Condorcet! Si tu savais… Histoire et actualité de l'éducation populaire laïque

Les deux histoires, celle de l’éducation populaire et celle de la laïcité sont intimement liées. Si l’éducation populaire possède trois rameaux, c’est le laïque qui a le plus fleuri. Aujourd’hui ce mouvement créé par plusieurs pionniers et notamment Condorcet est attaqué par des pluies acides dangereuses qui ont pour noms : le communautarisme et le libéralisme. Il doit à la fois se défendre contre ses ennemis et certains de ses faux amis.

Qui ne se réclame pas de la laïcité aujourd’hui?

En ce début du troisième millénaire, presque toutes les organisations enfance-jeunesse se réclament de la laïcité, même l’UFCV, fondée par des pasteurs! Ne se présente t-elle pas comme une “association nationale d’éducation populaire laïque et pluraliste fondée en 1907”! D’autres comme les scouts de France se déclarent ouverts à tous? essayant de faire oublier qu’ils sont “des acteurs majeurs de la pastorale des jeunes”. La laïcité, ce n’est pas l’ouverture proclamée diffusant l’idéologie religieuse. Il s’agit pour les laïques de défendre la liberté de conscience et le respect des principes universels comme l’égalité des droits; Il s’agit comme l’écrit Péna Ruiz de trois principes indissociables: “La liberté de conscience fondée sur l’autonomie de la personne et de sa sphère privée, la pleine égalité des athées, des agnostiques et des divers croyants, et le souci d’universalité de la sphère publique, la loi commune ne pouvant promouvoir que ce qui est d’intérêt commun à tous.”

L’état des lieux

Aujourd’hui les associations authentiquement laïques, confédérées dans la Jeunesse Au Plein Air représentent plusieurs millions d’adhérents répartis dans plusieurs associations et fédérations nationales et intervenant aussi bien dans un village creusois que dans le quartier d’une grande ville. D’autres associations ont vu le jour comme l’UFAL, ATTAC ou Droit au logement.

Au fait… C’est quoi l’éducation populaire?

Des définitions fort confuses et restrictives circulent comme celle qui considère que l’éducation populaire, c’est l’éducation de tout le peuple. Beaucoup oublient l’origine et la raison d’être de ce mouvement qui s’est toujours revendiqué de la transformation sociale; “L’éducation populaire est le développement des capacités de chacun à comprendre son environnement, à pouvoir s’y situer pour agir à le transformer” Condorcet, lui-même, premier concepteur de l’éducation populaire ne fixait-il pas dès le 2 avril 1792 à ce mouvement les objectifs à atteindre: pour chacun: “Développer toute l’étendue des talents qu’il a reçus de la nature, et par là établir entre les citoyens une égalité de fait et rendre réelle l’égalité reconnue par la loi.” Toutes celles et tous ceux qui, aujourd’hui s’inscrivent dans une démarche de simple accompagnement social pour faire accepter la société telle qu’elle est devraient relire Condorcet.

L’éducation populaire et sa matrice laïque

Pour les républicains qui, comme Jean Macé poursuivront la réflexion et le combat de Condorcet, il s’agit de permettre au peuple d’accéder aux savoirs, à la connaissance pour devenir pleinement un acteur politique dans le cadre de la construction de la République. Jean Macé a voulu améliorer l’instruction en France, la rendre accessible à tous . Il va fonder le 15 novembre 1866 le Ligue de l’Enseignement qui se développera sur tout le territoire avec une orientation laïque et démocratique. La Ligue va agir pour la fondation d’une école publique, gratuite et laïque et pour une éducation complémentaire ( cours du soir, bibliothèques…)

Les deux autres matrices

Au même moment, le mouvement ouvrier français commence à s’intéresser à l’éducation populaire en mettant en place des universités populaires; Henri Tolain, impressioné par l’action menée par le mouvement ouvrier anglais jette les bases d’une éducation populaire ouvrière dès son retour de l’exposition universelle de Londres en 1864. Pour Ferdinand Pelloutier l’éducation est le prélude à la révolution : “ce qui manquait à l’ouvrier, c’est la science de son malheur” Il faut “instruire pour révolter”. l’Eglise ne reste pas inactive, il lui faut se préoccuper de son développement et de sa mission évangélique. En 1899, Marc Sangnier constitue le Sillon qui doit en regroupant la jeunesse ouvrière et des fils de notables réconcilier l’Eglise et la République. Il va fonder des patronages et des instituts populaires. La hiérarchie catholique, inquiète de voir les principaux sillonnistes soutenir la loi du 9 décembre 1905 va demander à Marc Sangnier de s’en arrêter là .

Le début du 20ème siècle et l’essor de l’éducation populaire laïque

Après la promulgation des lois scolaires de 1881-1882 et 1883, les patronages vont connaître un réel développement avec l’engagement d’instituteurs et d’institutrices voulant occuper le terrain du jeudi pour l’enlever au curé. On comptait en 1900 : 1276 “patros” laïques et 4168 ecclésiastiques. Après la loi de séparation des églises et de l’Etat on recensait 2364 “patros” laïques. Les colonies de vacances vont se développer dès le début de ce 20ème siècle avec une tendance éducative remplaçant la vocation uniquement sanitaire et sociale. “La colonie de vacances est un centre éducatif où santé et caractère se développent de pair”

Le Front populaire: l’éducation populaire est à son zénith

En 1936, avec l’appui de Léo Lagrange, sous secrétaire d’état à l’organisation des loisirs et des sports, l’éducation populaire va connaître un développement prodigieux avec : les auberges de jeunesse, le théâtre, le cinéma et même l’aviation populaire. Ceux qui prônent la cohésion sociale aujourd’hui devraient méditer cette déclaration de Léo Lagrange: “Qu’on m’entende bien! Il ne s’agit pas de distribuer une culture au rabais qu’on aurait baptisée populaire pour en marquer la pauvreté, mais au contraire de créer pour les larges masses dans l’ordre de l’esprit, l’instrument de leur libération et de leur dignité.” A la veille de la guerre les colos et les patros ne sont pas encore nombreux. Si la vie de l’enfant évolue grâce à la scolarisation jusqu’à 14 ans, aux congés payés et à la semaine de 40 heures, un effort reste à faire par rapport aux loisirs.

Le tournant unitaire et laïque de 36

Au début des années 30 de nombreuses municipalités communistes ont fondé des patronages prolétariens, diffusant une idéologie ouvrière et “communiste”. Le changement de tactique du PCF et le Front Populaire vont conduire à une “victoire” de la laïcité. Avec l’aide de la CGT et du Syndicat national des instituteurs, les Cemea vont être fondés en 1937-1938 et les Frances et Franches camarades à la libération.

L’éducation populaire après la Libération

La guerre froide et la scission de la CGT fin 1947 vont modifier la donne avec un “nouveau” venu : un mouvement d’éducation populaire proche du PCF qui va se préoccuper de toute la vie sociale et prendre la forme d’un réseau d’associations liées au parti. Les femmes vont se retrouver aux “femmes françaises”, les anciens à l’Union des vieux de France, les locataires à la CNL et les enfants aux Pionniers… La SFIO ne restera pas au bord du chemin, les socialistes du Nord créant la Fédération Nationale Léo Lagrange. Les associations laïques enfance jeunesse qui ont toujours revendiqué l’accès de tous les enfants à des structures éducatives ludiques et complémentaires vont s’appuyer sur l’existence des Ecoles Normales d’instituteurs. C’est ainsi que des milliers de jeunes instituteurs vont s’impliquer dans les villages et en ville. C’était le temps des militants.

La crise

Après la fin des trente glorieuses a sonné l’heure de la destruction des Ecoles Normales. Alors que tous les normaliens devaient durant leur formation professionnelle participer à un stage de moniteur de colonie de vacances, ce lien quasi “organique” entre les
associations laïques d’éducation populaire était coupé, privant les mouvements d’un vivier. La conquête de nombreuses municipalités par la gauche en 1977 et la victoire de Mitterrand en 1981 ont “décapité” des directions des associations perdant là de nombreux cadres. Au lieu de faire face, de reconstituer des équipes militantes, de privilégier le terrain, les grandes fédérations se sont engouffrées dans le marché de la formation, surfant sur la professionnalisation de l’animation et ses conséquences. Tant que la gauche était au pouvoir, les subventions publiques et les marchés de la formation ont permis aux associations de poursuivre un développement contradictoire: tout en perdant des militants, les associations embauchaient des permanents. La venue de la droite au pouvoir en 2002 et son installation confirmée ont conduit à asphyxier de nombreuses associations et mouvements; Il ne reste plus que deux voies possibles : la marchandisation avec la recherche de nouveaux marchés ou la résistance et le retour aux valeurs premières de l’éducation populaire… Même si de nombreuses associations laïques se sont transformées en grandes machines technocratiques, rien n’est joué et beaucoup de militants sont attachés à la mission première de l’éducation populaire et à la laïcité. Lors du débat autour de l’interdiction du port de signes religieux à l’école, des équipes de formateurs ont soulevé la question des stages de formation. Aux CEMA, aux Eclaireuses Eclaireurs de France et aux Francas, le débat se poursuit et des équipes de formateurs n’ont pas attendu une position tardant à venir: ils ont tranché en faisant respecter la laïcité et l’égalité des droits entre filles et garçons.
Jean-François CHALOT
Intervention à Nantes, le mardi 5 février à l’invitation des Francas du 44

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