Cancel culture : et maintenant, c’est le tour de Molière !

En France – comme au Royaume-Uni et en Allemagne et sans doute nombre de pays occidentaux – le vocabulaire est en ruine. Bientôt, les gamins comprendront moins de mots qu’un border collie (environ 300 pour les meilleurs chiens de troupeaux).

L’école a largement contribué à la crétinisation des élèves. Elle a été épaulée dans son œuvre par l’univers numérique des jeux, des SMS et autres mondes virtuels, la lâcheté des responsables politiques et la venue de populations dont le QI n’est pas forcément himalayen.

Depuis des années, les maisons d’éditions pour la jeunesse ont choisi de suivre le mouvement.

Avec le consentement des ayants droit, les albums de la série Martine ont perdu leur charme et ressemblent maintenant à des modes d’emploi ou des notices de montage Ikea. Philippe Mérieux et Marie-Danielle Pierrelée ont gagné.

Mais émasculer les œuvres dédiées à la jeunesse ne suffit pas à la “cancel culture”.

Voici qu’en partenariat avec la Comédie-Française – créée par Louis XIV pour, notamment, la troupe de Molière – l’association Drameducation (elle porte bien son nom) a demandé à « cinq auteur.ice.s francophones d’adapter cinq pièces de Molière. Objectif : renouveler son œuvre pour la rendre accessible au plus grand nombre, et notamment à ceux qui apprennent le français à travers le monde ».

En 2019, déjà avec l’aide la Comédie-Française, l’association avait demandé à « dix auteur.ice.s de réécrire, en dix pages, dix pièces de Molière – L’École des femmes, Dom Juan, Le Misanthrope, Georges Dandin, L’Avare, Le Tartuffe, Le Bourgeois gentilhomme, Les Fourberies de Scapin, Les Femmes savantes et Le Malade imaginaire ».

En ce début 2021, ce sont cinq nouvelles pièces de Molière qui passent à la moulinette : Les Précieuses ridiculesLe Médecin volantL’Impromptu de VersaillesLe Mariage forcé et La Critique de L’École des femmes.

Marianne Dansereau, Marie Vaiana, Michel Bellier, Souleymane Thiâ’nguel et Merlin Vervaet ont eu pour mission de les rendre plus actuelles. « Notre projet est de renouveler Molière afin de le rendre plus accessible, souligne Jan Nowak, un des fondateurs de Drameducation. En discutant avec des professeurs de français et de FLE (français langue étrangère) à travers le monde, nous nous sommes rendu compte que les pièces d’origine étaient trop difficiles pour leurs élèves. Tant au niveau de la longueur que de la langue, un peu périmée. »

Côté longueur du texte : dix pages suffiront  amplement.

Marianne Dansereau a été chargée des Précieuses ridicules. Elle a transformé Magdelon et Cathos, en un groupe de Youtubeuses et d’influenceuses.

Marie Vaiana a utilisé la colère d’Adèle Haenel contre Polanski lors de la cérémonie des César pour actualiser la polémique au cœur de La Critique de L’École des femmes.

Michel Bellier ne parle pas de réécriture de Molière mais d’adaptation. « Tout l’enjeu est de désacraliser Molière, de le faire descendre de son piédestal afin de pouvoir se montrer un peu irrévérencieux et iconoclaste, explique-t-il. De L’Impromptu de Versailles, j’ai gardé la structure, cette unique scène, à la fois simple et compliquée, en forme de compte à rebours, mais aussi l’idée de ces comédiens qui doivent répéter un spectacle. Cette mise en abîme perpétuelle est, selon moi, toujours d’actualité dans sa façon d’interroger les rapports au pouvoir, à la censure et aux détracteurs de tous bords. »

La Comédie-Française applaudit. « Il ne faudrait pas cantonner cet exercice à une traduction, affirme la responsable de son service éducatif, Marine Jubin. Les auteur.ice.s ont leur langue et réactivent le sens de l’œuvre de Molière à travers elle, à l’aune d’une culture et d’une actualité. Ce lien entre le théâtre classique et le théâtre contemporain permet de découvrir des auteur.ice.s d’aujourd’hui, mais aussi de donner envie de lire, ou de relire, les pièces d’origine.» 

Ces “chefs-d’œuvre” devraient paraître en juin.

La réécriture des pièces de Molière permettra aux “créatifs” de l’écriture inclusive, de la “bonne conscience citoyenne” de fêter indignement le 400e anniversaire de la naissance de Jean-Baptiste Poquelin en janvier 2022. J’ai hâte de pouvoir applaudir ces créations. En une soirée, une bonne dizaine de pièces pourront être jouées. Quel gain de temps !

Il n’y a là rien d’« irrévérencieux et iconoclaste », comme font semblant de le croire les promoteurs de cette idée aussi “sotte que grenue”.

Il s’agit d’acter par le charcutage de la “langue de Molière” – expression synonyme de langue française, rappelons-le – la dégénérescence de la culture de notre pays, d’amener culturellement et intellectuellement la jeunesse toujours plus bas.

Je souhaite aux auteurs néo-moliéresques le même succès que les travestissements subis par les romans de la série Le Club des Cinq d’Enid Blyton.

Titres changés – Le Club des Cinq et les saltimbanques rebaptisé Le Club des Cinq et le Cirque de l’Étoile – plus politiquement correct –, disparition du passé simple trop compliqué au profit du présent de l’indicatif, “nous” systématiquement remplacé par “on”, mots un peu complexes comme “grommeler” s’évaporant de la surface de la page. Les descriptions, vraisemblablement trop “chiantes”, réduites à rien.

Mais, miracle, au lieu de relancer la vente des livres d’Enid Blyton, ce marketing labellisé cancel culture a tari la source. Une dizaine d’années après avoir mis sur le marché ces romans dénaturés, Hachette arrête les frais. Les bouquins si politiquement corrects ne se vendent pas. Les parents ne veulent pas pour leur progéniture de versions abrégées et vidées de toute substance. En Angleterre, même cause, même effet. Les enquêtes des Famous Five retrouvent leur lexique et orthographe originels.

Réjouissons-nous de cette excellente contre-attaque du Club des Cinq.

Je suis certain que Molière et le Commandeur n’ont pas dit leur dernier mot.

Marcus Graven

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