«Femmes invisibles, leurs mots contre la violence », de Smaïn Laacher

Elles s’épanchent rarement ces jeunes filles ou ces femmes qui vivent difficilement leur condition féminine dans leur foyer naturel, choisi ou imposé dans le cadre d’un mariage forcé.
L’auteur de ce livre, chercheur au Centre d’études des mouvements sociaux nous présente les résultats d’une enquête minutieuse sur les violences familiales et conjugales faites aux femmes étrangères ou issues de l’immigration.
Il s’appuie sur l’étude de centaines de fiches téléphoniques et de lettres adressées à deux associations, différentes dans leur fonctionnement : « Voix de Femmes » et « Ni Putes ni Soumises ».De nombreux témoignages reproduits dans cette oeuvre illustrent le propos de l’auteur et montrent clairement que le combat difficile que mène ces femmes n’est ni contre la religion, ni contre la condition de la femme immigrée mais pour le respect de leur droit de vivre libres.
Alors que certains cherchent à distinguer l’espace privé de l’espace public, l’auteur s’insurge contre les violences physiques et psychologiques dans l’espace familial, souvent ignorées ou niées par ceux et celles qui pratiquent une forme de racisme inversé qui consiste à minorer voire nier la souffrance de certaines femmes de milieux sociaux défavorisés.
« L’immigration et ses conséquences démographiques ne sont pas seulement affaire d’intégration, de traditions, de modernité, de religion, de discrimination, etc. L’immigration, les géniteurs comme leurs enfants, a partie liée aussi aux processus d’institutionnalisation d’un sens commun ».
Hier, entre 1967 et 1978, des dizaines de milliers de femmes ont exposé directement ou indirectement leurs souffrances et l’émission de radio de Ménie Grégoire s’est fait l’écho et l’interprétation de ces paroles de femmes issues des milieux populaires. Le témoignage souvent poignant de ces femmes anonymes a fait au moins autant pour l’évolution de la condition féminine que les articles écrits par les féministes militantes. Une double nécessité s’est ainsi imposée : « celle, d’une part, de soumettre les relations conjugales à d’autres principes de justice explicitement codifiés; celle, d’autre part, d’avoir le droit juridique d’ “être heureux en ménage”.
Aujourd’hui , il s’agit d’un mouvement profond exprimant une souffrance et une colère qui est en continuité avec celui des années 70, avec des formes et des revendications différentes.
Les femmes invisibles qui témoignent demandent que leurs paroles soient prises en compte et que soit mis fin à leur calvaire. Elles revendiquent la protection de la loi, refusant par là-même tout commautarisme les privant au nom d’une exception « cuturelle » de l’exercice de leurs droits.
Dans son épilogue, l’auteur invite à une modification des comportements qui conduise à abandonner la pitié et la naïveté en direction des « immigrés » afin de « penser ou repenser sociologiquement l’ordre social et symbolique qui rend possible des accidents, des ruptures, des situations, des discours qui apparaissent en dehors de cadres préétablis et légitimes »
Jean-François CHALOT
Editions Calmann-Lévy
18 €
261 pages
octobre 2008

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