mais insuffisante. L’état de notre monde n’est pas seulement dû à des erreurs, il est aussi le résultat de calculs. Dans le dos des guignols qui occupent le devant de la scène, il y a des gens qui sont loin d’être stupides et qui savent ce qu’ils font. Pénétrer leurs visées engendre une seconde lecture, particulièrement intéressante. On y réalise que les épisodes d’actualité dont nous avons dressé plus haut la liste et que nous avons qualifiés de désastreux peuvent aussi être interprétés, dans une vision du monde différente, comme des réussites. Chercher ce qui se trame derrière la façade n’est pas verser dans le “complotisme” : c’est simplement constater qu’une partie de la caste au pouvoir raisonne selon des critères particuliers, cachés au public. Or, selon leur échelle de valeurs, la situation n’est pas si mauvaise que cela.

Comment en arrive-t-on à ce constat ?

Notre Occident est dirigé par Washington. C’est donc la doxa des maîtres d’œuvre de Washington qu’il faut décortiquer. Leurs trois préoccupations, qui déterminent les objectifs de tous les serviteurs dociles de l’atlantisme, sont le profit, l’hégémonie et l’énergie. Dans les trois domaines, des succès sont évidents.

• Le profit est assuré par la gestion traditionnellement capitaliste de la crise. Les banques sont renflouées, les grandes sociétés affichent de nouveaux bénéfices, les actionnaires retrouvent leurs dividendes et les grands patrons leurs fabuleux émoluments, les gouvernements aux ordres décident de rigueurs appliquées aux plus démunis, l’argent est récupéré en haut lieu par la compression du citron populaire dans l’étau de l’austérité. Le système est malade, mais les médecins prospèrent.

• L’hégémonie est assurée par la disparition du principal obstacle : l’État indépendant. La plupart des pays moyens qui ont voulu défendre leur souveraineté ont été détruits (Yougoslavie, Irak, Afghanistan, Côte d’Ivoire). Ceux qui restent sont menacés (Hongrie, Ukraine, Belarus, Amérique latine). Les deux gros (Russie, Chine), sont l’objet d’une diffamation orchestrée. En ce qui concerne le monde musulman, on flatte l’islam dit “modéré” après avoir supprimé les leaders qui en limitaient la version violente. Ne demeurent – autour de la Méditerranée par exemple – que des gouvernements affaiblis faciles à contrôler financièrement (Égypte, Tunisie, Maroc) ou un chaos ne représentant plus  aucun danger pour les intérêts impériaux (Libye). L’Iran et la Syrie sont sous le feu bien organisé de la communauté internationale. Quant à l’Europe, elle patauge trop dans son incohérence pour être un concurrent géopolitique sérieux.

Notons en passant, une fois pour toutes, que dénoncer la chasse impérialiste à l’État indépendant n’est pas prendre le parti de gouvernants autoritaires dont le régime est souvent contestable. C’est simplement souligner un des traits caractéristiques du Nouvel ordre mondial imposé par les États-Unis. 

• L’énergie n’est pas encore totalement assurée, mais elle est alimentée par le pillage des pays colonisés. Son transport est sécurisé par la satellisation des pays traversés par les pipe-lines et les vastes projets d’en construire de nouveaux. La prospection des sources se fait de plus en plus intense et la protection des champs exploités est renforcée par l’encerclement stratégique croissant, à coup de bases militaires, de la Russie et de la Chine.

Sous le couvert moralisant du combat pour la démocratie et les droits de l’homme, les initiés qui tirent les ficelles poursuivent avec efficacité leur travail de domination mondiale. Il faut avoir présent à l’esprit cette double lecture : les désastres causés par les aveugles sont sous-tendus par les progrès réalisés par les cyniques. Les uns créent dans la stupidité notre enfer, les autres préparent avec intelligence leur paradis. 

Notre Occident est un théâtre étrange où se joue une pièce sans fin qui se récrit de jour en jour.  Des acteurs naïfs interprètent ce que voit le public. Des auteurs astucieux composent, en coulisse, des rôles discrètement renouvelés. Acteurs et auteurs sont souvent bousculés par la réalité.

Peut-on prédire l’évolution de cet ensemble ? Non. Je ne lis pas dans une boule de cristal. Mais on peut en envisager deux éléments majeurs : une probabilité et un risque.

• La probabilité est l’explosion sociale. L’abîme entre le couvercle richesse-pouvoir et la masse paupérisée a commencé à produire des effets dévastateurs. Les révoltes de la faim dans le tiers monde, les manifestations des indignés, les printemps arabes, les grèves contre l’austérité, les troubles des banlieues, les abstentions aux élections, sont autant de signes précurseurs. Il viendra un moment où le déséquilibre économique et social ne sera plus supportable et où les insurgés s‘organiseront pour venir à bout de l’oligarchie des profiteurs. Certes la caste dominante, avec son formidable outillage de conditionnement de l’opinion publique, a plus de moyens de préserver ses privilèges que n’avait la monarchie lors de la Révolution française, mais le feu qui couve se répand en profondeur et son éruption a des chances de démolir la bastille de l’argent dans un gigantesque incendie.

• Le risque réside dans ce qui pourrait faire avorter cette explosion et que préparent dans l’ombre quelques puissants apprentis sorciers : une troisième guerre mondiale. Pas une guerre partielle ou locale, comme en Yougoslavie, Irak, Afghanistan ou Libye. Une guerre planétaire, la grande, celle qui détruit tout et permet aux survivants (s’il y en a) de reconstruire. Ne croyez pas que j’affabule, le risque est réel. Pour deux raisons.

1) Chacun sait que la guerre est la purge globale qui remet l’économie sur pied en la faisant repartir de zéro. Quand la crise devient pacifiquement insoluble par les manipulations du capitalisme, l’apocalypse militaire reste la seule solution. Pendant qu’elle dure, elle enrichit ceux qui l’alimentent. Une fois terminée, elle crée un eldorado pour ceux qui en réparent les dégâts. La saignée introduit à la bouffée d’oxygène, le malade purifié (et exsangue) retrouve la santé. Or la faillite du système actuel reproduit ce cas de figure, souvent répété au cours de l’Histoire : une pourriture qui se meurt doit être éliminée par la chirurgie. Ce raisonnement d’aliéné commence à gagner certains cercles. On y observe froidement qu’en deçà de la terreur atomique, les partisans d’une guérison draconienne disposent d’armes de plus en plus sophistiquées : des bombes capables de percer les plus épaisses protections, des drones meurtriers commandés à distance, des avions invisibles, des satellites manœuvrés de l’espace, des virus indétectables, des équipes d’assassins de mieux en mieux entraînés, entre autres. Autrement dit, si on déclenche la guerre, on est sûrs de la gagner. Forts des progrès de cette technologie criminelle, il y a des malades mentaux qui sont gagnés par cette vision idyllique et tordue du massacre salutaire.

2) Des fous encore plus dangereux trouvent que le monde est trop peuplé par rapport à ses ressources. Le dépeuplement massif consécutif à une bonne guerre nettoierait la planète de quelques millions de bouches à nourrir superfétatoires (et de quelques millions de révoltés gênants). La encore je n’invente rien. Les partisans d’une resucée moderne du malthusianisme n’osent pas rendre publique leur sinistre opinion, mais ils existent dans le secret des bureaux feutrés. Les partisans de la richesse moins dilapidée rejoignent ceux du profit à tout prix dans la glaciale vision d’un avenir “dégraissé”.

Qui fera la guerre ? Si elle éclate, je crois, à la différence de Huntington, qu’elle sera plus matérielle que spirituelle pour les deux raisons indiquées ci-dessus. Elle résultera plus des excès de l’impérialisme que d’une boursouflure du Coran. Certes, une incidence religieuse s’y manifestera dans la composition des forces en présence, mais elle n’en sera pas la cause principale. D’ailleurs, peu importe ce genre de supputations. De toute façon, une considération domine tout le reste : si la guerre a lieu, elle portera un coup fatal à l’humanité.

Conclusion, nous arrivons peut-être à la croisée des chemins. Révolution ou guerre. Bouleversement ou génocide. Les aveugles et les cyniques qui nous dirigent semblent nous avoir condamnés à un choix existentiel : prendre le pouvoir ou disparaître.

Espérons que les peuples voudront plutôt se soulever pour vivre que se résigner à mourir.  

Louis DALMAS

Directeur de B. I.