De Charlie Hebdo à Benetton, amour, salive et soumission

Le baiser-qui-tue de Charlie Hebdo montre un couple s’embrassant avec un certaine égalité dans le geste.  Le partage salivaire traditionnellement généreux dans l’hebdo (cf.Reiser) est ici, comment dire… équilibré, comme l’est la position des deux protagonistes, à la même hauteur.
L’étreinte façon Benetton est assez différente. Moins sécrétante, certes, mais beaucoup plus transparente. Les machos s’identifieront aussitôt à l’enturbanné de service, qui domine le partenaire de quelques centimètres et dont la main, serrant la nuque de l’élu, est incontestablement celle d’un mâle dominant.
Les dames remarqueront quant à elles l’exquise lascivité papale, la légère inclinaison du cou et cette sorte d’abandon, ordinairement si doux, presque tremblant, au moment du premier contact labial.
Où Charlie, dans son désir trouillard et potache de se faire pardonner, propose une embrassade de pèlerins restés un peu trop longtemps dans le désert, Benetton pose clairement sa vision de l’harmonie inter-religieuse. L’austère musulman,  nuque raide, à ordonné à la blanche colombe de s’approcher de lui et, l’ayant pétrifiée par son seul regard, s’en est emparé. Quant à la promise, il est permis de supposer que fascinée tel un lapin par un python, elle ne pouvait faire autrement que s’exécuter.
Il eut été étonnant que le Vatican arguât de cela pour justifier sa pressante demande de retirer l’affiche. J’espère simplement que d’aucuns, nimbés d’encens sous les voûtes de la très sainte cité romaine, auront été choqués tant par le thème des amours sacerdotales que par la manière à vrai dire fort orientée de le traiter. En quoi un peu de lucidité leur aura été offerte par les trublions de la pub italienne.
Dans un cas comme dans l’autre, c’est le dhimmi qui manie le crayon ou l’appareil photo. À celui qui prétend imposer urbi et orbi sa conception du vivre-ensemble, il oppose son gentil bêlement, son acceptation d’une (baveuse) fraternité enfin mise en chair, sa soumission maquillée en offrande de paix, d’amour et de tolérance. Il se donne et semble y trouver du plaisir. On pressent qu’il en redemandera.
Observons finement les deux œuvres proposées. “Tout ce qui est à moi est à moi, tout ce qui est à toi est négociable”, pense l’un des protagonistes (devinons lequel) en serrant le cou de l’aimé . “Oui, mon beau prince” répond l’autre, qui pratique à l’évidence la télépathie.
Et c’est ainsi qu’Allah est grand.  Alexandre Vialatte concluait par cette libre et ironique formule ses chroniques sur la société de son temps, dans La Montagne. Il pouvait se le permettre, lui, l’Auvergnat sceptique, tant sa distance, comme celle des simples mortels de son pays, avec le Maître-de-Tout, était alors grande. Autres temps, hélas!
Alain Dubos.

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