Concours : des dérogations pour le Vendredi Saint…

 
Des dérogations…Mais pas pour qui on pense….
Qui n’a jamais passé le concours d’une grande école ou d’un emploi de catégorie A dans la Fonction Publique ignore quel chemin de croix cela représente, et à quel point des candidats peuvent y laisser de nerfs, de cheveux et de santé mentale. De l’inscription aux résultats d’admissibilité, on passe par toutes les phases de paranoïa et de névrose possibles. Votre entourage voit soudain l’être équilibré que vous étiez jusqu’alors se muer en une espèce d’alien monstrueux, susceptible et aigri. Vous passez la semaine qui suit les épreuves écrites à vous retourner le cerveau : avez-vous bien mis une majuscule là où il fallait ? N’auriez-vous pas omis de noter cette brillante citation de Machiavel ? Et le candidat qui était à votre gauche, le brun à l’air sûr de lui, est-ce qu’il ne va pas vous prendre votre place ? Vous vous rendez à Arcueil, dans l’atroce Maison des Examens, avec l’âme d’un condamné à mort, le sac bourré de tip-ex et de gâteaux secs ignobles qui vous feront boire des litres d’eau durant l’épreuve, et courir aux toilettes sous l’œil peu amène de surveillants qui ne plaisantent pas avec la loi. Vous avez l’impression de n’être venu au monde que pour cela, et pour peu que vous ayez raté l’AGREG ou Sciences-Pô, vous passez un été exécrable et glauque, avec le sentiment d’être le dernier des ratés.
Autant dire qu’un concours est une chose sérieuse, qui engage plusieurs mois d’une vie, quelquefois même des années, et peut laisser des traces de fierté ou d’humiliation durables chez n’importe qui. Les savants-fous qui ont livré notre belle Instruction Publique à la débâcle savaient bien ce qu’ils faisaient en militant contre l’élitisme français et en imposant un livret de compétences autrement moins exigeant qu’un travail personnel qui rimait avec sacrifices, compétitions et efforts : ces gens-là se retrouvaient aussi dans les rang des altermondialistes et des lobbys immigrationnistes. Détestant tout ce qui, de près ou de loin, ressemblait à une spécificité culturelle, dès lors qu’elle était française (la malienne ou l’iranienne ayant curieusement le droit, elles, d’être respectées), ils ont cherché à détruire ce qui constituait le terreau même de la France, à savoir sa capacité à élever des êtres libres, et d’autant plus autonomes qu’ils connaissaient leurs racines et n’en avaient pas honte.
Alors, quand le Français moyen apprend que sur demande de l’Elysée, des établissements prestigieux, comme l’Ecole des Mines et Supélec, ont été priés d’organiser des sessions spéciales pour les épreuves écrites, originellement prévues en pleine Pâque juive, à l’intention des candidats juifs pratiquants, il se pince et s’indigne à juste titre. Le journal Le Point décrit l’étendue de la gravité des faits : « L’organisation proposée par le Château est particulièrement abracadabrantesque : les candidats concernés devant rester confinés toute la journée du 20 avril au moment officiel de l’épreuve jusque dans la nuit où ils pourraient à leur tour composer. Rebelote le 26 avril. » Il ne s’agit donc nullement d’un banal, constitutionnel et légitime aménagement, comme ce serait le cas pour un étudiant handicapé moteur qui serait accompagné en ascenseur vers la salle d’examen. Il est ici question de regrouper des candidats en raison et en fonction de leur religion, et de dépenser des sommes supplémentaires pour leur permettre de faire leurs Pâques.
En tant que catholique, si je devais me présenter à un concours un dimanche matin, je ne moufterais pas. Je partirais du principe d’égalité, j’irais à la messe la veille ou le soir, et pour rien au monde je ne solliciterais l’aide de l’évêque X ou Y pour avoir droit à une dérogation. Je serais une étudiante juive, j’estimerais de mon devoir de Française, d’étudiante, et de juive, de ne pas céder à ce genre de propositions injustes pour les autres candidats.
Car ce type de passe-droit, disons-le : de discrimination positive est inadmissible. Il introduit dans la tête des futurs cadres et ingénieurs l’idée que leur religion pourrait leur valoir des aménagements auxquels d’autres n’auraient pas accès. Que pensera le fils d’un petit artisan, blanc, n’appartenant à aucune chapelle, et venant d’une petite ville de province ? Il n’est pas considéré comme « issu de la diversité », lui ; il ne peut réclamer de quotas, parce qu’il est bêtement et banalement blanc. Manque de chance, il n’est pas non plus musulman, et ne peut donc, au titre du commode et fallacieux prétexte d’une soi-disant islamophobie, exiger de dérogations particulières. Par ailleurs, son papa ne connaissant personnellement aucun membre du CAC 40, il ne peut faire pression ou user de liens de copinage de clubs ou de travail pour échapper à certaines règles des concours. Il n’est, hélas, qu’un Français, et il semblerait qu’aujourd’hui cela suffise à vous pénaliser.
Il y avait pourtant, jusqu’alors, un vrai sentiment de méritocratie et d’égalité dans le fait de passer un concours tous ensemble, peaux, religions, origines sociale confondues. Chrétiens, juifs, musulmans, athées, de parents bourgeois ou ouvriers, noirs, jaunes, blancs ou marrons, parfaits athlètes ou borgnes, nous n’étions, devant le carré de table et la copie anonyme, que des candidats, sommés de ne nous distinguer que par la qualité de notre raisonnement et l’étendue de nos connaissances.
Verrons-nous, dans quelques années, les descendants de victimes du génocide arménien ou vendéen, réclamer et obtenir des dérogations dans la façon de passer un concours et de l’obtenir ?
Introduire, institutionnaliser l’idée d’une exception à la règle, basée sur la religion, la couleur de peau, l’origine ethnique, c’est détruire le fondement même de notre unité nationale, c’est piétiner la notion de personne, d’individu, pour ne plus s’intéresser qu’au groupe ethnique, religieux ou social. C’est abandonner l’idée de la France, c’est livrer la France à l’éclatement intérieur, lors même que ses frontières ne garantissent plus ne serait-ce qu’un semblant d’apparence de souveraineté. A quand une nouvelle carte d’identité où seront indiqués la religion, le passé du groupe ethnique de chacun, et les droits et les devoirs entraînés par ce dernier? Quand est-ce que l’arrière petit-fils de tirailleur sénégalais aura plus d’avantages légaux et sociaux que l’arrière petit-fils d’un réformé du Chemin des Dames ?
Nous avons subi les chapitres de la post-colonisation. Nous avons plié sous le joug des associations antiracistes. Nous avons vu les pires crimes (en vrac et au choix : agressions de vieilles dames, filles brûlées dans un local à poubelles, gamines excisées, milliards d’euro déversés sur les cités tandis que nos agriculteurs crèvent de faim, jeune homme tabassé à mort par des sauvages aux réflexes primitifs) longuement expliqués, justifiés, minimisés. Et les Français d’origine ou d’adoption ont écarquillé les yeux chaque jour davantage devant les coups portés à une France toujours plus démunie et moins écoutée.
A l’heure où la promotion « diversité » (ne rions pas, il y a du tragique dans cette farce ridicule) de l’ENA a lamentablement échoué au concours, ne serait-il pas temps de revenir à un peu de bon sens et de justice ? Une Malika Sorel n’est pas arrivée à son degré de réussite personnelle parce qu’elle s’appelait Malika. Elle s’est contentée d’être une personne à part entière, un individu capable de faire ses propres choix, optant pour le travail personnel plutôt que pour un lâche et inadmissible recours à son appartenance originelle à l’Algérie. On ne demande pas à un haut fonctionnaire noir d’être parfaitement noir, ni à une dirigeante d’entreprise de gravir les échelons en se servant du fait qu’elle est une femme. On demande à un haut fonctionnaire, à une dirigeante d’entreprise, à un lycéen, à un boulanger, à un sportif de remplir leur tâche du mieux qu’ils le peuvent et le doivent. Il est tout de même inquiétant que le rabbin Haïm Korsia, aumônier général de l’armée de l’air, et Nicolas Sarkozy, aient omis tout cela, alors qu’ils organisaient dans leur coin, en douce et dans le dos des Français, ce petit arrangement qui s’ajoute à une liste déjà chargée qui, n’en doutons pas, rejoindra le très lourd carnet de doléances des Français.
Antigone

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