Des ministres français aux ordres de fonctionnaires de Bruxelles

A quoi servent les parlementaires français, dont la tâche principale devient celle de copistes chargés de transcrire les « directives » de Bruxelles ? Et ces « directives » ne viennent même pas d’une instance démocratiquement élue, mais de fonctionnaires de la Commission Européenne !
Si notre Assemblée nationale et notre Sénat sont réduits à de simples chambres d’enregistrement, nos ministres ne sont pas mieux lotis. Voici trois exemples flagrants qui montrent que pas plus que les députés et les sénateurs, le gouvernement français n’est maître chez lui.
Dans un article sur la Halde, j’avais signalé (1) :
« Le 25 mars, l’Assemblée Nationale devait ainsi transposer en droit français trois « directives » (sic !) européennes en matière de discrimination. Ce qu’elle a fait derechef. Mais les sénateurs, soumis à leur tour le 10 avril à ces projets de lois (ou plutôt à ces diktats de Bruxelles), ont osé modifier les textes proposés qu’ils jugeaient trop dangereux, d’une part en instituant une sorte de délit d’intention, et d’autre part en favorisant des revendications communautaristes. Les amendements votés par le Sénat – donc par sa majorité présidentielle UMP – n’ont pas plu à Valérie Létard, secrétaire d’Etat chargée de la Solidarité, auprès du ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité. Elle a rappelé aux sénateurs qu’il fallait obéir à Bruxelles et transcrire ses versets dogmatiques à la lettre, sinon la France serait encore condamnée financièrement par la Cour de Justice européenne.
C’est comme ça dans l’Europe soviétisée ! Et donc, on a réunit une commission mixte paritaire le 13 mai, qui a tout simplement annulé les amendements votés par le Sénat contraires au texte « européen ». Le Sénat a adopté le nouveau texte (ou plutôt le texte européen initial) le 15 mai, privant ainsi une fois de plus la France de faire la loi chez elle. »
J’ai retrouvé, sur le site du Sénat, la séance du 9 avril du projet de loi – ou plus exactement la transcription des diktats européens par nos copistes parlementaires -, à propos des deux amendements que je cite dans mon article (2). C’est édifiant !
Le Président présente l’amendement n° 1 : « Dans le premier alinéa de cet article, remplacer les mots : « ne l’a été ou ne le serait » par les mots : « ou ne l’a été » ».
Mme Muguette Dini qui présentait cet amendement donne très clairement les arguments que je décrivais dans mon article : « La dimension fictive de la comparaison, exprimée par la formule au conditionnel « ne le serait », pourrait en effet conduire à des condamnations fondées sur de simples suppositions. Comment une personne accusée de discrimination pourra-t-elle se défendre si les accusations dont elle fait l’objet ne sont que des hypothèses ? Veut-on remettre en cause, dans notre pays, le principe fondamental selon lequel une personne ne peut être condamnée que pour des actes qu’elle a effectivement commis ? En réalité, mes chers collègues, le conditionnel « serait » ouvre une porte légale aux procès d’intention, ce qui me semble inacceptable. Aussi la commission des affaires sociales, soucieuse d’éviter de tels procès, a adopté à l’unanimité cet amendement qui, en conformité avec le droit communautaire, tend à supprimer l’expression au conditionnel. »
C’est clair, net et précis, et convainquant !
Et alors le Président demande à Nadine Morano, secrétaire d’Etat : « Quel est l’avis du Gouvernement ? »
On s’attend à ce que la ministre conteste ou approuve les arguments de Madame Dini. Elle peut les trouver judicieux, exagérés, que sais-je encore, et juger sur le fond – par elle-même ou au nom du gouvernement – les deux versions. Bref, on s’attend à ce qu’elle fasse son boulot de ministre et de membre du gouvernement, et qu’elle donne un avis sur telle ou telle formulation d’un projet de loi.
Voici la réponse in extenso de Nadine Morano :
« Le Gouvernement ne peut émettre qu’un avis défavorable.
La définition qui apparaît dans le projet de loi est directement issue des directives communautaires. Le Gouvernement a repris cette définition au mot près, car la Commission européenne nous a demandé très explicitement de le faire dans les avis motivés qu’elle nous a adressés. Elle indique ainsi : « La formulation adoptée dans la directive est importante afin de déterminer les situations de discriminations à travers la méthode comparative dans le passé, le présent ou le futur ».
Il s’agit, pour la Commission, d’un point fondamental de la transposition des directives relatives aux discriminations, sur lequel elle nous a indiqué qu’elle ne ferait aucune concession et n’hésiterait pas à saisir la Cour de justice des Communautés européennes.
Il faut donc être clair : si le projet de loi contient une autre définition que celle des directives, la France sera condamnée en manquement par la CJCE.
J’ajoute que la méthode comparative est déjà utilisée en droit français. Je pense, par exemple, aux cas dans lesquels le juge procède à des reconstitutions de carrière ou à l’indemnisation de la perte de chance en matière de responsabilité hospitalière. Nous sommes, là aussi, dans le conditionnel et l’éventualité, et c’est à cela que tient la garantie des victimes. »
(fin de citation)
Le dernier paragraphe dit simplement : on a déjà fait comme ça, donc on voit pas pourquoi on ferait autrement. C’est un peu court, et ça ne dénote guère un esprit de progrès. En tout cas, ça ne répond aucunement à l’amendement.
Mais le principal argument de Nadine Morano c’est : il faut copier exactement ce qu’ordonne la Commission Européenne dans ses « directives », sinon on va encore être punis comme des mauvais élèves.
RIEN sur le fond, aucun contre argument sur l’amendement de Madame Dini. Et à quoi bon, puisque comme l’explique la ministre, il faut écrire ce qu’écrit Bruxelles au iota près sinon on se fait taper sur les doigts par des fonctionnaires étrangers. Inutile d’argumenter et de déposer des amendements !
Voilà donc un exemple flagrant de servilité européiste : ni les parlementaires français, ni les ministres français ne peuvent pondre le moindre amendement qui déplairaient aux eurocrates. Et Madame Morano, ministre de la République, joue les petits télégraphistes et les père fouettards à leur service.
Puis vient l’amendement n° 2, qui consiste à remplacer un « aurait entraîné » par « entraînant » dans le texte de loi. J’ai commenté aussi cette différence dans mon article. Madame Dini s’explique : « Comme le précédent, cet amendement n’a d’autre objet que de limiter les risques de procès d’intention qui découlent des définitions communautaires des discriminations. » Elle donne ensuite des arguments clairs, net, et précis, comme pour son premier amendement.
Et le président sollicite de nouveau l’avis du gouvernement, et Nadine Morano répond de nouveau non sur le fond, mais uniquement par rapport aux exigences de la Commission Européenne. Son ton devient plus sec et cassant : « L’avis du Gouvernement sera évidemment le même que sur l’amendement n° 1 : défavorable ! Qu’il me soit permis de le rappeler, pour mémoire, à votre assemblée, la France, qui va assumer bientôt la présidence de l’Union européenne, fait tout de même aujourd’hui l’objet de trois procédures sur ce sujet des discriminations ! »
Autrement dit, vous les parlementaires français, vous commencez à nous emmerder à vouloir faire la loi, alors que vous allez faire honte à Sarkozy en osant braver les diktats de Bruxelles.
L’autre exemple concerne les pêcheurs français, en butte à l’augmentation des cours du pétrole qui asphyxie leur profession. Différents arguments sont recevables pour ou contre leurs revendications ou leurs formes d’actions, et sur les réponses que désire donner le gouvernement. Mais là encore, peu importe finalement ces réponses à cette situation dramatique, puisque Michel Barnier, ministre de l’Agriculture et de la Pêche, est lui aussi obligé de passer par les diktats bruxellois.
Le 19 mai, dans les journaux télévisés, cet autre petit télégraphiste de Bruxelles déclare piteusement que « le plus urgent » devant cette crise, c’est… d’attendre le « feu vert » des fonctionnaires de la Commission Européenne. La France est donc INCAPABLE de résoudre une crise sociale sur son propre territoire, et de prendre les mesures qu’elle désire pour le faire.
Et Michel Barnier récidive le lendemain matin à la radio. Lisons la mini-dépêche du Figaro (3), qui vaut son pesant d’aveu : « Invité de RTL ce matin, Michel Barnier, ministre de l’Agriculture et de la Pêche, a assuré qu’il ferait “le maximum” pour les pêcheurs qui protestent contre la hausse du prix du gazole, tout en expliquant qu’il attendait “une réponse de Bruxelles” sans laquelle il “ne peut rien faire”. »
Autrement dit, le « maximum » que peut « faire » le gouvernement pour résoudre un conflit social et une situation dramatique, c’est « rien »… sans l’aval de petits fonctionnaires étrangers. Alors à quoi ça sert de dire qu’on fera « le maximum », si ce « maximum » est « rien » ?
Dernier exemple, le passage en force de la « loi OGM » à l’Assemblée Nationale, le 20 mai. Le député UMP Roger Karoutchi tente de rejeter la faute sur le gouvernement Jospin : « C’est pendant le gouvernement Jospin que cette directive européenne OGM a été prise. Si elle n’est pas transposée, nous aurons une amende de 38 millions d’euros et une contrainte de 360.000 euros par jour. »
Quel faux-cul, alors que sa propre majorité est autant obligée d’accepter tous les diktats de Bruxelles que celle de Lionel Jospin, et que ni les ministres ni les parlementaires français n’ont leur mot à dire sur les lubies des fonctionnaires de Bruxelles qui ne représentent qu’eux-mêmes et qui décident de lois antidémocratiques ! Le gouvernement Jospin n’avait pas plus son mot à dire sur les « directives » de Bruxelles que le gouvernement Fillon !
Et la courageuse secrétaire d’Etat Nathalie Kosciusko-Morizet avoue elle aussi qu’il faut voter cette « loi OGM » non parce qu’elle serait bonne, mais parce que ce sont les employés de la Commission Européenne qui nous l’impose, et qui mettent la France à l’amende si elle a l’outrecuidance de décider les lois françaises : « Le gouvernement vous demande d’adopter ce projet de loi pour transposer cette directive européenne sous peine d’amende mais le Ministre d’Etat Monsieur Borloo n’approuve pas cette directive et il a demandé à ses partenaires européens de la changer. » (5)
Autrement dit, le fougueux Borloo fait la promotion de lois qu’il n’approuve pas. On croit rêver ! Et il peut toujours demander à ses « partenaires européens » de la changer… Si une majorité de fonctionnaires polonais, italiens, portugais, etc. (et bientôt turcs) ne sont pas d’accord, ils mettront vite au pas les velléités de notre ministre de l’Ecologie. Et celui-ci ne devrait pas trop la ramener, quand on pense comment Nicolas Sarkozy et lui-même se sont couchés devant leurs « partenaires européens » sur les négociations sur l’effet de serre : ils n’ont pas pu inclure le nucléaire français dans les énergies alternatives, abandonnant ainsi le principal atout français dans ces discussions énergétiques. La France se verra donc imposée, à l’instar de l’Irlande ou de l’Allemagne, des forêts d’éoliennes qui lui sont totalement inutiles. Mais bon, puisque « Bruxelles » impose des décisions ubuesques et contraires aux intérêts de la France et des Français, il faut obéir servilement !
Nadine Morano, Michel Barnier, Nathalie Kosciusko-Morizet, Jean-Louis-Borloo, quatre ministres pourtant forts en gueule, auront bon multiplier leurs logorrhées dans les médias : ce ne sont plus des ministres avec des pouvoirs au service de la France, mais de simples exécutants aux ordres d’employés d’une « Commission Européenne » étrangère à notre pays et à nos intérêts.
Roger Heurtebise
(1) http://www.ripostelaique.com/Halde-la-20-Apres-la-promotion-du.html
(2) http://www.senat.fr/seances/s200804/s20080409/s20080409010.html
(3) http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2008/05/20/01011-20080520FILWWW00268-peche-barnier-ne-peut-rien-sans-l-ue.php
(4) http://afp.google.com/article/ALeqM5i7qmLyMpQiZzvYeh59P_huWtlXjQ
(5) http://www.blog.nicolasdupontaignan.fr/index.php/2008/05/20/221-moi-tu-sais-je-vis-au-jour-le-jour