Examinons les votes en Sicile…

A Rome, le 23 mars en principe, l’élection des présidents du parlement (chambre des députés et sénat), sera l’occasion de reparler de l’Italie, de voir les premiers résultats des conciliabules inter-partis et de faire le compte des défections plus ou moins tactiques de certains élus. On pourrait penser que jusqu’à cette date rien de nouveau ne peut être dit, pas si sûr.

Peu d’observateurs ont relevé à son juste niveau l’incroyable netteté de la coupure nord-sud qui recoupe celle de la richesse, de l’industrialisation, du moindre chômage mais aussi celle d’une adaptation à l’U.E., au monde acculturel et mercantile opposé à une vision plus conservatrice. Parce M5S même avec son emballage de transparence, de démocratie directe, de gestion citoyenne véhicule une idée générale du monde qui ne serait plus celui mobile et constamment transactionnel, mais un autre moins précipité dans l’adaptation à tout élément émergeant, plus posé, plus digestif ; une société qui, au fond, ressemble à celle d’avant.

« Tout changer pour que rien ne change », la réplique célèbre du Guépard pourrait bien prendre une tournure nouvelle.

Et puisque nous voici en Sicile, examinons les résultats ; sur les 28 sièges à pourvoir dans le scrutin uninominal, où les électeurs choisissent un candidat bien identifié Movimento Cinque Stelle a remporté tous les sièges, y compris contre des caciques appartenant à des familles jugées inexpugnables. Des villes, gagnées l’an dernier par la coalition de droite, et bien gérées, comme Avola par exemple, votent M5S ; dans cette même ville La Lega émerge, alors que ce fut un bastion des révoltes ouvrières,  des braccianti, et où est vif le souvenir des dizaines de blessés et des deux morts de 1968. A Marsàla un repenti est élu et renonce à sa fausse identité de protection, « il y a 27 ans j’ai dit assez à la mafia, et aujourd’hui a ce système des vieux partis » déclare-t-il.

Mais ce n’est pas tout, au scrutin proportionnel M5S fait de tels résultats, dans toute l’île, que les listes nominales  prévues par la Loi sont trop courtes pour répartir les élus et qu’il faut en chercher dans les circonscriptions voisines ! Pourtant il y a 4 mois M5S avait perdu les élections régionales et il y 17 ans l’île avait donné 100% des élus à la droite. A Lampedusa, lieu emblématique du suicide européen, la gauche anciennement majoritaire s’effondre à moins de 7%, soit la moitié de la ligue, la coalition de droite est à 47% et M5S à 42%.

Dans de nombreuses circonscriptions de tout le Mezzogiorno des scores de plus de 50% sont fréquents pour M5S ,atteignant 74% ! Rappelons que nous sommes dans une élection à un tour. Mais cette domination de M5S n’empêche pas la La lega, invisible il y a 4 ans, d’obtenir partout des voix, parfois en s’approchant de 20% associée à deux petits partis d’extrême-droite.

Dans une société aussi tellurique que la Sicile, et cela s’applique aussi bien à Naples ou à Benevento, on ne peut pas se retrancher derrière l’affirmation de la versatilité du corps électoral, l’invasion musulmane a fini de révéler pour des populations entières, non l’inefficacité d‘un état, mais l’absence de volonté politique de mettre fin à la décadence, économique, morale et identitaire.

Sans doute est-il temps de relire Vitaliano Brancati.

Gérard Couvert