Doha, capitale provisoire des Talibans

Les bégaiements de l’Histoire ne sont audibles que par ceux dont l’oreille s’est exercée à leur bruit plus ou moins lénifiant, intriguant, inquiétant ou carrément désespérant. À ces titres (notamment le dernier), l’ouverture d’une antenne talibane à Doha, capitale du Qatar, nous rappelle formellement celle des divers bureaux viet-congs et khmers rouges installés en Europe dans les années soixante-dix, et préparant les futurs accords de Paris via la tragédie cambodgienne.

À l’heure où le désert des Tartares afghan se pique de quelques fortins occidentaux enterrés face à des plaines immenses d’où l’ennemi ne vient pas, et à des montagnes inaccessibles sauf pour le dit ennemi, qui les tient, les administre et d’où il déferlera le moment venu, comme il le fait depuis les temps lointains des grandes invasions, le Qatar met en place le tapis vert autour duquel tout est déjà joué. Comme dans ces jeux virtuels d’une absolue brutalité, tant prisés par notre descendance décervelée.

Des mots reviennent à la mode : tigres de papier, marionnettes, poupées de chiffon… Trente ans plus tard, le vocabulaire des futurs maîtres du Vietnam ne s’est guère renouvelé dans la bouche des musulmans talebs. La couleur est annoncée, déjà la reculade de l’OTAN, se devine. À la place des actuels gérants de l’Afghanistan, je mettrais quelques subsides à l’abri loin de l’Hindou Kouch et des vertes vallées de ce pays ingouvernable, insaisissable, indomptable en fin de compte. Sans doute n’ont-ils pas manqué de le faire, et depuis longtemps. Dès lors que le travail n’a pas été terminé en 2002-2003, l’issue, dix ans plus tard, n’illusionnait que les perpétuels optimistes, les ignorants et les crétins utiles, tous boxant (mal) dans la même catégorie.

Le régime de Kaboul tombera comme une poire blette. Il y aura quelques arrangements sur fond de pavot, quelques coups de main aéroportés appuyant la défense sous bannière US, et puis la charia reprendra gentiment son cours. Ceux qui ont vu, dans l’article de Max Lépante, l’égorgement et la décapitation, au couteau de boucher, d’un homme par un gamin de 13 ans, “là-bas si j’y suis”, savent de quoi il sera alors question.

Il faut avoir l’intelligence politique doublé de l’appât du gain d’un footballeur du PSG, d’un Directeur de grand hôtel ou de grand magasin, pour cautionner ce qui se prépare dans la douce patrie des droits de l’homme qatarie. Il faut avoir abandonné tout sens critique pour continuer à considérer et à vendre la neutralité de l’État terroriste nommé Qatar comme garante de la future démocratie afghane (peut-être en sera-t-on récompensé ici et là? À mon avis, oui). Il faut posséder les réserves de lâcheté de nos puissants pour, après avoir donné aux gens l’espérance d’une vie simplement débarrassée de sa chape de barbarie, les abandonner au bourreau via un dégoûtant crapotage que des milliers de soldats parmi lesquels près de cent Français, auront payés de leur vie. Morts pour de l’opium? Pour du gaz? Pour la forme? Pour rien, à l’heure qu’il est.

Ainsi va le monde, oublieux et pressé. L’honneur consiste dans le cas présent à honorer nos hommes tués là-bas, à entourer ceux qui en sont revenus meurtris dans leur chair et dans leur âme et, puisque les jeux sont faits, à se tenir le plus loin possible des puanteurs du désastre.

Alain Dubos

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