Comment fut libérée Notre Dame des Landes et ce qui s’en suivit

— Papa, comment tu peux permettre ça ?

— Permettre quoi ?

— Ben ça !…

— Quoi ça ?

Ma fille me désigna le gros aéronef blanc qui traversait le ciel de Nantes tandis que nous tentions de la visiter entre les flux de touristes, dont nous étions immanquablement malgré mon désir insatiable de prouver le contraire.

— Que veux-tu que je fasse ? Les descendre avec un bazooka ? On me l’a confisqué, remember !

— Papa !…

Ses dix ans s’énervèrent, mais, bizarrement, ne demandèrent pas l’interdiction de l’aviation, juste que les jouets de celle-ci fassent du bruit ailleurs. Je lui racontais que quelques grenouilles des paysans grassement dédommagés et des milliers de soldats de la nouvelle cause millénariste ne voulaient pas d’un nouvel aéroport qui empêcherait ce survol. Elle n’en crut pas ses oreilles, mais, contrairement à ce que je m’attendais et alors qu’elle veut devenir “fermière”, elle n’eut guère de compassion pour ces militants se cachant derrière ces paysans refusant de quitter la terre de leurs ancêtres, je lui en touchais un mot :

— Mais que fais-tu de ces paysans qui veulent rester là ?

— Ils peuvent aller ailleurs, on leur donnerait trois fois de terre en plus, pour le bien des Nantais, pour notre bien qui supportons ce bruit et surtout le fait qu’ils peuvent nous tomber dessus !

D’accord, elle ne l’a pas dit comme ça, je traduis, en même temps je me suis dit : pourquoi pas ?… J’avais quelques millions de côté, une affaire juteuse dont je vous parlerais un jour, et je connais pas mal de monde qui voulait faire quelque chose…

De retour à mon QG et après quelques coups de fil nous étions bien quatre cents, bien entraînés, surtout motivés, à aller libérer une partie de notre douce France occupée illégalement. On mit au point un plan qu’il fallut répéter à la perfection, le moindre impair aurait été fatal.

La nuit était encore pleine. Après quelques repérages, l’entrée nord était la plus vulnérable ce dimanche matin à cinq heures, la garde avait fait la fête et on leur avait vendu de la dope bourrée de somnifères pour rhinocéros de quoi les occuper un bon moment au paradis du coco.

Vite fait on les ligota et mis en lieu sûr, l’idée était de kidnapper tous ceux que l’on croisait puis on les exfiltrait loin dans un vieux château aux oubliettes restaurées par mes soins.

L’équipe fit des merveilles, on fonctionna par groupe de quatre, leurs membres tous déguisés bien sûr en militant/es de la “Cause”, à cheval, ce qui facilitait le travail. Il fallait faire gaffe aux pièges, gardes postés aux endroits vitaux interdits, nos détecteurs thermiques, via satellites aussi, nous aidèrent bien. Un par un, on les kidnappait, attendant qu’ils aillent aux chiottes, fumer la clope, rigoler, draguer, aller au ravitaillement, se coucher après leur tour de garde.

À cinq heures trente on coupa le champ magnétique des téléphones portables avec un message venant de leur opérateur expliquant que pour des raisons de maintenance la zone était hors champ pour trois heures.

À six heures, on avait fait le plus gros à coups de chloroforme, de chariots tirés par des chevaux et que guidaient les nôtres déguisés en militants munis bien sûr de tous les laisser passer nécessaires que l’on avait réussi à hacker puis scanner. Restait le plus gros : leur QG bourré d’armes en tout genre. On avait prévu le coup avec un butoir acoustique hyper silencieux qui vous faisait un trou conséquent dans un mur de deux mètres de diamètre. La garde était là, mais les grenades somnifères firent leur travail, on avait nous des masques bien sûr et en quelques minutes notre chariot à foin qui cachait le trou put embarquer leur arsenal bien impressionnant pour de gentils défenseurs d’oiseaux et de crapauds bilangues (il y avait beaucoup d’allemands, post nazis, défendeurs des racines, de la terre…).

Il avait été décidé de ne pas toucher aux paysans, on verrait plus tard. En trois heures, nos cinquante groupes de quatre à l’intérieur, et nos cinquante groupes de quatre à l’extérieur purent exfiltrer trois mille occupants, mille par heure en cinq prises, les caméras extérieures n’avaient rien vu ; manipulées à distance elles renvoyaient des prises de vues des jours précédents.

La place était donc prise, vidée de ses occupants, hormis les paysans qui dormaient encore.  Pour éviter de se faire reprendre la place il fallait en même temps isoler tout le secteur avec notre matériel spécial, une espèce de mur magnétique, un champ de force spécial qui empêchait toute intrusion, un matériel ultra-efficace que mes millions avaient réussi à faire fabriquer il y a deux ans maintenant, sans que je sache vraiment si et quand cela pouvait servir.

L’alerte avait été cependant donnée. Mais nous étions en place.

*

Le Premier ministre fut réveillé brutalement à huit heures alors qu’il s’était couché à cinq heures ; les situations internationales et nationales empirant nécessitaient des réunions interminables avec un Président déjà aux abois alors qu’il venait à peine d’être élu.

— Que se passe-t-il ?

— Réunion de toute urgence au Château !

— Mais ! J’en viens et il y a à peine trois heures !

— Il y a du nouveau. Notre Dame des Landes a été occupée…

— Je le sais ça ! Vous me réveillez pour cette évidence Madame…

C’était la conseillère très spéciale du Président et en même temps du Ministre d’État chargé de l’écologie, de la “transition”, et de mille autre choses.

— Notre Dame des Landes a été occupée cette nuit par des forces paramilitaires visiblement, sûrement la fachosphère, ils viennent de sortir un communiqué, parlant de libération de la mère patrie, le ministre Mussot est fou de rage, il veut que l’on envoie les chars, les paras, qu’on convoque le conseil de Sécurité, le Président a toutes les peines pour le calmer, vous devez venir immédiatement…

Les choses étaient claires pour Mussot quand il regarda vivement avec des lueurs sombres et si coupantes, coups de bec d’un faucon en fureur, disséquant en haletant, blanc de rage, cette assemblée de ministres avachis ce dimanche matin, un 15 août, où tout se relâche en France.

— Voici la seule et unique option, martela-t-il sur un ton sec, robotique, et toujours ce regard cisaillant, – certains ministres se tournèrent instantanément vers le Président étonnés que cela soit Mussot et non lui qui la propose, le Président toussa, le dos rond, leur fit un sourire désolé du genre je n’y puis rien, cela me dépasse…, nous devons reprendre la place, immédiatement cria Mussot, il est inadmissible que la République puisse être ainsi défiée, qu’une part de son territoire passe sous le contrôle d’une force factieuse !!! Il faut immédiatement agir Monsieur le Président!

— Je vous fais remarquer Cher Collègue, que la situation précédente était aussi illégale, fit remarquer le Premier ministre.

— Plaît-il ?… Cisailla Mussot fixant le Président, ignorant les propos que venaient de tenir Baratain face à des ministres aux regards fuyants tapotant mollement le buvard de leur pupitre tout en observant sur leur portable le déchaînement sur les réseaux des pour et des contre, ces derniers promettant une manifestation monstre venue de toute l’Europe.

Baratain lança : — écoutez Monsieur le ministre d’État, la situation était déjà illégale…

Mussot explosa : Mais pas du tout du tout !

Baratain: il y a bien eu un référendum non ?…

Mussot : Certes, mais comme il y a eu ensuite l’élection présidentielle et comme le Président a déclaré que l’on devait à nouveau réévaluer l’ensemble, comme le Président est la plus haute instance juridique sa parole compte le plus, n’est-ce pas Monsieur le Président ?

Tous les regards fixèrent Le Président Marron qui fit d’abord un grand sourire, réajusta son nœud de cravate, fit jouer son stylo entre ses pouces, courba les épaules avant d’annoncer :

— Force doit rester à la loi.

Mussot et Baratain eurent un air satisfait, mais s’apercevant de cette incohérence ils regardèrent le Président d’un air inquiet, celui-ci le sentant toussa un peu, prit l’avis de sa conseillère (qui était en même temps celle de Mussot) puis lança :

— Dès demain on envoie la troupe, la fachosphère n’aura pas le dernier mot.

Immédiatement Mussot se retira pour se répandre dans les médias, n’attendant même pas que le porte-parole le fisse.

Les dés étaient donc joués. Le mur magnétique pouvait tenir, sauf si le Ministère des Armées lançait des contre-mesures qu’il était le seul à posséder, hormis mes troupes s’entend. J’en avais appelé aux patriotes, aux vendéens et aux bretons massacrés par la fausse République, que je n’appellerai pas la “gueuse” parce que je ne veux pas être amalgamé aux félons pétainistes, ils arrivaient par milliers,  mais les gendarmes les bloquaient alors qu’ils laissaient passer des milliers de blacks blocs venant d’Allemagne, d’Italie, et de divers pays satellites. J’étais en même temps poursuivi pour rébellion contre la loi, actions criminelles diverses, association de malfaiteurs, kidnapping, alors que j’avais défendu la légalité, et que la plus haute instance juridique, le Conseil Constitutionnel, et non pas le Président, avait botté en touche en appelant à la concertation, j’en avais pour vingt ans, en appel. Que faire ?

Il y eut soudain un autre mouvement dans le pays, un mouvement de fond, des centaines de milliers, voire des millions se mirent à encercler les forces militaires qui s’apprêtaient à forcer le mur magnétique. Mussot explosait, demandant leur évacuation, en appelait à la République lui aussi, les gendarmes étaient pris entre deux feux, les blacks blocs d’un côté, les patriotes de l’autre, je décidai une action d’envergure : on construisit un tunnel juste en dessous des blacks blocs qui faisaient face aux gendarmes, l’ordre n’avait pas été encore donné à ces derniers de se retourner et d’attaquer le mur avec leurs pistolets subsoniques capables de démanteler les circuits courts des cellules composant le mur. Course contre la montre. Mussot trépignait aux côtés des préfets et aux autres commandants de division chargés de l’assaut.

Au moment où mes 400 firent tomber les blacks blocs dans le trou prévu à cet effet, je fis une intervention expliquant qu’il fallait rétablir l’autorité de l’État, qu’il fallait cet aéroport international pour éviter que l’on passe par Paris pour décoller hors d’Europe, la région le voulait, c’était vital, même si Bordeaux n’en voulait pas, fière de sa connexion TGV en deux heures. Rien n’y fit. Les gendarmes appuyés par les paras donnèrent l’assaut. C’était Alger. Saïgon. Sauf que les rebelles qui voulaient leur indépendance, les légitimistes qui voulaient qu’un vote soit respecté, c’étaient nous, pas eux.

Lucien Samir Oulahbib

(A suivre)