Ayant été mis en cause d’une façon inadmissible sur votre site, j’exerce mon droit de réponse. J’accepte évidemment le débat, mais quand il est de bonne foi et respectueux des positions réellement défendues. Ce n’est pas le cas du texte polémique de Pascal Hilout, prétendu compte-rendu de mon intervention aux Rencontres Laïques Internationales.
Tout d’abord je m’étonne de l’étrange conception du débat démocratique manifestée par l’auteur de ce texte. Il est, dit-il, venu me féliciter à l’issue de mon intervention. Mais s’il était en désaccord avec celle-ci, pourquoi de telles félicitations, et surtout pourquoi ne s’est-il pas exprimé lors du débat qui a suivi mon exposé ? Au lieu d’engager la discussion publique avec moi, il a préféré écrire un texte de critique dans lequel il déforme mes propos en m’attribuant une complaisance à l’égard de l’islamisme que je n’ai jamais manifestée, et que n’impliquait en aucun cas mon intervention. Les auditeurs de celle-ci n’auraient pas manqué de juger ridicule une telle accusation. Pascal Hilout a préféré me calomnier sur Internet afin que personne ne puisse vérifier ses dires en les confrontant aux miens. À ceci prêt que ceux qui connaissent mon combat inlassable pour la laïcité ont dû hausser les épaules.
Qui pourra croire en effet que je ne combats pas l’Islamisme politique sous prétexte que j’en appelle à une laïcité universelle, qui ne fasse aucune différence entre les types de collusion entre politique et religion ? Non pas que je considère les méfaits de cette collusion comme identiques en tout point et en tout lieu. Mais j’estime qu’il faut comparer ce qui est comparable. Les bûchers de l’Inquisition et les pogroms antisémites d’inspiration catholique à l’époque où l’Église parlait du « peuple déicide » n’ont rien à envier aux atrocités des terroristes islamistes. C’est du passé dira-t-on. Certes. Mais si aujourd’hui l’Église est devenue relativement plus présentable, à qui et à quoi le doit-on ?
Aux luttes pour la laïcité, accomplies souvent dans le sang et les larmes, et non à la supériorité éthique supposée du christianisme. Qui pourra m’accuser de tiédeur sous prétexte que je refuse toute problématique du « choc des civilisations » destinée à montrer que certaines traditions culturelles seraient meilleures que d’autres ? Cela est risible, ou plutôt très triste pour le mouvement laïque, qui n’a vraiment pas besoin de ce genre d’invectives ou de procès d’intention.
Chacun sait combien je me suis impliqué, au sein de la Commission Stasi comme dans mes multiples interventions publiques, pour promouvoir la laïcité, non contre une seule religion politisée, mais contre toutes celles qui à un moment ou à un autre ont voulu soumettre la loi à la foi. Une laïcité qui ne soit pas à géométrie variable. Il m’a semblé que c’était ainsi que l’on pouvait combattre le mieux les fanatismes du moment, dont bien sûr, entre autres, celui de l’islamisme politique. Car on s’appuie alors sur des principes, et non sur une approche partisane.
Le fait qu’à un moment donné de l’histoire la lutte laïque doive affronter entre autres l’Islamisme politique ne saurait faire oublier qu’à un autre elle a dû affronter le cléricalisme national-catholique. Franco affirmait « En Espagne, on est catholique ou on n’est rien ». Et l’on sait combien de crimes ont dérivé de cette conception. Aujourd’hui encore, face à la volonté de réviser la laïcité pour restaurer des privilèges publics pour les religions, il est clair que le cléricalisme catholique n’a pas rendu les armes. Les deux derniers papes ont fait des déclarations irresponsables et même criminelles, en Afrique, sur l’usage du préservatif dans la lutte contre la pandémie du sida. Quant à l’extrémiste israélien qui a assassiné des fidèles musulmans à Hébron, ou à l’assassin d’Itzhak Rabin qui avait entouré un verset de la Bible considéré comme un ordre de tuer, faut-il également les oublier ? Quand des colons israéliens privent des paysans palestiniens de leur terre en brandissant la Bible comme un titre de propriété, faut-il s’en tenir à la seule condamnation du Hamas? Dans les deux cas, l’instrumentalisation politique de la religion est détestable, et l’on n’obtiendra jamais de moi que je dissimule une partie de la réalité.
Cette attitude ne relève nullement d’un quelconque relativisme, mais d’un souci d’honnêteté morale et politique. Pourquoi la lutte laïque devrait-elle se concentrer sur une seule religion instrumentalisée en dispositif oppressif, et passer les autres sous silence ? Ce n’est pas ma conception. La portée universelle de la laïcité doit sans cesse être mise en avant, afin que nul ne puisse prétexter qu’il est stigmatisé du fait de ses traditions particulières et se réfugie ainsi dans une victimisation qui masquerait la dimension souvent criminelle de la sacralisation des luttes politiques. Telle est ma conviction profonde.
On a le droit bien sûr de ne pas la partager. Mais pas de m’imputer une complaisance sélective qui n’a jamais été et ne sera jamais la mienne. J’interdis à quiconque d’en tirer la conclusion que je serais spécialement clément avec l’islamisme politique. C’est grotesque. Tarek Ramadan serait bien surpris de l’apprendre! Affirmer, comme je l’ai fait dans mon intervention, que la loi issue de la Commission Stasi n’était pas dirigée uniquement contre le voile mais visait aussi bien la kipa et la croix charismatique ne veut donc pas dire qu’elle n’interdisait pas le voile !
Pourquoi Pascal Hilout me cite-t-il de façon aussi grossièrement fausse, propre à me faire dire le contraire de ce que j’ai dit ? Voilà le procès d’intention qui m’est fait, et qui est indigne d’un vrai débat. Il n’y a pas loin de la déformation intellectuellement malhonnête à la calomnie. Et cela je ne peux l’admettre. Je laisse à Pascal Hilout la responsabilité de ses ridicules critiques des travaux d’Alain de Libera, universitaire médiéviste, ou de mes études sur l’herméneutique d’Averroès et de Spinoza. Le moins que l’on puisse dire est que ces critiques ne sont guère argumentées. Nul ne peut contester en effet que dans le Discours Décisif Averroès jette les bases d’une lecture interprétative distanciée du texte coranique (alinea 21). Spinoza et Richard Simon ont fait de même pour la Bible.
Un dernier mot. L’heure n’est pas, ou ne devrait pas être, aux invectives contre des personnes qui entendent défendre la laïcité. Le débat oui, mais pas la déformation polémique. A moins que sous prétexte de laïcité on ne nourrisse un autre projet politique. Mais alors il faut le dire. La défense d’Israël par Riposte Laïque au moment où il bombardait les populations civiles de Gaza ne me semble pas précisément relever de l’esprit laïque. En fait, Riposte laïque ne combat pas seulement l’islamisme, mais aussi et surtout l’Islam, et dissimule très mal sa volonté de hiérarchiser les religions, mais aussi les différentes cultures. Elle reprend en fait à son compte la thèse du « choc des civilisations », de si triste mémoire. Je crains donc qu’avec elle la défense invoquée de la laïcité ne devienne la couverture d’un autre combat, qui n’est pas du tout le mien. De là à déformer mes propos pour mieux me disqualifier il n’y avait qu’un pas, et il a été franchi.
Afin que les lecteurs de Riposte Laïque puissent se faire leur jugement, je vous demande de publier in extenso la présente mise au point, ainsi que le texte de mon intervention réelle aux Rencontres Laïques Internationales de Saint Denis. La confrontation avec le « compte rendu » de Pascal Hilout pourra ainsi être effectuée par toute personne qui le souhaitera.
Henri Pena-Ruiz
Philosophe et écrivain, ancien membre de la Commission Stasi sur la laïcité dans la République.
Texte incriminé : L’affligeante complaisance de Henri Pena Ruiz vis-à-vis de l’offensive islamique, par Pascal Hilout
http://www.ripostelaique.com/L-affligeante-complaisance-d-Henri.html