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Dois-je quitter le Grand Orient de France (GODF) ?

Je suis entré au Grand Orient de France il y a quinze ans de cela. J’avais 25ans. Pourquoi ? Pour devenir un homme meilleur, bien sûr, mais aussi pour la République, pour la Liberté, l’Egalite et la Fraternité. Je pensais alors me tourner vers la rare « institution nationale » qui défendait encore les valeurs humanistes et laïques à un moment où les partis de droite et de gauche se fourvoyaient dans l’internationalisme néolibéral et communautariste.
Quinze ans après, la déception est cruelle.
Sur l’Ordre :
Disons le simplement, le GODF est transparent, inutile. L’obédience n’a aucune vision, ne défend plus activement aucune des valeurs sur lesquelles elle a construit son histoire. La misère sociale déferle sur notre pays et l’ordre n’a rien à dire, rien à proposer sur l’état de notre démocratie, le gouffre entre le peuple et les élites, la destruction de l’école républicaine, le délitement du lien social, l’écrasement des services publics, la balkanisation de la société française, etc., etc.… .
Inquiétant, il semble que cette situation ne dérange personne en haut de la hiérarchie. Des responsables de clans se suivent les uns après les autres sans que rien ne change. Le navire coule doucement.
Nos ennemis, car c’est bien de cela dont il s’agit, des ennemis, détruisent avec application le pacte républicain depuis plus de trente ans, mais le GODF demeure amorphe, aphone, scandaleusement passif. Le fonctionnement même de l’ordre est totalement inadapté au monde moderne. A l’heure des groupes de pression et des think tanks, le GODF fonctionne encore comme au siècle dernier. Jetée au panier, la grande réforme est remise à demain…
Voilà maintenant cinq ans que la mixité occupe les débats internes. La mixité, véritable cache misère d’une obédience qui n’a rien à dire, pseudo-avancée sociétale puisque le paysage maçonnique français est le plus riche au monde et que les femmes, nos sœurs, ont accès à l’outil maçonnique (adogmatique) depuis bien longtemps dans de nombreuses obédiences féminines et mixtes.
Sur les membres :
Je dirais tout de suite que je n’ai jamais rencontré de malotru au GODF, ni de personne qui y soit entrée pour y faire des affaires. Je ne doute évidemment pas que cela arrive, mais les frères et sœurs que j’ai croisés n’étaient pas de ceux la.
L’image que renvoie le GODF, son encéphalogramme plat, n’attirent plus tant les profanes pour qui les valeurs humanistes et laïques sont le creuset de notre régime républicain, que de bons pères de famille à la recherche d’une spiritualité allégée, qui elle-même n’a plus rien à voir avec ce que devrait être la méthode maçonnique. N’est ce pas là un problème fondamental ? Les maçons modernes se sont à ce point éloignés de « l’outillage maçonnique » traditionnel et de l’enseignement qui devrait en résulter, qu’ils ont fait du GODF non plus un ordre initiatique progressiste mais une obédience spiritualiste et nombriliste.
Il faut aussi le dire, ouvrons les yeux, une minorité de maçons « modernes » méprise l’héritage humaniste et laïc du GODF. Extrêmement actifs et habiles, ils s’attachent à liquider cet héritage comme ils se sont attachés à liquider toutes les organisations structurantes de notre communauté nationale depuis trente ans.
La question est alors de savoir pourquoi l’immense majorité de maçons, qui n’a pas d’agenda idéologique, tolère depuis maintenant des années ces agissements, cette évolution, et accepte de voir le GODF être transformé en une obédience qui a tourné le dos à son histoire, valeurs et raison d’être. La réponse est simple : justement, cette majorité de maçons ne revendique plus aucun corpus idéologique. Bien moins militants que leurs illustres anciens, ils n’ont plus cette conviction qu’il est fondamental d’opposer à l’ordre établi une raison et volonté humaines qui permettront de remettre l’homme au centre du système.
Les maçons modernes, spiritualistes, ont été élevés à la soupe du droit de l’hommisme, de la pensée unique, du politiquement correct et autres idéologies médiatiques en vogue. Le niveau intellectuel et culturel a baissé. Il n’est donc pas surprenant d’entendre en loge les poncifs qui peuvent être entendus sur des plateaux de télévision.
Même les débats sur la laïcité ne sont plus ce qu’ils étaient. Il n’est plus rare d’entendre des discours convenus, fatalistes, misérabilistes, compassionnels et angéliques. La laïcité « émancipatrice » serait devenue dogmatique, réactionnaire, oppressive et stigmatisante ; l’état devant se limiter à la neutralité la plus absolue, quand il ne s’agit pas de multiplier les accommodements raisonnés.
L’islamisation de la société (mais aussi le réveil d’autres communautarismes), les problèmes multiples que pose l’immigration de masse pour la cohésion de la communauté nationale sont-ils aujourd’hui des sujets dont on peut calmement parler au GODF ? Poser la question est évidemment en donner la réponse.
Dois-je alors, comme l’ont fait certains de mes amis, des républicains irréprochables, quitter le GODF ?
Tel est le triste problème qui se pose à moi et sans doute à bien d’autres membres d’un ordre qui est indiscutablement devenu le principal obstacle à l’accomplissement de la mission qu’il s’est lui-même donnée. Le cancer est déjà à un stade avancé et aucun événement récent dans la vie de l’ordre ne me laisse entrevoir le moindre sursaut salutaire. Les hiérarques sont enfermés dans des batailles de clans que personne ne comprend et semblent avoir pour unique stratégie celle du chiffre, afin de s’assurer que le GODF reste la première obédience maçonnique par la taille.
Une profonde critique et remise en cause sont absolument essentielles. Si le vent du changement doit souffler et tout balayer sur son passage, il ne pourra se lever que du côté d’une région (le GODF est en effet structuré en diverses régions) à l’intérieur de laquelle une masse critique de loges devront s’associer, penser et lancer le mouvement de réforme. Imposer la réforme, profiter de l’inertie de l’appareil et du système, n’est ce pas la stratégie utilisée par les militants de la mixité ?
Etrange défaite et étrange renoncement! A l’heure où les français semblent douter de leur pays par manque de mémoire et de fierté patriotique, comme le pense R. Debray, les maçons modernes semblent abandonner l’héritage humaniste et progressiste par laxisme, lâcheté, ignorance et manque de conviction. Voila donc l’insupportable vérité ! Si les maçons du GODF mettaient dans la réforme (réforme, pas régression) le quart de l’énergie mise par d’autres à déstabiliser cette obédience, il ne fait nul doute que : 1/ les maçons comprendraient alors qu’ils appartiennent à un ordre initiatique, 2/ comprenant ceci la nature des travaux changerait radicalement, participant directement à l’amélioration intellectuelle et morale des membres, 3/ la réforme de l’ordre et la radicalité nouvelle des travaux pourraient finalement redonner au GODF l’influence positive qui était la sienne sur la nation.
Est-ce possible ? Oui, si les loges se réveillent et se rappellent qu’elles furent autrefois les « Loges de la République » ! C’est là mon souhait le plus sincère.
Sans doute resterais-je quant à moi, quelque temps encore, dans ma loge pour essayer d’œuvrer au réveil des consciences, avancer sur le chemin initiatique et renouer le lien philosophique et politique entre le GODF et une République française agonisante.
Ceci dit, j’ai bien peur que je serais probablement occupé à cultiver mon lopin, le jour où la grande tragédie maçonnique sera enfin jouée, le jour où quelques uns n’auront d’autre choix que de se pencher sur le corps du malade pour essayer de lui redonner le souffle de la vie.
Pierre Dubant