Crise : on vit une époque formidable… si on n'a pas plein d'actions !

Loin d’être désespérante, la situation actuelle que traverse l’économie mondiale est plutôt réjouissante. On assiste effectivement à l’effondrement de tous les enseignements que nous ont assénés pendant des années les théoriciens de la pensée libérale dans la droite lignée de Milton Friedman. Et tout ce qui devait arriver arriva. Non pas qu’on n’ait pas prévu, mais on ne voulait ni lire, ni voir, ni entendre ceux qui tenaient un autre discours.
Michel Agliatta et les économistes keynésiens étaient obligés de longer les murs comme le raconte Benoît Hopquin dans une pleine page du Monde. Dans de nombreux cénacles, parler de classes sociales comme on me l’avait enseigné à Sciences Po dans les années 70, était devenu tabou au cours des années 90. Seules les catégories ethniques avaient désormais droit de cité.
Sous l’influence de Reagan, de Thatcher, des néo-conservateurs, puis en Europe de l’instauration du traité de Maastricht, il fallu subir le dogme de la pensée unique, le tout marché. Pourtant, quelques fissures ont commencé à apparaître très progressivement.
La première me semble dater de Seattle et des grandes manifestations contre les réunions du G8 au temps de leur apogée. En dehors du côté violent et un peu Woodstock de ces rassemblements, quelque chose a commencé d’ébranler la marche forcée de la mondialisation. Mais une fêlure ne suffit certes pas.

Ensuite, les négociations de Doha ont commencé à marquer le pas. Malgré toute l’obstination du socialiste français Pascal Lamy, les négociations ont fort heureusement échoué l’été dernier à Genève. D’ailleurs Mandelson, commissaire européen chargé du commerce, plusieurs fois mis en cause par la France, car voulant brader la politique agricole, vient d’être rappelé au gouvernement par Gordon Brown.
Évidemment en Europe, la victoire du non au référendum en France et aux Pays-Bas a porté un coup aux tenants de cette Europe de la concurrence pure et parfaite. Récemment les Irlandais touchés les premiers par la crise et par les effets de l’ultralibéralisme, ont encore rejeté le traité européen.

Le retour des nationalisations et des Etats-nations

Chaque jour annonce son bouquet de nouvelles : Fortis et Dexia nationalisées, ce qui est déjà un événement majeur. Mais qui nationalise ? Les Etats et ils sont de retour. Les Pays-Bas ont nationalisé Fortis et la Belgique, le Luxembourg et la France Dexia, la Banque en France des collectivités locales Un retour aux États-nations qui seuls peuvent intervenir.
La commission européenne qui n’a de cesse de les anéantir et qui essaie contre tout principe de subsidiarité de multiplier les directives pour amoindrir le pouvoir des États montre au grand jour ce qu’elle est : un mastodonte bureaucratique impuissant même s’il gronde encore… Samedi dernier, le président de l’UE, a réuni un mini sommet, un G4 des États importants faisant partie du G8, pas 27 États dont les intérêts sont disparates ou contradictoires.
Cela ressemble fort à ce qu’un Jean-Pierre Chevènement ou un Hubert Vedrine appelait de leurs vœux, des cercles restreints et concentriques capables et compétents. Angela Meckel que les journalistes français adorent tant qu’elle est contre Sarkozy, a voulu montrer son attachement à la non-intervention. 48 heures plus tard, l’effondrement de la banque Hypo Real Estate, spécialiste dans l’immobilier, l’obligeait d’accepter l’intervention des banques nationales. Pendant ce temps de tempête, le PS et son secrétaire pour plus très longtemps, répète comme un perroquet « Paquet fiscal ! Paquet fiscal ! ».
Certes, on peut regretter que la leçon de choses soit amère et que l’on ne soit pas intervenu à hauteur de millions de dollars ou d’euros pour sauver les entreprises industrielles. Au lieu de cela on a préféré la loi du marché, le jeu d’une concurrence en réalité totalement faussée car comment concurrencer des États comme la Chine où les travailleurs sont payés dix ou vingt fois moins pour des horaires sans comparaison.
A vouloir faire des super-profits, ces apprentis sorciers de la finance mondialisée étaient prêts à appauvrir les classes moyennes et à déstabiliser les démocraties. Au lieu de payer des salaires corrects, ils ont fixé pour satisfaire les actionnaires des objectifs de croissance irréalistes que seuls des rendements spéculatifs et non productifs pouvaient atteindre.
Ensuite, au lieu de rémunérer correctement le travail, ils ont préféré dépenser des sommes astronomiques dans la publicité pour inciter les consommateurs à dépenser. Quand ceux-ci sont devenus de moins en moins solvables, on les a alléchés avec des crédits à 1 % qui ne tardèrent pas à augmenter, étranglant financièrement tous ceux qui s’étaient laissés emportés dans cette vague.
On entend actuellement sur les ondes, certains analystes déclarer doctement : « Ne cherchons pas les responsables, tout le monde est responsable », mettant dans le même sac celui qui a acheté une maison à crédit et celui qui a vendu le crédit, le banquier qui a inventé le système pourri des subprimes et s’est enrichi à millions de dollars et celui qui se retrouve à la rue ». Non, les responsabilités ne sont pas du tous les mêmes. Et si cette crise permet de réintroduire des règles et des contrôles empêchant les riches de devenir ultra riches et les pauvres ultra pauvres, ce sera positif.

L’émergence d’un monde multipolaire

Parallèlement à cet effondrement du capitalisme financier, d’autres événements sont assez plaisants. L’hyperpuissance qui a imposé ce système a pris du plomb dans l’aile. Au mois d’août, pendant que tout le monde avait le regard rivé sur les jeux olympiques de Pékin, Saakachvili avec le feu vert des Américains a décidé de lancer l’offensive contre les Ossètes, alors que des négociations engagées avec la Russie étaient sur le point de déboucher sur un accord ce qui a entraîné la réaction vive de la Russie.
En tout état de cause, c’est une armée équipée par les Américains et par les Israéliens (très fort en drône et en interception) qui s’est fait battre à plate couture. Ce qui est tout de même une claque pour les Américains qui espéraient jouer sur la renaissance de la guerre froide pour faire remonter Mac Cain dans les sondages.
Cette tactique a d’ailleurs été efficace quelques temps mais l’éclatement de la crise financière a réduit ces effets à néant. Il reste maintenant quatre semaines avant les élections américaines ce qui laisse assez peu de temps pour une aventure militaire. Le pire peut toujours arriver et un assassinat de Barak Obama reste un risque non négligeable tant les intérêts de certains notamment dans les trusts pétroliers sont immenses.
L’élection d’Obama devient une probabilité réaliste. Et c’est là aussi une perspective assez formidable. Non pas parce qu’il est noir comme on l’entend chez certains communautaristes. Mais parce qu’il représente une rupture générationnelle avec les vingt dernières années de la politique aux États Unis et que son élection, malgré un contexte économique et social difficile, serait vraiment un espoir pour des millions d’Américains qui ont été les premiers à supporter la politique libérale qui à mis à terre un confort de vie, un niveau de vie.
Signe de ces temps amers, la multiplication des films ou des livres décrivants ces zones où il n’y a plus de travail, plus d’avenir. Maintenant, il faut espérer que cette défaite cuisante que l’on peut espérer, conduira les États Unis à cesser la politique de la canonnière des néoconservateurs, à trouver une sortie d’Irak et d’Afghanistan.
L’équilibre mondial passe par un monde multipolaire qui est en train de naître. Il faudra apprendre à discuter avec la Russie et la Chine telles qu’elles sont sans leur imposer une pseudo démocratie qui n’était que le faux nez du capitalisme débridé.
A condition d’aimer le vent et la tempête, et de ne pas posséder plein d’actions, franchement, on vit une époque formidable.
Victor Charles
http://www.lemonde.fr/la-crise-financiere/article/2008/10/01/la-revanche-de-keynes_1101719_1101386.html

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