Benoît XVI s’en prend au « laïcisme athée »

« Il y a, à Pérouse, en Ombrie étrusque, face à une magnifique fontaine de marbre blanc, dominant une de ces superbes places de la Renaissance italienne, un majestueux escalier donnant sur un parvis d’ où – la chaire étant un demi-cercle de pierre aménagé en surplomb – prêchèrent maints religieux de l’Eglise Vaticane contre tous les hérétiques et les païens (termes commodes pour décider qui est bon chrétien et qui ne l’est pas), en ces temps noirs des idéologies sanguinaires où les prétextes les plus farfelus ( notamment celui de ne pas croire en la « loi d’amour ») conduisaient au bûcher.

Il y a, aujourd’hui, dans des mosquées de Londres et de nos « banlieues sensibles » – comme dans toutes les mosquées des pays islamisés où la loi générale est religieuse et non laïque – une chaire élevée d’ où, le vendredi, des imams enflammés en appellent à la destruction des infidèles et des renégats ou des apostats et menacent des foudres célestes ceux qui oseraient mettre en doute la parole « du prophète ».

Il y a encore, en Israël, des lieux où l’ on s’exerce à jeter l’ opprobre sur celui qui n’ est pas « élu », et à promettre la violence extrême à celui qui refuse la loi du Livre tout en maintenant à l’écart du Tout ceux qui sont « élus » par nature.

Il y avait, tout récemment, à Paris comme à Moscou ou à Pékin, des tribunes érigées pour porter la voix vengeresse de ceux qui voulaient substituer à la religion révélée une religion sans Dieu ( mais aux lendemains « chantants ») « n’ élisant » qu’ une partie du Peuple et imposer à chacun leur idéologie totalitariste (Il n’est pas sûr, d’ailleurs, que ces tribunes aient disparu…).
A-t- on jamais entendu un citoyen laïque, de surcroît athée, en appeler à la privation de parole de son prochain, à son enfermement, à sa destruction ? »

Ce « petit texte », tiré d’un essai « Eikonoklastès » que j’ai fait paraître aux éditions « Amalthée », me paraît être une réponse adéquate à l’encyclique que vient de rédiger le pape Benoît XVI sous le titre « Spe salvi » et dont « Le Monde » a rendu compte le 30 /11 /07 … Loin de moi l’intention d’engager un dialogue théologique avec le représentant de l’Eglise Vaticane, libre de se penser suffisamment infaillible pour qualifier « d’erreur » le matérialisme (c’est une vieille tendance que l’on peut faire remonter jusqu’à Démocrite, Epicure ou Lucrèce…) et de se vivre comme le porte-parole d’une divinité « incarnée », mais dans la mesure où le pontife souverain attribue à l’athéisme ( et à la notion de progrès scientifique comme à celle des « lumières » de la Raison) « des espérances fallacieuses », il est pertinent de lui faire remarquer que l’idéologie frelatée de la croyance « en l’espérance biblique du royaume de Dieu » a conduit, depuis plus de deux mille ans aux plus grandes cruautés, aux plus extrêmes violations de la justice, à l’aliénation la plus absolue de la pensée, aux souffrances les plus marquantes, au cynisme le plus hypocrite dans la justification des pouvoirs les plus totalitaires…

Et si « le jugement dernier » est « l’image décisive de l’espérance », salvatrice parce qu’en Dieu, on est en droit de s’interroger sur ce dont l’Homme doit « être sauvé » : de l’injustice, de la souffrance, de la mort en espérant une vie après la mort ? Chimère commode pour qui veut oublier que chacun n’est qu’une poussière d’étoile destinée à ne plus être qu’une autre poussière d’étoile, que chacun n’est qu’une virgule entre deux néants, que chacun n’est qu’une aberration face à la démesure de l’univers dont l’infiniment grand, l’infiniment petit et l’infiniment complexe n’ont que faire de l’Homme et de ses angoisses…Le pari « pascalien » que « Dieu est » suppose le pari inverse : « Dieu n’est pas » , et chaque terme de l’opposition est acceptable sans que cela ne conduise à la condamnation de quiconque. Mais la lucidité, la liberté, le libre arbitre de chacun s’exercent pleinement quand ils reconnaissent à l’être humain le refus de l’illusion aliénante en une entité consolatrice, et lui laissent la force de regarder en face la peur, la souffrance, l’angoisse de « disparaître tout entier » constitutives de cette vie où « je pense, j’agis, je pleure, je ris » dans l’espace-temps qui me justifie.

Et il n’est nul besoin de supposer l’existence d’un incréé omniprésent et insaisissable pour savoir où se situent la justice, la vertu, la morale individuelle et collective : par la seule force de la raison, par la connaissance du monde et des autres, par l’immersion dans l’Histoire, l’Homme a ceci d’extraordinaire qu’il peut comprendre qui il est et élaborer les comportements qui lui permettront de vivre et pour lui et avec les autres…

Mais le catholicisme – comme toutes les « religions du Livre »- porte cette marque de fabrique indélébile qu’est la prétention de détenir la « vérité », prétention qui débouche tout naturellement sur le refus de toute autre pensée, sur l’intolérance la plus étroite et, par là, sur la destruction de tous ceux (et de tout ce) qui ne sont pas marqués de son « sceau divin » Et , au nom de cette « marque », cette religion a toujours su –et sait encore- occuper l’espace public des sociétés humaines pour le tordre à son pouvoir sur « les âmes et les corps », et pour justifier toutes les aberrations guerrières et politiques au nom d’une espérance en un monde meilleur, dans l’au-delà de l’espace et du temps ( « le royaume de mon père », selon les termes d’un improbable messie l’annonçant comme imminent dans de supposés prêches rien moins qu’échevelés).

L’islam d’aujourd’hui nous fait facilement imaginer ce qu’était le pouvoir cynique de l’église catholique d’hier …non que cette dernière ait définitivement renoncé à son rôle de « dirigeante » des Hommes et des Cités, les discours récurrents de Benoît XVI contre le laïcisme, l’athéisme, la science et le progrès témoignent de ce désir refoulé.

Et là est l’essentiel : en un moment où , dans nos sociétés dites « occidentales », la référence n’est plus le salut de l’âme mais la satisfaction pleine et entière du corps, cette « guenille », – pas seulement réduit à ses appétits matériels mais saisi dans sa totalité « de matière » : chair, intelligence, affectivité, inconscient , créativité…-, les représentants de « l’instrumentalisation du sacré et de l’angoisse existentielle » que sont les religions n’ont de cesse d’agir pour garder la main… Il fut un temps où ils pouvaient gruger par leurs certitudes et leurs malédictions « l’Homo Imbecillus » qui s’appuyait ainsi sur le bâton secourable qui lui était tendu pour accepter le tragique de sa condition…Ce temps-là n’est plus !

Robert Albarèdes

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