Dans le même esprit de la pensée unique, ceux qui nous gouvernent depuis la fin des années 70, qu’ils soient de gauche ou de droite, ont fait de l’inflation un tabou. La moindre stratégie Economique qui en admettrait la perspective sert de repoussoir absolu pour les libéraux et pour le patronat. Ils s’appuient sur un argument qui paraît indéniable à première vue : l’inflation serait préjudiciable à l’ensemble de la population car elle diminue drastiquement son pouvoir d’achat.
Inflation veut dire augmentation des prix, ce qui semble être effectivement synonyme de baisse de pouvoir d’achat pour la population et surtout pour les classes défavorisées. Ce que l’on ne nous dit pas c’est que le préjudice l’est davantage pour les prêteurs, banques et financiers. Pour comprendre le mécanisme le mieux est de revenir à un modèle extrême, celui des années 1920 en Allemagne, qui ont suivi l’armistice de 1918. L’inflation avait une allure exponentielle, celle où la population voyait fondre la valeur de sa monnaie de plus en plus vite. En effet, parmi les conditions de la capitulation allemande, figurait une clause de remboursement des dommages de guerre que le vaincu devait payer aux vainqueurs, en l’occurrence à la France et à l’Angleterre. Comment un pays exsangue, qui avait tout mis dans la grande industrie pour répondre à l’effort de guerre, pouvait-il faire face à cet engagement qui était considérable ?
La solution évidente pour régler cette dette était d’émettre de la monnaie : fabriquer des D.M, avec la planche à billets. Or, on sait que plus il y a de monnaie en circulation (pour la même production) moins chaque unité, ainsi divisée de la masse monétaire, a de valeur. La masse monétaire que l’Allemagne payait aux vainqueurs a été réintroduite sur place : en effet qui aurait voulu de cette monnaie ? Il était logique pour les producteurs et commerçants qui avaient du mal à faire face aux besoins de la population, pour compenser la perte de la valeur de leur marchandise, d’augmenter leur prix à chaque nouvelle baisse de la valeur du D.M. Ce fait permanent, incitait par là même à la montée des prix par anticipation. Et ainsi de suite dans un cycle devenu infernal : plus la valeur du D.M baissait, plus les prix montaient. Par effet boomerang, les producteurs, pour maintenir leur profit devaient également monter leurs prix dans les mêmes proportions.

Tout le temps que le flux de remboursement aux alliés se poursuivait, cette course à la fabrication de monnaie continuait. Faisant perdre de sa valeur, de plus en plus rapidement au D.M. au point qu’on a vu des consommateurs remplir des brouettes de billets pour faire leurs courses quotidiennes. Bien entendu, les ouvriers de l’industrie de guerre, non encore reconvertie en industrie de production traditionnelle, ainsi que les militaires démobilisés ne trouvaient pas de travail. Ce chômage excessif accentuait la faiblesse de la production qui poussait également à l’inflation des prix. Dans un tel contexte, ceux qui travaillaient, devant la perte du pouvoir d’achat de leur salaire, ont vainement tenté d’obtenir des augmentations de la part d’un patronat dont le capital avait généralement disparu. D’où une profonde misère qui a duré jusqu’à ce que la France et l’Angleterre, devant un tel désastre acceptent d’arrêter la demande de remboursement avant son échéance. L’Allemagne a pu ainsi se redresser, refaire partir sa production, notamment dans l’industrie lourde, y compris l’industrie de l’armement avec ce qu’on sait des suites : la deuxième guerre mondiale.
On comprend que l’Allemagne a toujours tout fait pour éviter d’entrer à nouveau dans un pareil cercle vicieux, notamment en faisant de sa monnaie, et pour les mêmes raisons, celle de l’Euro qui l’a remplacée, une monnaie stable et forte, en évitant toute augmentation importante de la masse monétaire.
La France, pour des raisons différentes a connu également une période inflationniste. Celle des trente glorieuses de 1945 à 1975. L’augmentation de la masse monétaire en circulation venait, contrairement à l’exemple précédent, des liquidités du plan Marshall, de prêts et dons. Le développement fondé sur la demande, passait par les investissements dans tous les domaines, mais en particulier dans le bâtiment, entraînant certes une inflation importante allant jusqu’à deux chiffres, mais sans commune mesure avec l’exemple précédent, car étalé dans le temps. Le retour des prisonniers de guerre, les énormes besoins de reconstruction, devaient être satisfaits par les entreprises qui ne pouvaient qu’engager les ouvriers et employés, pour faire face à cette forte demande de production. Ils ont obtenu les salaires qui augmentaient au fur et à mesure que la production augmentait. C’est dans ce cas la masse salariale qui est la source de l’augmentation des prix. Or pendant quelques années, après 1950, ces prix ont été bloqués par l’Etat Français, pour éviter l’effet ricochet alternatif entre les deux augmentations, salaire-prix mais à l’avantage du premier car il fallait pouvoir répondre aux besoins de production en hausse permanente. La croissance aidant, le pouvoir d’achat réel des salariés a augmenté pendant les trente glorieuses, en moyenne de 5% par an. On est loin d’une inflation pernicieuse qui défavoriserait les masses laborieuses.
Par ailleurs, afin de satisfaire la demande de construction et d’investissements industriels, les prêteurs dont les taux d’intérêt étaient assez bas, et sous la contrainte de la Banque de France, ne pouvaient compenser la baisse de la valeur du franc. Ce n’est que plus tard, dans les années 75, estimant qu’ils avaient été lésés, car ils étaient remboursés de leurs prêts en « monnaie de singe », qu’ils ont pu récupérer la perte de valeur de la monnaie, quand les prix et les taux d’intérêt ont été progressivement libérés.
Ce troisième acteur, le financier-prêteur, va donc inverser la tendance en faisant pression sur les pouvoirs publics pour arrêter l’augmentation du pouvoir d’achat des salariés et de la masse monétaire correspondante. En freinant et bloquant la masse salariale, les banques et organisme prêteurs diminuent en même temps le niveau de la croissance par la demande : l’augmentation de la masse monétaire qui faisait tourner la machine économique a commencé à baisser et le taux d’emploi également. Rappelons que le chômage dans les années 50 à 70 était d’environ 2% et de moins de 8% de 74 à 83. Dans ces conditions, pour maintenir un minimum de croissance, il suffisait de maintenir le pouvoir d’achat artificiellement, en remplaçant le niveau des salaires par l’offre de crédit de plus en plus facilité. Il n’est pas étonnant que par la suite les inégalités se soient accrues : la finance (la rente) qui représentait respectivement environ 30% et la masse salariale 70% de la masse monétaire totale, fasse pencher la balance dans l’autre sens : nous en sommes actuellement à 40% et 60%.
Les pays émergents récents ont compris que la stratégie fondée sur la demande, quitte à augmenter les salaires nets réels, pouvait leur être appliquée quelles que soit les risques inflationnistes. Il en est ainsi de l’Inde du Brésil actuellement, et de la Chine. Il en a été ainsi du Japon, de la Corée du Sud…et de la France qui, pendant les trente glorieuses, était également un pays émergent dont la croissance était importante, malgré une inflation souvent à deux chiffres… Les pays émergents actuels ont une forte croissance, et une inflation faible et même nulle pour la Chine .
La conclusion s’impose, ou le système repose sur cette dernière stratégie consistant à augmenter les masses monétaires d’origine salariale, (fordisme) ou, au contraire, on admet que ce soit le crédit qui fasse progresser la croissance Economique à l’avantage des fonds spéculatifs et au détriment du pouvoir d’achat réel des salariés. Dans le premier dernier cas, il faut accepter le risque inflationniste. Il suffirait que les pouvoirs publics imposent une régulation des prix et que les taux d’intérêt soient sous contrôle en cas d’emballement.
La BCE pour la zone Euro est l’organisme régulateur de l’inflation. Les pouvoirs publics en contrôlant les salaires réels freinent toute croissance qui serait d’origine fordiste, quitte à ce que le chômage augmente. L’Allemagne, avec sa hantise historique de l’inflation, ne semble pas prête à en accepter la perspective, même si ce n’est plus qu’un prétexte : tous les économistes de nos gouvernements n’ignorent pas qu’il s’agit plus d’un chiffon rouge qu’un risque réel. En misant uniquement sur le crédit à tout va, pour les particuliers, comme pour les Etats, la doctrine économique qui a entraîné la plupart des pays développés au bord du gouffre. Comme c’est dans la nature même du crédit que de rechercher le profit maximum, il n’est pas possible de le réguler à terme, les mêmes causes produiront les mêmes effets.
Quant aux dévaluations possibles, elles n’ont pas que des inconvénients : pour l’import-export en particulier, une monnaie affaiblie éviterait les délocalisations et freinerait les importations ultra-concurrentielles préjudiciables à la production interne. Mais toujours dans la pensée unique, les tenant d’une monnaie forte, ont propagée l’idée que les dévaluations étaient en quelque sorte infamantes, faisant croire qu’à une monnaie faible correspondait à un pays faible.
La séparation de certains pays de la zone Euro permettrait, en sortant de la tutelle de la BCE et des obligations du libre-échangisme, d’adapter leurs Economies à leur situation réelle et …si les pouvoirs politiques le voulaient (?), d’inverser la tendance au chômage, qui, par un certain retour des choses, est devenu, lui, exponentiel à la place d’une hypothétique l’inflation.
Une autre erreur fondamentale de la pensée unique ultralibérale : faire baisser les dépenses de la fonction publique tout en diminuant les rentrées pour complaire à la doctrine allemande de l’orthodoxie financière de l’Etat, fera peut-être l’objet d’une prochaine analyse, sauf avis contraire de votre part si ces billets vous importunent.
Louis Peretz