Depuis Mai 68, l’allégorie de la caverne s’est renversée

Dans notre monde post-moderne, les cultures naguère marginales s’imposent et deviennent primordiales. Ce sont les nouvelles cultures bourgeoises, conformistes. Les pratiques minoritaires contraignent les usages majoritaires par un flicage permanent. Les procédures de contrôle s’exercent sur l’homophobie présumée, la suspicion de machisme, le racisme subliminal, subconscient.
Le coupable, c’est le mâle blanc occidental, hétérocentré, à l’inconscient raciste, homophobe et phallocrate, misogyne et macho. Il va faire l’objet d’une castration lexicale, textuelle, et juridique, à défaut d’être chimique. La tyrannie du minoritaire a pris le pouvoir. Elle est l’oeuvre d’une « élite » technocratique et financière. Elle est le travail quotidien des nouvelles féodalités qui amendent les lois et restaurent une société des privilèges.

La démocratie est morte, si tant est qu’elle ait jamais existé. Voici le temps de la minoritocratie, avec à la manœuvre, les minorités actives. Ces minorités actives piochent largement dans l’éloge des marges. Pour fonctionner à plein régime, cette minoritocratie nécessite au préalable la liquidation sociale, question qui ne trouble pas les bourgeois gauchistes. Le lumpenprolétariat plutôt que le prolétariat. Le sous-prolétariat, classe sociale très pauvre, plutôt que les ouvriers et salariés. La lutte contre l’exclusion et les discriminations pour mieux exclure et discriminer les opposants.

Jules Renard, écrivain, homme du peuple (1864-1910), disait : « Oui le peuple ! Mais il ne faudrait jamais voir sa gueule ». L’après 68 scellera définitivement le divorce entre les prolos et les intellos.
La révolte des élites donne naissance à l’anti-populisme de gauche, au mépris du peuple, la populace. Sur les barricades, le mythe ouvrier s’est écroulé. Le col bleu a failli, trop culturellement conservateur. Les cols blancs le renvoient dédaigneusement à la périphérie du système. Désormais, la gauche culturelle « prête l’oreille aux aphasiques, aux exclus, aux moribonds », écrit Foucault en 1978. Les marginaux, les homos, les féministes, les étudiants, les immigrés en priorité. Mais les SDF, apparus après l’arrivée de la gauche au pouvoir, ne feront jamais partie de cette catégorie.

Foucault prêche en chaire le catéchisme néo libéral de la mobilité humaine, avec hantise des sociétés disciplinaires, et bénédiction des sociétés ouvertes. Peu importe que cette mobilité ouvre un marché du travail low cost, à bas coût, et dicte sa loi du dumping social aux peuples.
Foucault annonce : « La migration est un investissement, le migrateur est un investisseur ».
Ce migrateur vient grossir les rangs des armées de réserve du capital, opérant « des choix d’investissement pour obtenir une amélioration dans les revenus ».

Au patronat de démanteler l’État-providence trop coûteux. À la gauche d’abattre l’État-nation trop archaïque. Foucault tient un rôle de premier plan dans cette alliance à front renversé gauche-patronat. Dans son sillage, la lutte contre les discriminations se substitue à la lutte des classes. Le lexique de l’exclusion prend le pas sur le lexique de l’exploitation. La parité chasse l’égalité. Les gauchistes, désormais pluriels, motivés, solidaires, sans, trans, excluent, discriminent, et diabolisent les opposants, les dissidents, les résistants. Tous ces bourgeois gauchistes prétendent incarner la morale, le social, l’humanisme. Dans la vraie vie, ils personnifient l’immoralité et l’amoralité, ils rejettent les mesures sociales, ils sont déshumanisés, l’humanitaire n’est qu’un instrument à leur profit.

Toute sa vie, Foucault cherche à se « déprendre de lui-même », à se perdre, à s’égarer, pour tout effacer. Une fuite hors de soi. Il disait écrire « pour n’avoir plus de visage », plus de nom propre, plus d’humanité. La tentation suicidaire n’est que l’un des noms de cette mort de soi. Il la poursuivra dans des expériences de désidentification, dans la littérature, dans les sexualités extrêmes, dans l’usage des drogues, dans les expériences-limites. Tout cela, il ne l’a pas inventé. Il s’inspire d’écrivains comme Sade, Stéphane Mallarmé, Jean Genet, Georges Bataille, Maurice Blanchot. Il aura des émules : les « élites » de la politique, du show business, des médias, de l’université.

Dans ces années-là, au crépuscule de la pensée occidentale, autour de quelques noms, il s’est produit un événement capital : L’ALLÉGORIE DE LA CAVERNE S’EST RENVERSÉE.
Des hommes sont enchaînés depuis leur enfance dans une demeure souterraine et vivent dans l’obscurité. Un jour, un des prisonniers est conduit à la lumière du jour, et là, il voit les objets naturels et le soleil tels qu’ils sont réellement. D’abord aveuglé, il est par la suite heureux de cette connaissance et ne veut pas retourner en esclavage.

Si par amour de ses semblables, il retourne dans la caverne, il n’y distingue d’abord que peu de choses, ses yeux s’étant habitués à la lumière. Puis il explique à ses anciens compagnons l’erreur qu’ils commettent à prendre pour réalité ce qui n’est qu’une illusion. Mais ils le prennent pour un fou et tentent de le punir pour de telles affirmations.
Le premier pas de la philosophie consiste à prendre conscience de son ignorance, c’est-à-dire prendre un certain recul par rapport aux idées préfabriquées, aux opinions toutes faites, aux préjugés. Lorsqu’on commence à réfléchir, on prend une certaine distance par rapport à ses opinions et on apprend à distinguer ce qui est réel de ce qui est illusoire. C’est la sortie de la caverne. Elle permet de sortir des faux semblants et des idées reçues.

Pour Platon, le but de la connaissance n’est pas la connaissance en elle-même, mais la justice et le bonheur qu’elle procure concrètement. Cette connaissance n’a de sens que si le philosophe peut la partager avec les autres hommes et la mettre en pratique dans la caverne. Quand le philosophe a terminé sa formation, est parvenu à la contemplation du Vrai, il retourne dans la caverne. Il explique aux hommes que leur monde est un monde d’illusions et de mensonges, un monde dans lequel le bonheur auquel ils croient accéder n’est qu’une illusion destinée à les maintenir enchaînés. Une telle révélation est insupportable aux prisonniers de la caverne. Ils traitent le philosophe comme un original ou un fou, et refusent de le croire. Ils peuvent le mettre à mort.

Dans le mythe de la caverne, Platon expose le pouvoir libérateur de la philosophie, pensée abstraite qui conduit à la connaissance et au discernement. L’homme qui se met à penser rompt avec le conformisme ambiant, avec l’expérience ordinaire, avec l’opinion reçue. Blaise Pascal, philosophe français (1623-1662), nous invite à bien penser : « Toute notre dignité consiste donc en la pensée… Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale ».
La progression vers l’état éclairé, vers la vérité, est décrite comme un voyage de l’obscurité vers la lumière. Encore faut-il s’entendre sur les notions d’obscurité et de lumière. En mai 1981, Jack Lang avait affirmé : « La France passe de l’ombre à la lumière ». La lumière gauchiste nous éblouit de tous ses relents pervers, de ses miasmes putrides et infections nauséabondes.

Le prisonnier délivré de ses liens remonte péniblement de la caverne vers la surface. Il doit fournir un effort maximal. Il fait usage de son esprit. Il fait quelque chose pour lui-même. Il prend soin de lui-même, ce qui est une maxime de Socrate : « Prends soin de toi ».
D’autres ne sont pas éclairés par la philosophie. Impuissants et passifs, ils sont manipulés par des gens diaboliques et vicieux. Ils sont habitués à cet état et ils l’aiment. Ils résistent à tout effort qui viserait à les en libérer. Leur satisfaction est une sorte de conscience aveugle de leur état : ils ne peuvent pas reconnaître la vérité de leur condition pour réagir.

L’allégorie de la caverne est l’acte de naissance de la pensée européenne, une parabole de la quête du savoir. Dans le nouveau monde d’inversion des valeurs, elle s’est transformée.
Platon imaginait que l’homme allait s’élever sur les chemins de la connaissance et de la morale, en s’arrachant aux arrière-mondes régressifs et barbares. Platon souhaitait la promotion de l’homme. Mais son humanisme est devenu un anti-humanisme. L’humanisme du XVIe siècle, tant célébré, était déjà un anti-humanisme.

Le mondialisme, le libéralisme et le socialisme constituent l’idéologie dominante. Ses dirigeants, banquiers, financiers, politiques, journalistes, universitaires, dénient la réalité, opèrent une œuvre de destruction culturelle et morale, produisent le triomphe du nihilisme et de la transgression, mettent l’humanité en esclavage, préparent sournoisement l’avènement d’un homme nouveau, déculturé, décérébré, déraciné, asservi, interchangeable, asexué.
Platon se trompait. DANS UN TEL MONDE, LE CAVERNEUX VAUT LARGEMENT MIEUX QUE LE LUMINEUX.

C’est dans la caverne que tout se passe en vérité, au fond de la bouche d’ombre, dans les processus de dépravation et d’avilissement. Du fond de son cachot, Sade, l’astre noir, a montré la voie. En définitive, le poète aspirait à s’enfoncer dans la nuit sans retour.
Un idéalisme de la désidéalisation conduit cette génération Foucault à se tourner vers le néant, une chute sans fin. Les oligarques et ploutocrates qui nous gouvernent incarnent cette chute sans fin vers le néant, et malheureusement entraînent le peuple dans cette descente aux enfers.
Depuis Mai 68, les hommes sont enchaînés dans la grotte de la désinformation, manipulés par le discours des politiques, par la rhétorique des médias, par l’enseignement de l’école. Quelques-uns sortent de cette obscurité et accèdent à la lumière, c’est à dire la connaissance, le savoir, la réalité. Ils sont taxés de populistes, de fascistes, de racistes, de xénophobes, de complotistes… Il faut les faire taire par tous les moyens.

LA MASSE DES PRISONNIERS PRÉFÈRE RESTER DANS LES TÉNÈBRES, DANS LE DÉNI DE RÉALITÉ. Ils acceptent l’esclavage, non pas l’esclavage de type antique, mais un esclavage de type post-moderne, un esclavage sournois et insidieux, un esclavage économique, culturel et spirituel.
Le déni du réel relève de la pensée mondialiste. Le déni du réel s’inscrit dans une doctrine philosophique, le nominalisme. Une forme de nominalisme peut être décryptée dans les traditions païennes orientales de l’Inde et de Babylone. Dans ces traditions, les choses existent lorsque le créateur les nomme, Dieu crée le monde en le nommant. Et il y a des nominalistes dans l’Antiquité gréco-romaine. Le Dieu chrétien lui aussi crée les choses en les nommant, mais pour un chrétien, le nominalisme s’arrête là. Dieu ne contient pas les choses, qui ne procèdent pas de son corps. Dieu nomme pour créer, mais ce pouvoir n’est pas accordé à l’homme.

Le nominalisme s’inscrit dans la querelle des Universaux initiée par Roscelin (1050-11120) et reprise par Guillaume d’Ockam (1285-1347). Les Universaux sont cinq concepts généraux : le genre, l’espèce, la différence, le propre, l’accident. Les scolastiques se disputent sur la nature et l’origine de ces concepts. Ils se divisent entre rationalistes, ou réalistes et nominalistes puis empiristes. Pour le réalisme ou rationalisme scolastique, les Universaux ont une réalité effective. Les concepts généraux sont réels. Le nominalisme considère les Universaux comme des mots vides. Pour un nominaliste, les genres et les espèces n’existent pas, il n’y a de réalité que dans l’individuel. Nos idées ne seraient que des dénominations artificielles auxquelles rien ne correspondrait dans la réalité. Les choses n’existent que si elles sont accessibles à l’humain.

Aujourd’hui, les nominalistes mondialistes au pouvoir contrôlent et surveillent les réalistes populaires.

Jean Saunier

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4 Commentaires

  1. Merci beaucoup Monsieur Saunier, pour vos articles qui sont d une qualité et d une profondeur exceptionnelles.Il n est pas facile de “saisir” quelles sont les racines du désastre civilisationnel que nous inflige nos propres “élites” .La synthèse de vos analyses est remarquable et extrèmement éclairante .Merci

  2. L’allégorie de la caverne conduit à imaginer trois stades dans la progression du comportement humain.
    – stade 1 : la caverne, minimum vital qui relève du cerveau reptilien (survie, boire, manger, se reproduire)
    – stade 2 : la lumière extérieure, découverte de la Connaissance, cerveau limbique (acquisition de techniques,émotions, amour, haine, besoin de domination…)
    – stade 3 : le Savoir, maîtrise des connaissances pour évoluer vers la Raison, cortex cérébral (réflexion, analyse, raisonnement, logique, morale,…)
    Les islamo-gauchistes sont bloqués au stade 2.

  3. Excellent article à propos de la dictature des minorités – de plus en plus évidente pour qui refuse de regarder ailleurs et de faire “comme si de rien n’était” – et qui m’épargne la fatigue d’expliquer cela à des amis, ce que je ferais beaucoup moins bien au demeurant.

  4. Bravo, et merci pour ses lumières. Cela apporte plus à RL que les polémiques continuelle.

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