Caro féministe : portrait d’une militante

Le chauffagiste l’a reçue dans son bureau, l’a regardée et lui a dit : « Jolie robe… » Puis, en lisant sa lettre de candidature : « Malheureusement, je cherche plutôt quelqu’un qui a de l’expérience dans les pompes à chaleur… »

Elle quitta le bureau, soufflée. Rentrée dans son appartement, elle pleura, se demanda pourquoi elle pleurait et prit conscience de ce qui venait de se passer. Elle ne pouvait pas laisser passer ça. Sur Facebook, elle décrivit la scène et son traumatisme. Sur Twitter, elle dénonça ce harcèlement – #àbasjolierobeetpompesàchaleur – et balança son porc, dont elle donna le nom, les adresses postale et électronique, le numéro : dans les jours qui suivirent, le plombier-chauffagiste reçut cinq mille messages sous formes de sms, d’e-mails et de tweets. Il osa porter plainte.

« Qu’est-ce que vous avez fait pour mériter ça ? lui demanda Mme le magistrat. Vous savez qu’une femme est refusée dans un emploi toutes les deux minutes en France ? Et toutes les deux secondes dans le monde ?

– C’est-à-dire que je cherchais juste une secrétaire, moi. »

Il s’en tira avec six mille euros d’amende.

Pendant ce temps, Caro prenait conscience de la volonté de puissance qui sommeille en tout phallus, de la soumission impliquée par la pénétration patriarcale. Elle fonda Égal.e.s., et reçut cent mille euros de subventions pour lutter contre la domination phallique : « Les femmes ne doivent plus être violées, insultées, sifflées, complimentées, appelées “mademoiselle” ou “pompes à chaleur”. Une femme sur une est victime de regards, actuellement en France… » Comme elle comprenait les femmes voilées, à présent ! Ah ! ne plus être regardées comme des objets de désir…

En bas de son immeuble, justement, il y a un épicier arabe, dont la femme porte le hijab : Caro l’a aperçue brièvement, un jour. L’épicier est très gentil : il lui glisse toujours une banane en plus dans son cabas ; il a six enfants, dont Mohamed, qui est beau et barbu.

Or, quelques jours plus tard, dans le métro, Caro tomba sur un harceleur. « Vous pouvez serrer vos genoux ? » demanda-t-elle, en désignant les jambes répugnantes, écartées comme un compas ouvert, du jeune homme qui lui faisait face.

« Ah ! pardon, dit le garçon en souriant odieusement. Ils devraient élargir les sièges du métro, on serait plus à l’aise…

– Vos menaces ne m’impressionnent pas. Vous ne me faites pas peur.

– Comment ça ? »

Elle sortit une bombe lacrymo de son sac et en aspergea l’agresseur. Elle sortit du métro, courut et se réfugia chez Mohamed, qui la rassura. Ils avaient tant de points communs ! Lui non plus n’aimait pas le porc, lui aussi trouvait les Français racistes : « Les migrants ne sont pas des violeurs : y a du frottage parce que les rues sont étroites, il suffirait d’élargir les trottoirs… »

C’est tellement vrai, pensa Caro. Depuis, elle dénonce. Pour que la peur change de camp. Elle n’a pas honte. Elle est debout. Forte. Enthousiaste. Déterminée. Les femmes vont en finir avec les violences sexistes et sexuelles. Bientôt, il en sera fini du vieux monde. L’alliance des porcs et de leurs allié.e.s sera un vieux souvenir. Et Mohamed un bon mari.

Bruno Lafourcade