Femmes lynchées d'Hassi Messaoud

Hassi Messaoud est un site pétrolier dans le Sahara, où il est possible de gagner sa vie durement comme ouvrier, ou comme ouvrière car des femmes y travaillent. Elles habitent à proximité, dans un bidonville nommé El Haicha (El Haicha : Bête sauvage, en arabe d’Algérie).
Durant la nuit du 12 au 13 juillet 2001, 38 d’entre elles vont être la proie d’une bande de voyous talibanisés, chauffés à blanc par l’imam local, pour qui toute femme qui travaille ou qui vit seule est une femme de mauvaise vie, même si elle est voilée. Elles sont tabassées, injuriées, violées, mutilées et laissées pour mortes. Ensuite, elles sont mises à l’écart de la société. Trois de leurs bourreaux seulement ont été condamnés à des peines de prison, les autres étant acquittés ou jugés par contumace. Le témoignage de deux des victimes, Fatiha Maamoura et Rahmouna Salah, a été recueilli dans un livre qui vient de paraître (Laissées pour mortes, témoignages recueillis par Nadia Kaci. Editions Max Milo, 2010). Il y avait eu précedemment un film (Vivantes, long-métrage de Said Ould Khelifa sorti en Algérie en 2008. )
Comment en est-on arrivé là ? Rahmouna nous raconte les premières alertes :

Signes avant-coureurs

Rahmouna partage son logement avec plusieurs collègues de travail, en majorité des femmes, et reçoit parfois la visite de deux hommes de sa famille. Cette vie en communauté fait jaser. Un voisin leur apprend qu’une enquête de voisinage se déroule contre elles, pour atteinte aux bonnes moeurs. Ramouna se rend au commissariat, arbre généalogique et livret de famille en mains, pour établir son lien de parenté avec ses visiteurs. Elle fait valoir qu’il vaut mieux, pour une femme, bénéficier de la protection d’hommes de sa famille, plutôt que d’être livrée aux convoitises. Les policiers l’écoutent ; ils l’assurent que l’enquête conclura en principe en sa faveur, et que l’affaire sera bientôt close.
Las ! Tout ne fait que commencer :
« Un soir, comme nous avions quitté un peu plus tard le travail et qu’il n’y avait plus de transports, nous avons été raccompagnées, sur recommandation de notre chef de camp, par un collègue. Devant le seuil de la maison, un groupe de jeunes attendait; ils nous ont insultées en nous voyant.
 Impures! Salopes! hurlait l’un.
 Couvre-toi, sale pute, et reste chez toi au lieu de nous piquer notre travail, postillonnait un autre gars à 2 centimètres du visage de Halima, qui ne portait pas le hidjab. »
L’imam local multiplie les prêches incendiaires contre les supposées femmes de mauvaise vie, et le lynchage s’organise à la mosquée.

La nuit de l’horreur

Rahmouna nous raconte la nuit de l’horreur :
« Je me suis précipitée sur la porte; de l’autre côté, des brasiers illuminaient le ciel. Les hommes y balançaient des vêtements, des papiers. On aurait cru qu’il faisait jour, tellement il y avait de feux. Ils étaient une cinquantaine à barrer toute la route entre chez nous et les voisins. Ils se sont mis à crier, à m’insulter. L’un d’eux portait un bandana rouge autour du front; un gros poignard à la main.
D’autres avaient des gourdins, des bâtons.
Ils se dirigeaient tous vers moi. Qui supplier?
Ils me promettaient les pires insanités.
– C’est au nom de Dieu que vous voulez me faire subir tout ça?, ai-je hurlé.
J’ai senti un coup de couteau déchirer mon ventre. (…)
Des mains, plein de mains arrachèrent mes vêtements, griffèrent mes seins, mes cuisses, tentèrent de les déchiqueter.
Je me suis évanouie. »

R
ahmouna est sauvée par la police et conduite à l’hopital. Là, les autres victimes arrivent aussi, et elle se rend compte qu’elles sont plusieurs dizaines.

Traitées de prostituées

Telles que les choses démarraient, l’opinion publique aurait du se retourner contre elles :
« Le soir, on nous a apporté un journal qui parlait de nous. C’était le quotidien arabophone, El Khabar. Il nous présentait comme des prostituées venues de toute l’Algérie pour travailler dans des maisons closes. C’était le coup de grâce: avec un tel article, nous savions que l’opinion publique allait nous condamner. Qu’allaient penser nos familles? Nous étions anéanties. […] »

Heureusement, d’autres personnes les aident. Une gynécologue de l’hôpital procède aux constatations de médecine légale, et note aussi qu’aucune d’entre elle n’a de maladie sexuellement transmissible (ce qui aurait été le cas pour des prostituées).
En 2004, la journaliste Salima Tlemçani fait paraître dans le quotidien El Watan plusieurs articles dans lesquels elle défendait leur cause. A partir de là, la presse et les associations leur deviennent favorables.
La réinsertion sociale n’est pas pour autant gagnée pour toutes.
Fatiha a épousé un ancien collègue de travail qui l’a soutenue dans son épreuve. Cette union lui a permis de se réconcilier avec ses parents, qui ne voulaient plus entendre parler d’elle. Rahmouna, elle, regrette de ne pas avoir pu revoir son frère aîné avant la mort de celui-ci. Il l’accusait d’avoir sali la réputation de la famille. Elle aurait tant voulu lui expliquer… .
Catherine Ségurane

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