Bruno Le Maire : les assureurs ne jouent pas le jeu

« Toute catastrophe doit avoir son bouc émissaire. »                                       (Serge Brussolo)

« Quand le sage montre la lune avec son doigt, l’imbécile regarde le doigt. »

(Proverbe chinois)

Il y a quelques jours, en regardant la télé, il m’est venu une réminiscence de mes cours de management, qui remontent  pourtant à bien des années. Même si j’ai toujours pensé – et je pense encore – que le charisme, le travail, le courage et l’exemplarité  font les bons managers, j’ai gardé en mémoire quelques-uns des poncifs qu’on a tenté de m’inculquer jadis, sans  grand succès il faut bien le dire ! J’ai retenu, par exemple, que lors d’un conflit avec un collaborateur, un supérieur ou un client, vouloir calmer le jeu en détournant le tir vers une tierce personne, pour ne pas assumer sa propre responsabilité, était un comportement lâche, immature, et indigne d’un cadre.

Or, en pleine crise de Covid-19, c’est pourtant ce que tente de faire le gouvernement.

Confronté à la légitime colère des commerçants, artisans, indépendants ou industriels, qui ne peuvent plus travailler (mais continuent à payer des charges souvent élevées), Bruno Le Maire a eu une idée que d’aucuns trouveront simple, alors qu’elle est simpliste, simplette, et… scandaleuse : faire indemniser ces victimes du confinement  par les assureurs, au titre de la garantie « pertes d’exploitation ». L’art de détourner le tir a été de déclarer, sur plusieurs plateaux de télé : « Les assureurs ne jouent pas le jeu ». Une semaine plus tard, la même phrase était reprise, comme par hasard, par le président d’une association de commerçants. Puis, dans la foulée, le représentant  d’un syndicat  de restaurateurs  y allait du même couplet. Les assureurs, c’est bien connu, sont riches et, de surcroît, mal aimés du grand public qui les considère comme des voleurs.

Donc Bruno Le Maire veut utiliser une vieille tactique éprouvée depuis des lustres par nos politiciens : faire des cadeaux avec l’argent des autres ou, plus exactement, prendre l’argent du contribuable dans sa poche droite, pour lui en rendre une partie, souvent infime, dans la gauche.

Je vais donc tenter de vous démontrer ce en quoi l’idée de Bruno Le Maire (et de quelques représentants de commerçants et artisans) est un « enfumage » qui s’apparente à du racket.

– L’assurance est régie par le Code des assurances. Évolution de la loi du 13 juillet 1930, il a fait son apparition avec le décret N° 76-667 du 16 juillet 1976. Mais le droit des assurances est lié aux autres codes : le Code civil, le Code de la consommation, le Code de la mutualité et le Code de procédure pénale. On nous serine régulièrement que nous sommes un « État de droit »  donc il ne me semble pas anormal de vouloir qu’on respecte ce que nous imposent les textes.

– Le contrat d’assurance est un contrat synallagmatique de droit privé. Ce terme barbare veut dire qu’il implique des « engagements réciproques » des deux parties : pour l’assuré, faire des déclarations  exactes  et  payer ses primes ; pour l’assureur, en cas de sinistre, accorder les garanties énoncées aux conditions particulières (et détaillées dans les conditions générales) du contrat.

– Prime d’assurance vient de primum = d’abord. En assurance, on paie d’abord. C’est la masse des primes, augmentée des produits financiers, et diminuée des frais généraux de l’entreprise, qui  permet  de payer les sinistres. En clair, dans le rapport  « Sinistre à Prime » (S/P) il ne faut pas que le montant des sinistres payés soit supérieur à celui des primes encaissées.

La « marge de solvabilité » (capacité à payer les sinistres) des sociétés d’assurance est régie par le Code des assurances. Et elle n’a cessé d’augmenter depuis que Bruxelles y a mis son nez.

En résumé, les compagnies d’assurance  ne sont riches que de l’argent des assurés, qu’il faut thésauriser pour pouvoir payer les sinistres à venir.

– De plus, l’assurance a un mode de fonctionnement particulier. On parle pompeusement d’ « inversion du cycle de production ». En effet, l’assureur vend un produit dont il ne connaît pas le prix de revient. Un tarif d’assurance ne se calcule donc pas au pifomètre ou au doigt mouillé. On se base sur des statistiques, des coûts de réparation, des zones géographiques, des tranches d’âge (des tables de mortalité pour l’assurance-vie), etc. C’est un travail de techniciens et d’actuaires qui n’est pas à la portée du premier « Yakafokon », au comptoir du Café du Commerce.

Une fois qu’on a énoncé cela, disons un mot de la garantie « pertes d’exploitation ».

La « PE » c’est une garantie qui permet, à la suite d’un sinistre incendie, explosion, tempête etc., de payer au commerçant ou à l’artisan, son bénéfice net et ses charges fixes, et ce pendant un an, voire deux ans  pour certaines compagnies. La « PE » est surnommée, à juste titre, « l’assurance-vie de l’entreprise ». Mais elle ne couvre pas les fermetures administratives (1) et cela, précisément parce que c’est à l’État de prendre ses responsabilités : CQFD !

Pourquoi faudrait-il, en effet, que les assureurs accordent gratuitement une garantie qui n’existe pas? On leur demande de pallier les carences d’un État-Moloch qui demande toujours plus de sacrifices… aux autres. Il faut également savoir que lorsque vous payez l’assurance incendie de votre habitation ou la responsabilité civile de votre voiture, un tiers de votre prime va… à l’État sous forme de taxes. Nous sommes, rappelons-le, l’un des pays les plus taxés au monde (2).

En France, l’État-dealer prélève 80 % de taxes sur le tabac, dont le prix augmente sans cesse.

L’État-poivrot  se paie fortement sur les alcools.  Il a augmenté les taxes sur les alcools forts (+ 15 %) et, tant qu’à faire, réinventé une taxe sur… les sodas. Mais l’État-Tartuffe interdit toujours la publicité  pour les cigarettes et l’alcool. Dans la classe politique – et même au sein de la droite molle – on trouve de plus en plus de partisans de la légalisation du cannabis. On nous dit que c’est pour tarir  les réseaux mafieux, alors qu’en réalité, c’est pour taxer le « joint » au même taux que la clope.

On nous dit aussi  que le diésel est polluant ; il serait responsable de 40 000 morts par an. Ce chiffre est  totalement  débile et invérifiable mais, du coup,  l’État-pollueur peut augmenter les taxes, déjà énormes (environ 80 %) sur le gasoil… et sur l’essence par la même occasion. On s’inquiète, à juste titre, que des enfants de dix ans regardent des films pornographiques sur Internet, et, l’État proxénète surtaxe le cinéma porno, assimilé à un « produit de luxe » (3).

Je pourrais continuer longtemps, au risque de lasser mes lecteurs.

Bref, l’assureur est, comme tant d’autres, d’abord un collecteur d’impôts.

Si, demain, sur pression ou injonction gouvernementale, les assureurs devaient payer des pertes d’exploitation  liées à une pandémie (mondiale), comment, et sur quelles statistiques fiables devraient-ils asseoir leurs tarifs ? Même en remontant à la « grippe espagnole » de 1918-1919, ça paraît difficile ! On va m’objecter que les assureurs indemnisent déjà les catastrophes naturelles et les attentats. C’est vrai, mais ce n’est pas – ce n’est plus – de l’assurance !

Devant la recrudescence de phénomènes  climatiques violents, le gouvernement socialiste de l’époque a fait voter la loi du 13 juillet 1982, créant un Fonds d’indemnisation des  « catastrophes naturelles »  géré par les assureurs, lesquels prélèvent un taux uniforme de surprime sur les contrats.

Pour les attentats, c’est la loi du 9 septembre 1986 (en son article 9) qui a mis en place une indemnisation des victimes prévoyant une garantie d’assurance obligatoire, et l’indemnisation par un Fonds de garantie spécifique (4).  Il va sans dire que dans les deux cas, c’est l’assuré qui paie les surprimes  et que l’État, bien sûr, prélève des taxes sur lesdites surprimes. Gagner de l’argent sur le malheur des autres n’est pas l’apanage des seules Pompes funèbres !

Monsieur Le Maire n’est pas un imbécile, il est énarque ET normalien. Européiste forcené, il sait que l’« Acte unique européen » puis le « traité de Maastricht », adoptés respectivement en 1986 et 1992, ont ouvert, au sein de l’Europe, la libre circulation des marchandises, des personnes, des capitaux  et  des services. Et il sait aussi que cette période – bénie pour certains – a été une véritable  hécatombe pour les petites sociétés d’assurance française, souvent régionales.

Le directeur général  d’une mutuelle d’assurance me disait à l’époque :

« Nous sommes en train de vivre une nouvelle sidérurgie, mais elle n’émeut personne ».

 Durant cette période, je serais incapable de vous dire combien il y a eu de plans sociaux, de rachats, de fusions et/ou disparitions pures et simples de sociétés d’assurance françaises au profit de grands groupes européens (5) ? Ces purges dans l’assurance n’ont pas marqué  les esprits et pour cause : un « col blanc » victime d’un licenciement intéresse moins les médias  qu’un  « prolo » en bleu de travail. Chez nous, la sensibilité (la sensiblerie ?) du vulgum pecus est à géométrie variable ; et c’est la presse qui fait l’opinion.

On rend un hommage national (avec remise de la Légion d’honneur par le président de la République en personne) à un professeur d’histoire-géo décapité par un terroriste islamique, mais on passe très vite sur le sort – tout aussi tragique, tout aussi atroce – de trois catholiques de Nice qui, eux, n’ont rien fait pour offenser le Prophète.  Mais revenons à notre sujet !

On peut craindre que la multiplication des dépôts de bilan, faillites, dépressions ou suicides de commerçants ruinés mette en péril quelques sociétés d’assurance, en particulier celles qui sont spécialisées dans le commerce et l’artisanat. Le gouvernement veut-il tuer un des rares secteurs économiques qui se porte encore à peu près bien dans ce pays ?

Malgré ce développement – un peu long, veuillez m’en excuser – je suis persuadé que les dirigeants des grands groupes finiront par accepter la demande gouvernementale (ce qui leur permettra, entre autres, de mettre la main sur des petites sociétés fragilisées par la crise).

Et je pense qu’on ne tardera pas à créer un Fonds « pandémie » alimenté, comme toujours, par l’argent du contribuable. Ces gens-là savent nous vendre la corde pour nous pendre.

Souvenez-vous, par exemple, des belles promesses de Macron en matière d’indemnisations des frais dentaires et optiques. Cette générosité jupitérienne a été payée avec…votre argent : les complémentaires-maladie (ou mutuelles-santé) ont augmenté en moyenne de + 6 %.

À moins que l’envolée de Le Maire sur les assureurs qui ne joueraient pas le jeu ne soit qu’un effet d’annonce. Georges Orwell a écrit : « Le langage politique est conçu pour que les mensonges paraissent vrais, et pour donner à du vent l’apparence de la solidité. »  Mais, hélas, j’en doute car quand il s’agit de nous taper, l’État-Vampire ne manque pas de ressources.

Monsieur Le Maire, le simple citoyen que je suis a bien une petite idée pour éviter les faillites en chaîne : laissez travailler TOUS les petits commerçants et artisans. Le coronavirus a un taux de mortalité (« de létalité » comme disent les cuistres)  inférieur à 0,5 %  et nos commerçants ont du bon sens et une conscience professionnelle. Ils respecteront les mesures sanitaires indispensables au bon fonctionnement de leur activité. Si, en revanche, vous voulez tuer le petit commerce, dites-le franchement, même si nous savons, depuis votre volte-face pour rejoindre Macron, que la franchise n’est pas votre qualité première.

Éric de Verdelhan       

1)- Certaines sociétés, spécialisées dans le commerce, l’artisanat et l’industrie, acceptent de couvrir en option la P. à la suite d’une fermeture administrative mais la pandémie ne fait pas partie des motifs de fermeture.

2)- Nous détenons un triste record avec plus de 250 impôts et taxes différents. Vous pouvez vous procurer la liste sur Internet. Elle laisse rêveur !

3)- Ce qui tendrait à prouver que l’énarque ne fait pas la différence entre « luxe » et « luxure».

4)- La loi du 13 juillet 1930 offrait déjà la possibilité de couvrir le risque « attentats ».

5)- On peut m’objecter qu’AXA, devenu leader mondial (après avoir « avalé » le groupe Drouot, la Providence, Présence, les AGP, l’UAP et j’en passe) est un groupe français. Certes mais le groupe a 107 millions de clients dans le monde dont à peine 6 millions en France. Son nouveau slogan, même en France, est  « Know you can », voilà qui annonce la couleur !