De Gaulle et la curieuse mort du général Leclerc

De Gaulle a la rancune tenace (les Américains et les Anglais ne tarderont pas à s’en apercevoir dès la fin des hostilités) et l’on se pose la question de savoir s’il ne vaut pas mieux être de ses ennemis que de ses amis.

Quelle est la responsabilité de de Gaulle dans la disparition tragique du maréchal Leclerc, qu’il ne portait pas dans son cœur et cela pour deux raisons :

La première est qu’il lui faisait de l’ombre militairement.

Le général de Hautecloque, évadé d’Allemagne au cours de l’été 1940, rejoint la résistance à Londres et, sous le pseudo de « Leclerc », est envoyé en AEF (Afrique équatoriale française) pour rallier les troupes de « La France libre ».

Il est nommé gouverneur du Cameroun puis ensuite chef militaire de l’AEF.

Chef militaire d’une troupe de 400 soldats qu’il dirige à l’aide de 60 véhicules, à partir du Tchad, et attaque les positions italiennes du Fezzan, au sud de la Libye et prend Koufra.

Il s’agit là de l’un des très rares exploits militaires dont de Gaulle peut se glorifier, avec, plus tard, l’opération du commando Pfeiffer, lors du débarquement en Normandie, en Juin 1944.

C’est le sauveur de l’armée d’Afrique, celui qui l’a menée à la victoire en partant de quelques unités mal armées du fond de l’AEF jusqu’à sa rentrée triomphale à Paris au commandement de la deuxième division blindée.

Un vrai soldat qui a gagné ses galons et ses médailles au feu, à la tête de ses troupes, ce qui est loin d’être le cas de de Gaulle.

La seconde est que Leclerc s’est violemment opposé à lui sur le plan stratégique et politique concernant notamment l’Indochine.

Dès la paix revenue en Europe, de Gaulle décide que la France doit recouvrer sa souveraineté en Indochine.

Contre l’avis de l’amiral Decoux et en désaccord total avec le propre chef de la résistance, le général Mordant, il déclare l’entrée en guerre de l’Indochine, alors que la France n’en avait ni le besoin, ni les moyens, et annonce l’arrivée d’une armée de secours qui n’existe même pas. Entraînant ainsi dans la tourmente 40 000 civils français perdus au milieu de 30 millions d’Asiatiques hostiles.

Très grave erreur de jugement, il confie la responsabilité du corps expéditionnaire français à l’amiral Thierry d’Argenlieu, qui a toute sa confiance et auquel il donne les pleins pouvoirs civils et militaires, et il place sous les ordres de cet officier le général Leclerc, seul qualifié pour en prendre le commandement.

De Gaulle n’a pas pardonné à Leclerc de lui avoir refusé le poste de gouverneur militaire de Paris, qu’il venait de lui proposer. Leclerc déclarant notamment dans sa réponse de refus : « Ma lettre vous paraîtra particulièrement osée mais je ne comprends pas la politique suivie par certains de vos collaborateurs. »

Il ne lui a jamais pardonné non plus d’avoir signé l’acte de capitulation des troupes allemandes à Paris en associant à sa signature celle du colonel des FFI de l’Île de France, Rol-Tanguy, ce qui l’avait rendu extrêmement furieux, ni son opposition à toute forme d’épuration, dès la Libération. Épuration qui a fait plus de morts que « la Terreur » de 1793 !

De Gaulle décide donc d’envoyer Leclerc en Indochine « parce que c’est le plus difficile ».

Et comme c’est le plus difficile, il espère que Leclerc perdra en Extrême-Orient son auréole de véritable libérateur de Paris et de Strasbourg.

Thierry d’Argenlieu est l’homme du chef de l’État et son rôle est, théoriquement, de privilégier l’action politique alors que le rôle de Leclerc est de privilégier l’action militaire.

C’est pourtant d’Argenlieu qui ordonne le bombardement de Haïphong qui fait plus de 6 000 victimes.

Entre ces deux chefs le malentendu se creuse et ils entrent en opposition ouverte.

Thierry d’Argenlieu écrit à de Gaulle : « Leclerc est déjà tout acquis au rêve d’une reconquête. C’est plus fort que lui. J’estime que ce rêve est à écarter. Nous ne sommes pas venus ici pour glaner de nouveaux lauriers à la faveur de quelques combats contre l’ennemi ».

Très vite le général Leclerc comprend l’inutilité de cet engagement et demande donc à de Gaulle l’autorisation de négocier avec Hô Chi Minh (avec lequel il a une approche intéressante grâce au général Salan, chef du service de renseignement inter-coloniale depuis 1938, sous les ordres de Georges Mandel ministre des Colonies), car les conditions sont alors des plus favorables.

Le chef du gouvernement répond : « S’il n’y avait que des gens comme vous, on perdrait l’Indochine. »

Le général Leclerc lui rétorque : « Vous perdrez l’Indochine comme vous avez perdu la Syrie. »

Par son ignorance totale de la psychologie asiatique, par sa méconnaissance totale de la guerre de terrain, par sa morgue supérieure qui l’empêche d’examiner les conseils de ceux dont c’est le métier de se battre, il persiste et s’obstine.

De Gaulle ordonne à d’Argenlieu de négocier directement avec Ho Chi Minh. La rencontre a lieu en baie d’Along, hors de la présence de Leclerc qui était l’interlocuteur privilégié du leader communiste.

Le général Leclerc s’en offusque et le fait savoir vertement.

D’Argenlieu réclame alors officiellement, au mois d’avril 1946, le rappel de Leclerc et du général Salan par la même occasion.

Sans attendre cette décision, Leclerc demande à être relevé de son commandement et quitte l’Indochine le 19 juillet 1946.

Il est nommé inspecteur des armées en Afrique-du-Nord.

Le 12 janvier 1947, Léon Blum propose au général Leclerc de remplacer l’amiral d’Argenlieu. Leclerc estime nécessaire de consulter de Gaulle à Colombey, qui pour sa part trouve choquant ce remplacement. Selon lui,  la France ne doit pas désavouer d’Argenlieu mais tout au contraire le soutenir et le renforcer.

Leclerc refuse une première fois mais Paul Ramadier, quelques semaines plus tard, persiste, et le général se dirige de nouveau vers de Gaulle pour avoir un entretien que l’on peut qualifier de très orageux car celui-ci estime que d’Argenlieu est à sa place, en s’indignant de le voir traiter de bouc émissaire et c’est donc un nouveau refus de Leclerc qui sonnera le glas de l’Indochine.

Alors même qu’il n’a plus aucune responsabilité gouvernementale, de Gaulle est contacté par le ministre de la Défense et des forces armées, René Pleven (conseillé par le général Leclerc), qui l’informe sur une proposition des Américains d’intervenir en bombardant avec des B.29 les collines environnantes afin de dégager la cuvette de Dien Bien Phu, où des milliers de soldats français sont pris en tenaille sous le feu intense de l’artillerie ennemie.

De Gaulle déconseille formellement d’accepter l’offre des États-Unis et en pleine bataille affirme que : « la présence française doit être maintenue coûte que coûte en Indochine ».

L’on sait quel en fut le résultat : le désastre de Dien Bien Phu : 2 005 officiers, 60 000 soldats (Français, légionnaires, Africains et Nord-Africains) et 43 000 Indochinois et en plus des pertes humaines, cette guerre nous a coûté 3 000 milliards de francs.

Le 28 novembre 1947, le maréchal Leclerc périt dans un accident d’avion. L’annonce fait l’effet d’une bombe mais des accidents d’avion, à l’époque, c’était assez courant. L’avion a été pris dans une tourmente, à dix minutes de son atterrissage à Colomb-Béchar.

Le pilote venait d’annoncer pourtant que « tout allait bien à bord » et soudain c’est l’affreuse nouvelle : « L’avion du général a explosé à 60 kilomètres de Béchar, sur la voie ferrée du Méditerranée-Niger ». C’est une équipe de cheminots qui vient d’envoyer la triste nouvelle par téléphone.

Vous avez bien lu : « l’avion du général a explosé !! ».

Le colonel, chef du territoire, se transporte immédiatement sur les lieux accompagné du médecin-chef de l’hôpital militaire de Béchar. Sur place il ne reste aucun survivant. Les restes calcinés et méconnaissables des victimes sont recueillis sur un rayon de cent mètres. Le général est identifié grâce à la plaque de la Légion d’honneur fixée sur sa vareuse. Les restes des treize corps ont été reconnus et relevés.

Vous avez bien lu : « Treize corps !! ».

La base d’Oran-La Sénia d’où l’avion a décollé s’inquiète aussitôt de cette annonce car douze noms seulement figurent sur le manifeste et c’est bien douze personnes qui sont montées à bord au moment du départ.

Le médecin-chef confirme son affirmation, il s’agit bien de treize corps reconnus.

Qui est ce mystérieux treizième personnage ?

Les corps partent en camion militaire et arrivent à Colomb-Béchar le samedi matin : il y en a douze officiellement. On veut ignorer complètement ce treizième cadavre qui paraît très gênant.

Voici le témoignage du Père Louis Brenner, supérieur des Pères blancs installés à Colomb-Béchar, qui a recueilli les cercueils dans la chapelle ardente de la mission : « Je vois défiler sous mes yeux, en présence de quelques officiels, les douze cercueils de chêne portant chacun une étiquette avec le nom et le grade du défunt : général Leclerc, colonel Fouchet, etc. et en dernier le mystérieux treizième dans son cercueil de sapin, sans étiquette… »

À Alger, un croiseur de la Marine nationale prend à son bord les douze cercueils ; quant au treizième, d’après le rapport de la commission d’enquête, le vrai, il est écrit : « le cercueil a été remis au conducteur d’une camionnette venant de Libye » et au crayon rouge, en marge : « Était-elle de la RAF ? »

On ne saura donc jamais qui était le « troisième corps ».

Comment était-il, ce treizième homme ? Tout d’abord il n’avait aucun papier sur lui, alors que toutes les autres victimes en portaient. Il était grand, blond et dans la poche de sa vareuse d’aviateur se trouvaient des lunettes cerclées de fer. Il était vêtu d’une capote de l’armée de terre.

Un autre témoignage, très important, est demeuré « secret ». Il s’agit de celui d’un indigène qui travaillait le long de la voie ferrée au moment de l’accident : « J’ai vu l’avion arriver, il ne volait pas très haut. Il n’a pas éclaté, comme on l’a dit, en touchant le sol. Non, j’ai vu une grande lueur blanche qui ressemblait à un soleil et l’avion a explosé alors qu’il était encore en l’air. Il a pris feu et s’est abattu. »

Pourtant le rapport officiel conclut à l’accident pur et simple. C’est ce rapport que certains militaires appellent le « rapport bidon ».

Un officier de l’état-major général, le commandant P…, a découvert le « rapport secret d’État » par le plus grand des hasards. Il s’en serait ouvert à son chef hiérarchique mais lorsqu’il est retourné le chercher le lendemain, le dossier avait disparu. Son chef lui aurait déclaré très sèchement « Dites-vous bien que ce dossier n’a jamais existé ici et que vous ne l’avez jamais vu ! Compris ? »

Ce rapport non seulement concluait à l’attentat mais les enquêteurs de la Sécurité militaire, de la commission d’enquête et du ministère de l’Intérieur mentionnaient qu’ils avaient relevé des traces d’explosion flagrantes, déterminant l’endroit de la carlingue où elle s’était produite, et relevé des particules de napalm. On y faisait également état du treizième passager. »

Mais pourquoi aurait-on voulu attenter à la vie du général Leclerc qui, je le rappelle, était inspecteur général des forces terrestres en Afrique du Nord ? Un autre témoignage très important peut nous mettre sur la voie de la vérité, celui de Conrad Kilian. Il se trouve à Paris lorsqu’il apprend la terrible nouvelle. Il dîne chez la comtesse de Cargouet, rue du Bac, et laisse échapper cette réflexion : « Cette fois je suis foutu !  »

Conrad Kilian est géologue. Il parcourt le Sahara et le Fezzan et y découvre d’immenses gisements pétrolifères notamment à Hassi Messaoud et au Fezzan. Il est victime d’un empoisonnement à l’aide d’une plante saharienne et son guide en meurt. Le général de Gaulle reçoit ses rapports mais n’en tient aucun compte, il ne croit pas aux divagations de cet hurluberlu. Ce n’est pas le cas du général Leclerc qui propose d’annexer le Fezzan au Sahara français et laisse sur place une garnison de la 2e division blindée.

Voici donc le rapprochement que l’on peut faire entre Conrad Kilian et le général Leclerc ? Leclerc a conquis le Fezzan et c’est sur ce territoire que Kilian a décelé d’immenses ressources minières. Leclerc ne veut en aucun cas lâcher sa conquête mais les Anglais bien entendu s’y opposent. Le général donne l’ordre écrit au ministère de la Marine d’envoyer une protection le long des côtes Libyennes, le Fezzan étant toujours sous tutelle française. Leclerc mort, l’ordre ne sera jamais exécuté.

Quelques années plus tard ce sera le tour de Conrad Kilian d’être « suicidé ». On le retrouve pendu à l’espagnolette d’une fenêtre située à 1 m 20 du sol alors que Kilian mesure 1 m 78 ; d’autre part son visage est entièrement tuméfié et ses poignets tailladés. On savait qu’il était en possession d’une carte déterminant la situation des gisements, cartographie qui valait une fortune et qui intéressait, on s’en doute, toutes les sociétés pétrolifères internationales. L’enquête conclut à un suicide mais les services secrets britanniques sont très fortement suspectés.

En 1954 l’exploitation des gisements d’Hassi-Messaoud donnera raison à Conrad Kilian.

Supposons donc que ce soit les services secrets anglais en ce qui concerne Kilian mais en ce qui concerne Leclerc, serait-ce également les Anglais, ou plutôt les services secrets français, afin d’éliminer l’homme qui contrariait les objectifs franco-anglais du chef du gouvernement, le général de Gaulle ? Les deux généraux se sont rencontrés secrètement le mois précédent la disparition de Leclerc, en octobre donc, à Alger, le 12 pour être exact. Que se sont-ils dit ? Des témoins affirmeront à l’époque que la discussion fut orageuse.

De Gaulle se retire à Colombey-les-deux-Églises.

Nous ne saurons sans doute jamais la vérité.

Mais les faits existent, ils sont là et parlent d’eux-mêmes.

Manuel Gomez