Cuba abandonne le communisme
Bien sûr, hors de question de l’admettre dans la terminologie officielle, mais le projet de nouvelle constitution à Cuba, qui doit être soumis à référendum le 24 février prochain, reconnaît le rôle du marché et de l’activité privée dans « la Perla de las Antillas ».
Traduction : Adios el comunismo.
Le passage de témoin d’un frère Castro à l’autre marque le début d’une évolution lente mais inéluctable.
Tout commence par le cadeau empoisonné de Hugo Chavez, qui, du Venezuela, amène la fibre dans l’Île. Devant permettre à tous les Cubains d’avoir le Web haut débit, et gratos, s’agissant d’un pays en théorie socialiste.
L’info y étant totalement cadenassée, Fidel refuse que les particuliers puissent s’équiper, tant en connexion qu’en matériel. Seuls quelques ministères, administrations ou universités y auront droit.
Plus cool, le frangin Raul l’autorise du bout de l’octet, mais en assurant une liaison pourrie et hors de prix, sous monopole d’État.
Totalement dissuasif, histoire de rester dans la stratégie de contrôle..
Seulement voilà : des petits malins, admirables d’ingéniosité et débrouillardise, parviennent, avec un simple téléphone portable, à faire sauter le verrou.
L’ État capitule. Manuel Diaz-Canel, le nouveau président (candidat unique élu à l’Assemblée par 603 voix sur 604) annonce pour un futur proche la 3G pour les téléphones, l’ordi restant hors de prix.
Puis, le travail se libéralise. Est régularisé l’exercice de petits boulots, comme revendeur à la sauvette, réparateur en tout genre (rien ne se jette à Cuba) ou rechargeur de briquets non rechargeables, autant d’activités qui, par le passé, valaient à leur auteur dix ans de taule pour « crime économique ».
Jusqu’à avoir pignon sur Malecon, avec l’enseigne annonçant fièrement « cuenta propria ». Entendre : « Moi, je vais te faire du bon boulot, pas comme un fonctionnaire qui s’en tamponne complet ».
Et enfin, le coup de grâce : en restituant aux Cubains les logements et véhicules que Fidel leur avait confisqués – ils en étaient simples usufruitiers – Raul a fait affluer les capitaux des expatriés, soucieux de rénover ou sauvegarder ce qui était redevenu le patrimoine familial.
C’est clair : quand tu gagnes quinze ou vingt CUC (environ autant d’euros) par mois, tu vas pas entretenir une baraque qui ne t’appartient pas.
Sans oublier qu’avec la location de sa maison ou de chambres aux touristes, l’heureux néo-propriétaire peut voir ses revenus multipliés par 200, remplissant au passage les caisses de l’État… ainsi que les poches d’agents fiscaux corrompus jusqu’à la garde.
Ce qui, entre autres, tord une fois de plus le cou à l’antienne antédiluvienne attribuant tous les problèmes de l’île à un « blocus » fantasmé par des archéo-castristes racornis. C’est bien le régime politique, et pas l’Oncle Sam, qui a asséché Cuba, jusqu’à te transformer certains quartiers de la Havane en faubourgs du Dresde d’après-guerre.
Une fois avérés les bienfaits du petit commerce et de l’entreprise privée, il devenait compliqué de revenir en arrière. Surtout lorsque chacun y trouve son compte.
Et les activités longtemps réprimées, puis ignorées, puis admises, deviennent reconnues et officialisées.
Pour l’instant, en fait, peu de Cubains profitent de cette évolution. Mais chacun sait désormais, après avoir tellement cotisé pour Karl Marx ou Che Guevara, qu’il peut récupérer une bonne partie de ses efforts .
Qui connaît un peu la biographie de Fidel jeune sait qu’il n’était pas communiste. Mais après avoir viré les ricains, leurs avoirs et leurs intérêts en 59, il ne pouvait plus se passer de l’aide de Moscou en pleine guerre froide.
Donc, les Cubains sont invités à se prononcer prochainement sur la nouvelle constitution.
Et ce ne sera pas un des habituels votes des comités de quartier sur l’heure de levée des poubelles.
C’est sans crainte que le gouvernement affrontera l’expression populaire : après soixante ans de misère et de privations sous toutes les formes imaginables, le résultat est acquis.
Mais pas d’inquiétude à avoir pour les apparatchiks du PCC : l’ouverture politique, c’est pas prévu.
Jacques Vinent