Brigitte Bardot a été condamnée, mardi 3 juin, à une amende de 15.000 euros pour « incitation à la haine raciale ». Elle devra également verser 1500 euros de dommages et intérêts au MRAP, partie civile, un euro symbolique à la Ligue des Droits de l’Homme et à la Licra, ainsi que 1500 euros de frais de procédure.
L’objet du délit : le 23 décembre 2006, la revue de sa fondation pour la défense des animaux avait publié une lettre ouverte à Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur.
Brigitte Bardot avait rencontré quelques mois auparavant des ministres du gouvernement, ainsi que Dalil Boubakeur, président du Conseil Français du Culte Musulman, pour leur demander que les animaux sacrifiés lors de l’Aïd-el-Kebir soient étourdis avant d’être égorgés. Selon la militante de la cause animale, ces promesses n’ont pas été tenues. Elle s’en indigne dans cette lettre ouverte au ministre de l’intérieur, où elle exprime sa lassitude devant l’inaction des autorités. Le même numéro de la revue de la Fondation Brigitte Bardot contient une lettre similaire envoyée au président du CFCM. On y trouve également des photographies montrant des bennes à ordures mises à disposition par la municipalité de Roubaix pour recueillir les carcasses d’animaux sacrifiés lors de l’Aïd-el-Kebir 2006 en dehors des abattoirs habilités.
Dans la lettre ouverte à Nicolas Sarkozy, la phrase qui a provoqué la plainte du MRAP et la condamnation est celle-ci : « Il y en a marre d’être menés par le bout du nez par toute cette population qui nous détruit, détruit notre pays en imposant ses actes. » Selon le jugement du 3 juin, cela constitue un appel à la haine et à la violence envers un groupe de personne en raison de leur religion.
On peut admirer Brigitte Bardot pour sa ténacité dans la défense de la cause animale, tout comme on peut trouver son combat excessif. On peut émettre les plus grandes réserves sur certaines de ses prises de positions, et sur ses relations avec l’extrême-droite. Mais la justice ne s’est pas exprimée là-dessus, et du reste elle n’a pas à condamner un quelconque délit d’opinion ou de pensée.
Cependant, cette dernière condamnation peut surprendre.
Tout d’abord, la phrase incriminée relève du « dénigrement de communauté », une sorte de nouveau délit que le CSA mettait au même niveau que l’« incitation à la haine raciale » comme le faisait remarquer un lecteur de Riposte Laïque (http://www.ripostelaique.com/L-Observatoire-de-la-diversite.html). Brigitte Bardot exprime son exaspération non envers l’ensemble des musulmans, mais envers ceux qui, selon elle, introduit en France une pratique qu’elle juge barbare et contraire à nos valeurs. Est-il encore possible de porter des jugements négatifs sur un dogme ou une coutume religieuse exercés par une « communauté » ou une partie de celle-ci ?
Et ensuite, de telles critiques comportent-elles une « incitation à la haine et à la violence » contre des personnes ? On trouvera difficilement dans les lettres fort courtoises de Brigitte Bardot à Nicolas Sarkozy et à Dalil Boubakeur un appel explicite à haïr ou violenter les musulmans. Ce n’est pas le cas, par exemple, d’un leader italien de la Ligue du Nord, aujourd’hui ministre de la Santé dans le gouvernement Berlusconi, qui appelait publiquement à « détruire les mosquées ». Dans ce cas, l’« incitation » est clairement exprimée, tout comme chez des groupuscules nazillons qui appelleraient à des ratonnades ou des pogroms.
Mais on peine à comprendre comment le fait de se dire excédé par une pratique religieuse sans nullement appeler à des sentiments hostiles et à des représailles contre ses adeptes permet d’en déduire une « incitation à la haine raciale ».
On peut légitimement s’inquiéter de la jurisprudence qui pourrait découler de la condamnation de Brigitte Bardot pour cette lettre ouverte à Nicolas Sarkozy, puisque ce jugement considère l’indignation et l’exaspération face à un dogme ou une pratique religieuse non seulement comme un « dénigrement de communauté », mais aussi comme un délit « raciste ». En effet, peut-on encore critiquer les religions et les actes de leurs adeptes ?
Un militant de la laïcité commet-il un « incitation à la haine et à la violence » contre les chrétiens, quand il critique les processions publiques catholiques du Vendredi Saint ou du 15 Août où des élus de la République apportent l’aide des moyens municipaux ? Peut-on avoir « marre » de « cette population » qui « impose ses actes » et qui « détruit » nos valeurs laïques ? Risque-t-on d’être alors traîné devant les tribunaux et traité de « raciste » ?
Quand des musulmans critiquent ouvertement la célébration chrétienne de la crucifixion de Jésus en disant qu’il s’agit d’un dogme mortifère, ou quand ils considèrent l’Eucharistie comme anthropophage, incitent-ils à la « haine et à la violence » contre une communauté de croyants ? Cette opinion est-elle justiciable pour cause de « racisme » ?
Si la plupart des citoyens de France condamnent la pratique de l’excision, en revanche les opinions sur la circoncision des jeunes enfants sont plus partagées. Mais un médecin commet-il un « incitation à la haine et à la violence » contre les juifs et les musulmans, en critiquant une pratique qu’il considère être une mutilation définitive imposée à des bébés ou à des très jeunes garçons contre leur volonté ? Peut-il se dire excédé par cette pratique qui le choque et qui détruit, selon lui, les droits de l’enfant auxquels souscrit la France ? Risque-t-il d’être traîné devant les tribunaux et traité de « raciste » ?
Une féministe peut-elle encore condamner la polygamie qui fait partie des dogmes islamiques, et dénoncer, à l’instar d’un récent reportage sur France 2, certaines communautés africaines qui importent cette pratique en France ? Le MRAP va-t-il porter plainte contre cette féministe et lui faire un procès pour « racisme » ?
Et l’on pourrait multiplier les exemples sur les pratiques et les croyances réprouvées par les uns ou les autres au nom des droits de l’Homme, de l’antiracisme ou d’autres valeurs : répudiation de l’épouse, mise à mort des apostats, condamnation des relations sexuelles hors mariage, virginité de la primo-mariée, criminalisation de l’IVG, etc.
Même si l’on ne partage pas les idées de Brigitte Bardot et sa défense parfois excessive de la cause animale, on peut s’inquiéter du jugement du 3 juin, qui est la porte ouverte à l’interdiction de toute critique de croyances, de dogmes et de pratiques religieuses, et de l’expression d’une exaspération par rapport à celle-ci : ce serait « inciter à la haine et à la violence » contre un groupe d’adeptes en raison de leur religion. Nous risquons fort de voir une fois de plus criminaliser indirectement le délit de blasphème.
Roger Heurtebise