Dans une contribution récente Olivier Fabre critique (pour partie) la vision géo-politique développée par Aymeric Chauprade, député européen FN, qui souhaite, dans un souci d’indépendance de notre pays et plus largement de l’Europe vis à vis des Etats-Unis, que la France et les pays européens opèrent un rapprochement avec la Russie. Pour Olivier Fabre ce rapprochement se ferait au détriment du monde occidental et renforcerait la menace islamique dans le monde.
Curieusement et contradictoirement dans son article Olivier Fabre considère un rapprochement avec la Russie comme une menace pour l’unité du monde occidental, tout en signalant un peu plus point que la Russie fait partie aussi du monde occidental : comprenne qui pourra. En fait Olivier Fabre s’inquiète du projet eurasiatique de la Russie qu’il assimile et relie (à tort) à la montée de l’islam dans le monde. Et qu’il fait remonter à 2003, oubliant au passage que lors de son arrivée au pouvoir en 1999, Poutine avait cherché un rapprochement avec l’Union européenne et même les Etats-Unis, mais que ce projet avait été contrarié par l’intervention de l’OTAN au Kosovo en 1999 et l’élargissement de l’OTAN à l’Est malgré les promesses faites à la Russie au moment de la réunification de l’Allemagne.
Ce projet eurasiatique porté par les actuels dirigeants russes vise en fait à renforcer les liens entre les pays issus de l’ancienne Union soviétique pour assurer à la Russie une stabilité à ses frontières et développer les échanges économiques avec ces pays. En soi ce projet n’est en rien antinomique avec le développement des échanges entre les pays européens et la Russie, mais cela va à l’encontre il est vrai de la politique américaine de domination planétaire, et d’appropriation ou de contrôle des ressources énergétiques mondiales au bénéfice prioritaire des grandes sociétés américaines. Pour cela il faut que les régimes politiques des pays qui disposent de ces ressources énergétiques rentrent dans un jeu d’alliance contraint avec les Etats-Unis et ne fassent pas obstacle aux intérêts économiques américains. Or, Olivier Fabre confond délibérément le soutien aux intérêts géo-politiques et économiques des Etats-Unis avec la défense de ce qu’il considère comme étant les valeurs occidentales mises à mal par l’expansionnisme islamiste de par le monde.
Certains faits énoncés dans l’article d’Olivier Fabre ne sont pas faux; Ainsi l’islamisme chiite iranien est au même titre que l’islamisme sunnite dangereux, sauf que pour l’essentiel le prosélytisme islamiste en Europe est le fait de l’islam sunnite wahhabite financé par l’Arabie saoudite et le Qatar bien plus que par l’Iran. Que les régimes dictatoriaux dits laïcs du Moyen-Orient tels qu’ils ont existé ou existent encore comme en Syrie n’ont pas été jusqu’au bout de leur conception laïque de l’état c’est une évidence, mais ces états malgré tout assuraient à leurs habitants une plus grande liberté vis à vis des dogmes islamistes contrairement aux théocraties religieuses comme l’Arabie saoudite. Que la Russie qui comprend une population musulmane importante cherche à garder de bonnes relations avec les pays musulmans c’est vrai mais c’est ce que font également Israël et les Etats-Unis. Ces deux pays ne s’opposent pas du tout à l’expansionnisme musulman dans le monde mais uniquement au terrorisme islamiste et encore quand celui-ci heurte les intérêts de ces 2 états. Ainsi Israël s’inquiète des relations qui peuvent exister entre l’Union européenne d’une part et le Hamas et le Hezbollah d’autre part, mais les dirigeants israéliens lors de visites officielles dans des états européens n’ont jamais dénoncé comme tel le prosélytisme islamiste dans les écoles, les hôpitaux, voire dans la rue.
Par ailleurs les autorités israéliennes ne critiquent pas, tout au moins publiquement, le fondamentalisme islamiste de l’Arabie saoudite qui essaime partout dans le monde. Ceci est encore plus vrai pour les Etats-Unis qui prennent bien soin dans leur communication diplomatique vers le monde musulman de rappeler que les Etats-Unis ne sont pas en guerre contre l’Islam, de financer en outre la restauration de mosquées, de soutenir de façon continue le processus d’intégration d’une Turquie de moins en moins laïque dans l’Union européenne.
N’oublions pas non plus le soutien affiché des Américains, au moment du Printemps arabe, à la mouvance des Frères musulmans ou au parti islamiste Ennhada en Tunisie; on a encore dans l’œil, la photo d’Hillary Clinton en visite en Tunisie embrassant comme du bon pain une femme voilée. Que les autorités américaines aient par la suite modéré leur enthousiasme pour les mouvements politiques islamistes après l’assassinat de leur ambassadeur en Libye et l’incendie de l’Ambassade américaine à Tunis, qu’ils aient fini par lâcher le Président Morsi en Egypte c’est un fait, mais pour l’essentiel les Etats-Unis ne se mobilisent absolument pas contre l’expansion de l’islam en Europe mais au contraire attaquent dans leurs médias et dans certaines commissions du Congrès (le parlement américain) les lois françaises contre les signes ostentatoires religieux à l’école ou la dissimulation complète du visage dans l’espace public.
Or, que l’on sache, les autorités russes ne s’autorisent pas à porter de jugement sur les lois françaises contrairement aux américains qui cherchent à imposer aux pays européens leur modèle multiculturaliste et communautariste. D’une façon générale, les autorités américaines font peu de cas de leurs alliés européens qu’ils considèrent plutôt comme des obligés devant se plier à leurs injonctions.Il n’y a qu’à se rappeler l’espionnage intensif des pays européens (pourtant censés être alliés ) par l’agence américaine NSA, les propos méprisants tenus l’hiver dernier par la Secrétaire d’Etat adjointe américaine Victoria Nuland à l’encontre des Européens et le rappel permanent depuis les années 1990 par les américains de leur suprématie mondiale : « nous sommes la nation essentielle » propos tenus par Madeleine Allbright, propos équivalents tenus par l’ancien candidat républicain américain Mitt Romney, dans une école militaire américaine « Les Etats-Unis ont vocation à dominer le monde » ou encore le nom d’un des principaux laboratoires d’idées américain (think thank) à Washington, qui s’intitule : XXI American Century, autrement dit le 21ème siècle américain, que de modestie ! Nulle part dans ces déclarations il n’est question d’un monde occidental qui aurait sa propre cohérence par rapport au reste du monde mais de la seule hégémonie pour ne pas dire impérialisme américain.
Pour revenir à la Russie, que ce pays objet d’un ostracisme constant de la part des Etats-Unis et de l’Union européenne, bras articulé des intérêts américains en Europe, noue des relations privilégiées avec les grands pays émergents qui ne sont d’ailleurs pas des états musulmans (Chine, Inde, Brésil ) à qui la faute ? Sinon aux Etats-Unis et aux pays européens alignés, notamment la France de Sarkozy et de Hollande, la Grande-Bretagne qui ont tout fait pour marginaliser la Russie depuis une quinzaine d’années dès lors que ce pays souhaitait garder une indépendance décisionnelle, ne pas se transformer en protectorat de Washington et Bruxelles ni voir ses lois dictées par l’Union européenne et son marché économique intérieur sans protections, et livré principalement aux intérêts économiques américains. Olivier Fabre peut trouver ça très bien, mais qu’il ne prétende pas être patriote car qu’est ce qu’être patriote, sinon défendre son identité, sa culture, sa propre vision du monde et aussi ses intérêts économiques.
Au demeurant on peut être légitimement soucieux de la sécurité de l’état d’Israël et de son droit à l’existence au même titre que de l’existence d’un état palestinien souverain en paix avec Israël sans pour autant se croire obligé de soutenir dans le monde la politique américaine, au seul motif que ce pays est le principal allié d’Israël. Les pays européens ont leurs propres intérêts qui ne se recoupent pas nécessairement avec les intérêts américains. A l’évidence pour justifier le maintien de l’Europe sous leur tutelle, les américains cherchent par tous les moyens (et notamment via leurs réseaux d’influence et leurs relais médiatiques) à tendre les relations entre les pays européens et la Russie en présentant la Russie comme un pays menaçant, ce qu’elle n’est pas.
Cela a l’avantage pour les Etats-Unis, en maintenant les peuples européens dans un état d’apeurement, d’obtenir ainsi plus facilement la ratification du traité de libre échange transatlantique qui suscite quelques réticences dans les opinions publiques européennes, de proposer aux européens de renoncer au gaz russe et à la place d’importer du gaz de schiste américain et de lever par ailleurs les restrictions à l’exploitation du gaz de schiste existant dans certains états européens. Outre qu’il n’est pas certain que l’exploitation du gaz de schiste par la fracture hydraulique soit sans conséquence dans l’environnement, il n’est pas certain non plus qu’il soit moins onéreux d’importer du gaz depuis les Etats-Unis. Enfin le gouvernement américain ayant diminué la part de son budget consacré à l’armement, le complexe militaro industriel américain a tout intérêt à ce que le conflit en Ukraine perdure, pour inciter à augmenter leur dépense d’armement ce qui serait tout bénéfice pour l’industrie américaine.
Rigdebert Rinocero