Dov Lior, le rabbin qui pollue Tsahal
Dov Lior est un rabbin du mouvement religieux national ou sioniste religieux, un courant qualifié généralement d’orthodoxe moderne ou néo-orthodoxe sur le plan religieux. D’ordinaire ce sont plutôt les haredim, les ultra-orthodoxes, ceux qu’on appelle aussi les Hommes en noirs et pour certains les pingouins, qui se font remarquer par des positions religieuses radicales et qui voudraient théologiser l’Etat d’Israël. (Voir nos articles pour exemple).
Mais Dov Lior a décidé de ne pas leur laisser le monopole de l’extrémisme purement religieux.
Jusqu’à présent le rabbin de Hébron et de Kyriat Arba, chef du conseil des rabbins de Judée et Samarie s’étaient fait connaître pour ses positions pour les implantations juives et pour ses propos sur les non-juifs, notamment sur les Arabes. Il avait attiré sur lui la condamnation assez générale. Dov Lior est d’une certaine façon une sorte de caricature exacerbée du juif sioniste religieux des implantations de Judée et Samarie. Il incarne également la friction mouvante, les relations corsées et de plus en plus compliquées entre l’Etat d’Israël et le mouvement sioniste religieux.
Ses derniers propos en sont un nouvel exemple.
Questionné par un étudiant de yeshiva (établissement d’enseignement religieux) sur la possibilité ou non selon la loi juive de commander des femmes soldates, Lior a répondu par la négative. Le Jerusalem Post qui a publié cette information, n’a pas pu avoir de précisions du rabbin sur ces propos, un porte-parole l’a donc fait pour lui en indiquant qu’il s’agissait d’une question halachique (liée à la loi juive) et qu’il a donc donné une réponse halachique, à un étudiant de la yeshiva Nir Heshder à Kyriat Arba.
On est bien renseigné.
Le rabbin a tout de même indiqué à ses étudiants de ne pas prendre à l’intérieur de l’armée des positions qui les mèneraient à commander des femmes.
Ce n’est pas la première fois que Dov Lior met son nez dans les affaires de Tsahal. La dernière fois il avait soutenu des soldats de son courant qui s’étaient retirés lors d’un chant tenu par des femmes au cours d’officier de Tsahal. Dix élèves officiers avaient quitté la salle, quatre d’entre eux ont été définitivement exclus du cours. Questionn” une fois encore, “Trouve une bonne excuse pour quitter la salle avant qu’elles ne chantent” avait indiqué Dov Lior à un soldat. Puis il avait ajouté finalement “mais tu n’as pas à t’expliquer devant qui que ce soit pourquoi tu te lèves soudainement”.
Peu importe les explications détournées du rabbin, qui parle de protection de la “modestie”. Personnellement je ne sais pas trop ce que ça veut dire mais ça me fait un peu penser à ceux qui parlent de “pudeur” de la femme pour mieux justifier leurs vêtements et autres cheveux couverts. Je crois qu’il faut dire que ces propos sont machistes, scandaleux envers les femmes, et contraires à l’égalité entre les sexes. Ils font malheureusement partie d’une perception d’un certain nombre de mouvements orthodoxes.
La place et l’importance de la ligne Dov Lior en Israël est en revanche difficile à percevoir.
Les observateurs extérieurs souvent hostiles et peu nuancés qui ont tendance à mélanger religieux et implantations juives, ou religion et implantations juives, diront que la société israélienne et l’armée surtout, sont de plus en plus noyautées par ce qu’ils appellent généralement “la droite religieuse extrémiste”. Avec une telle expression, il est difficile de comprendre de qui ils parlent exactement, ni quel est le danger précis.
La vérité est plus complexe.
Pour deux raisons principales. La première plus religieuse, la seconde plus politique.
La première nous intéresse ici plus particulièrement.
– Elle consiste en ce qu’au sein même du courant sioniste religieux, Dov Lior est loin de faire l’unanimité. Le rabbin David Bigman, à la tête de la Yeshiva Ma’aleh Gilboa, a exprimé son désaccord avec Dov Lior. Pour Bigman, le problème est plus large que les préoccupations de genre. Selon lui il existe une tendance de la communauté sioniste religieuse à se couper de la société alors même que le public recherche un lien avec la tradition juive. Il faut donc pour Bigman que les “décisions halachiques prennent en considération l’importance de la contribution à la société israélienne, pour que la communauté religieuse participe pleinement à la vie de l’Etat” (Jpost).
Par ailleurs, Hanna Kehat, directrice du groupe féministe et sioniste religieux Kolech a condamné durement les propos de Dov Lior et Lior lui-même, qu’elle accuse de présenter les femmes à ces étudiants uniquement comme des objets sexuels, sans humanité ni personnalité. Sur le plan de la loi juive, elle avait également mentionné que le fait de quitter une salle pour éviter d’entendre le chant de femmes, était un comportement publiquement humiliant pour les femmes et par conséquent beaucoup plus condamnable par la loi juive que le fait d’écouter des femmes chanter.
Dans une ligne proche, l’ancienne maire adjointe de Jérusalem Rachel Azaria, elle aussi sioniste religieuse avait été jusqu’à se faire licencier pour protester férocement contre la séparation des hommes et des femmes dans la rue ultra-orthodoxe Mea Sharim pendant la fête de souccot (voir à ce sujet notre article http://www.mishauzan.com/article-nouvelle-polemique-religieux-laics-pour-nir-barkat-maire-de-jerusalem-87377689.html).
Ces discussions sont intéressantes sur le plan de la loi juive et de son évolution. Elles opposent d’un côté un camp orthodoxe ultraconservateur qui maintient les femmes dans une position de dépendance dans le judaïsme et qui entend l’appliquer au sein de la société, y compris contre l’État d’Israël s’il le faut ; et de l’autre côté un camp appartenant religieusement au courant orthodoxe mais plus libéral quant à la place de la femme dans le judaïsme et qui est prêt à s’adapter à la société séculière.
Reste toutefois que d’un point de vue purement laïc, quelque soit la loi religieuse juive (et tant mieux si elle est libérale), elle n’a pas son mot à dire dans la société israélienne séculière (ou laïque), qui n’a pas à dépendre des dires ou des décisions des rabbins. C’est sans doute un point qui peut poser problème, même avec les orthodoxes les plus libéraux si l’on peut dire.
– Enfin le deuxième point complexe qui régit les relations entre l’État d’Israël et le mouvement sioniste religieux, est qu’on ne peut pas parler simplement de progression du mouvement sioniste religieux au sein de la société et de l’armée. Car en entrant parfois en contradiction l’un avec l’autre, le mouvement sioniste-religieux peut aussi prendre la voie de la scission. On ne pourrait alors plus parler d’intrusion ou de progression du judaïsme orthodoxe moderne au sein de la société israélienne, mais de guerre larvée avec ses courants les plus radicaux. Cette guerre aurait deux fronts différents : l’un politique avec le mouvement des implantations si l’État d’Israël opère un abandon de la Judée et de la Samarie (l’abandon israélien de la bande de Gaza laissée aux islamistes a été une première crise), l’autre religieux, si des rabbins comme Dov Lior s’incrustent dans les institutions de l’Etat.
Ces lignes traversent sans les respecter les clivages droite-gauche ou laïques-religieux, tantôt elles les combinent, tantôt elles les ignorent. C’est là la complexité d’Israël. Or cette dernière a beaucoup de mal à profiter au courant laïc, majoritaire mais divisé et attaqué.
Misha Uzan
En savoir plus sur http://mishauzan.com
Sources : http://mobiletrunk.jpost.com/HomePage/FrontPage/Article
.aspx?id=76244633&cat=1
Jerusalem Post, Israël Hayom, le Le blog-notes de Misha Uzan.