Coupable d’avoir été violée : la Tunisie prend le visage de la barbarie

On reconnaît un Etat de droit à sa capacité à juger les faits et non la morale. Mais la justice pénale tunisienne n’a cure de ce principe élémentaire de droit. Au lieu de qualifier et juger d’abord les faits aggravés de viol et d’extorsion de fonds sous la menace d’arme à feu, de surcroît une arme de service, commis par des agents dépositaires de l’autorité publique et ce pendant l’exercice de leurs fonctions, elle commence par faire le procès des victimes pour atteintes ostentatoires aux bonnes mœurs, un chef d’inculpation abscons, sur la simple foi d’un procès-verbal vicié entaché d’irrégularités établi par des policiers-violeurs-racketteurs qui devrait être en tout état de cause frappé de nullité.

Comment peut-on être juge et partie sans que cela ne soulève de sérieux doutes sur la validité du procès-verbal ? On ne peut que s’interroger sur sa portée juridique, alors qu’il a été rédigé par les auteurs présumés du crime pour viol.

La justice tunisienne s’appuyant sur un constat entaché d’irrégularités tant dans la forme que dans le fond fait preuve d’un sens particulier de l’équité et de professionnalisme. A trop vouloir privilégier la morale publique aux détriments des droits des victimes, elle se couvre du voile de l’ignominie et l’infamie à l’image de celle qui a cours sous les cieux de son modèle wahhabite qui ne reconnaît pas le viol et où la victime d’un viol est passible de la peine de mort (Women and sexuality in Musulim societies Editions WWHR 2000). Il est à craindre que la victime tunisienne ne subisse le  sort des autres femmes violées en Arabie Saoudite, au Yémen, à Dubaï, au Pakistan, au Bengladesh. En 2007, une chiite violée par sept hommes en Arabie Saoudite a été condamnée à deux cents coups de fouet et six mois de prison ferme. Telle autre victime d’un viol en bande organisée à Dubaï a été condamnée à deux ans de prison ferme. Une jeune adolescente violée et contrainte à épouser son violeur au Maroc et qui a préféré mettre fin à ses jours plutôt que de subir la double peine.

Dans le droit pénal musulman non-codifié faisant ainsi la part belle à l’arbitraire et aux spéculations juridiques à tout vent, le viol reste assimilé à une relation extraconjugale en présence des quatre témoins requis, de sexe masculin et de confession musulmane, censés fournir des preuves intangibles sur la matérialité de l’acte. Selon la sourate 4 “les femmes”, verstet 15 qui fixe comme condition de preuve le passage d’un fil entre les partenaires dans une relation amoureuse jusqu’à ce qu’il bute sur un obstacle.

Dans les affaires de viol, il y a rarement des témoins, comment la victime peut-elle attester de la véracité d’un viol alors que sa parole compte pour la moitié de celle d’un homme ? Pourquoi le droit musulman n’accorde pas les mêmes capacités juridiques à la femme qu’à l’homme ? Qu’est ce qu’un droit qui se veut moral alors qu’il est dépourvu de toute moralité dans le sens d’équité ? Quand on se veut une religion juste, pourquoi autant d’injustices frappant les femmes ? Pourquoi la femme est-elle considérée comme une musulmane entièrement à part et non à part entière ? Avec tous les interdits oppressants qui pèsent sur elle, il y a effectivement matière à se poser des questions quant au vrai sens de la morale religieuse qui sous-tend le droit musulman. Des questions qui resteront sans réponses parce qu’elles touchent au domaine du sacré. Personne ne peut s’y aventurer sans que cela ne heurte la susceptibilité des musulmans.

Le vrai danger qui menace les droits des personnes, c’est que les musulmans s’abritent derrière le sacré qui est le fondement de leur morale publique pour verrouiller tout débat sur la condition féminine dans le monde musulman. Leur argument de défense consiste toujours à dire : Dieu a fixé les droits et devoirs de chaque sexe, on ne peut ni en discuter, ni changer ou modifier l’ordre naturel des choses. Tout doit rester immuable et figé. Seuls le rigorisme et la soumission ont droit de cité. Hommes et femmes se doivent de respecter les normes obligatoires telles qu’elles sont prescrites par la religion, et si une femme se trouve victime d’une agression sexuelle qui serait la conséquence de son inobservation des règles spécifiques de sa religion, le juge musulman doit juger plutôt de la morale que des faits allégués.

En procédant de la sorte, la Tunisie met le cap sur la charia en toute clarté. Avec cette affaire, elle fait une entrée spectaculaire dans le cercle véreux des pays qui font de la morale religieuse un blanc-seing pour les hommes d’affirmer leur autorité sur les femmes et d’en faire un objet d’asservissement sexuel. Le viol conjugal est inconnu dans le droit musulman.

La Tunisie après avoir trahi l’esprit de sa Révolution, ne va pas manquer son rendez-vous avec la charia qui était pourtant à des années-lumière des revendications des manifestants d’avant le 14 janvier 2011.

Infidèle à son identité tuniso-tunisienne, la voilà qui se veut fidèle à une identité synonyme d’archaïsme, d’esclavagisme, de totalitarisme et d’immobilisme. Le virage négocié par la justice pénale tunisienne aux couleurs de la théocratie religieuse portant les griffes d’Ennahdha dessine le visage de ce que ce sera la nouvelle Tunisie. Une Tunisie qui aura perdu son âme tunisienne pour ressembler aux pays de la barbarie humaine : la Somalie, l’Afghanistan, le Pakistan, l’Arabie Saoudite….

Plutôt que de juger les coupables, elle juge les victimes surtout quand il s’agit d’une femme non-voilée, même la voilée n’est pas à l’abri non plus, qui est déjà une coupable en puissance, au point que l’on se demande si elle ne cherche pas à déculpabiliser les auteurs du viol et de racket en bande organisée avec menace de mort afin de faire tomber le plus cyniquement du monde les lourdes charges qui pèsent sur les représentants de l’anarchie juridique nahdhaouiste.

De même qu’elle aurait été plus avisée de s’intéresser à la personnalité des policiers, à leurs états de service, leurs passés judiciaires, leurs dates de recrutement au Ministère de l’intérieur aux mœurs des plus douteuses, immorales et criminelles, etc., elle préfère livrer en pâture aux chiens nahdhaouistes la vie des innocents dont le seul tort, à supposer qu’il en soit, est d’avoir choisi par pudeur publique un endroit isolé à l’abri des regards, où ils ont pu garer leur véhicule en toute tranquillité et sans que cela ne constitue un quelconque trouble caractérisé de l’ordre public, ni exhibitionnisme, ni ébats amoureux ou tout autre comportement fautif de nature à constituer une violation de la morale publique.

Comment deux individus à bord de leur véhicule personnel qui est censé être un espace privé quand bien même leur véhicule est stationné dans un espace public, peuvent-ils enfreindre le droit pénal tunisien ? Si infraction il y a elle ne peut qu’être de nature administrative, et en aucun cas tomber dans le champ des juridictions pénales du pays.

De même quel crédit doit-on donner à des propos indécents et inqualifiables qui sont une violation des droits des victimes et une ingérence grave dans la sphère de la justice tenus par deux ministres de tutelle de l’intérieur et de la justice à la probité aléatoire, l’un condamné pour des faits aggravés d’agression sexuelle sur mineur et l’autre fortement soupçonné de délit de favoritisme pour avoir permis la libération de son frère délinquant sexuel notoire ? La morale chez eux est à géométrie variable et n’a de sens que si elle est soi-disant d’essence divine et non humaine et nécessaire au bon fonctionnement de la société dans toute sa pluralité.

Quel crédit accorde-t-on à des témoignages de policiers qui se trouvent accusés et accusateurs ? Ce qui laisse peser des sérieuses suspicions et réserves quant à recevabilité de leurs témoignages ainsi que la validité juridique de leur constat.

Pourquoi la justice pénale tunisienne a-t-elle mis autant de zèle et de célérité pour faire le procès des victimes en s’en tenant à des simples faits qui ne reposent sur aucun fondement juridique sérieux motivés par les seules allégations des policiers-violeurs-tortionnaires et racketteurs ? Dans un état de droit et de justice indépendante, on commence par rendre justice aux victimes avant d’envisager des éventuelles poursuites pour des faits mineurs qui leur seraient reprochés et surtout au vu du caractère fortement suspect du chef d’accusation.

Cette affaire d’une extrême gravité pour les victimes et qui devrait relever du champ de compétence de la cour d’assises tunisienne, a pris une tournure politique, ubuesque et kafkaïenne, digne de l’état-bananier, de l’état-voyou qu’est devenu la Tunisie, où l’on se garde de juger les coupables pour juger les victimes et dissuader ainsi d’autres victimes d’abus de droit et de violence policière à ester en justice, en se trouvant sur le banc de l’infamie juridique. Une mise à mort programmée des droits des victimes apparaît en filigrane de cette affaire qui jette un véritable discrédit sur le pays du même acabit que la violation et la mise à sac des locaux de l’Ambassade américaine. La Tunisie s’inscrit immanquablement dans le sillage des Etats musulmans les plus réactionnaires au système juridique appuyé sur les lois de la charia.

Il n’est donc pas étonnant de voir les victimes déchues de leurs droits pour se trouver sur le banc des accusés. Surtout quand la victime n’est pas de sexe masculin. Dans le droit musulman, il n’existe pas d’égalité de traitement entre les sexes. Pour schématiser, l’homme est présumé innocent, tandis que la femme est une coupable potentielle à cause du caractère maléfique que lui impute la religion. Les hommes sont juridiquement considérés supérieurs en droit aux femmes. C’est pourquoi la victime de ce viol immonde est jugée pour des faits imaginaires, farfelus et abracadabrants, en dépit de tout bon sens moral et juridique. Comme si l’on veut la pénaliser, la sanctionner et la punir d’avoir osé mettre en cause la toute puissance masculine, surtout quand elle est censée représenter l’ordre dominant d’essence pseudo divine. Que vaut la parole d’une femme devant le témoignage de ses accusateurs-violeurs ?

Les quatre témoins requis ne sont pas là pour témoigner selon la charia, il reste pourtant les preuves implacables de l’A.D.N. mais qui sont inconnus par cette dernière. Si jamais, elle et son compagnon se trouvent condamnés pour outrage aux bonnes mœurs, il y a tout lieu de croire que les policiers seront innocentés. En toute évidence, le ministère public tunisien fait sienne la doctrine juridique d’Ennahdha basée sur la notion de la morale publique d’essence religieuse afin d’occulter la réalité des faits, de les nier, pour incompatibilité juridique avec les bonnes mœurs. Ouvrant ainsi la voie royale à l’injustice et aux abus de pouvoir et de droit.

Une conception du droit et de la justice qui laisse augurer un avenir des plus liberticides et despotiques pour la Tunisie.

En cherchant à élever la morale, notion abstraite et absconse, fondée sur le bien et le mal au-dessus des lois, Ennahdha ne fait plus mystère de sa volonté d’imposer aux tunisiens un type de société liberticide, carcérale, et concentrationnaire pour les femmes. Cette affaire n’est en aucun cas le prélude d’un régime fasciste, elle porte en elle tous les ferments de l’archaïsme et le rigorisme wahhabite.

La Tunisie ne va pas tomber sous les coups de butoir du fascisme islamique, elle est déjà tombée sous le joug du sectarisme wahhabite. Pour paraphraser Jean de la Fontaine : Selon que vous êtes musulman ou femme musulmane voire non -musulman, la cour de droit canon musulman vous rendra blanc ou noir. Enfin qu’est ce qu’une morale religieuse sans morale elle-même ? Un ordre juridique prétendument moral se doit de juger les coupables avant les victimes et ne pas déclarer coupables d’avoir été victimes. Toute justice culpabilisatrice des femmes est une justice du règne de la loi de la jungle.

Salem Benammar

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