François Mitterrand, ministre de l’Intérieur : L’Algérie, c’est la France

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Alors ils avaient embarqué. Encore une fois. Le traumatisme de Diên Biên Phu brûlait toujours les chairs vives du souvenir. Comme en Indochine, l’armée obéit. De nouveau, elle fit la guerre, elle la gagna.

Comme en Indochine, les officiers français donnèrent leur parole aux populations locales, aux harkis. Mais le serment ne valut plus rien. Ce furent les accords d’Évian, le sauve-qui-peut, la rupture de la solennelle promesse, les harkis qui hurlaient : “Ne nous abandonnez pas. Vous avez promis…” Le drame de conscience se répète. La France des officiers avait prêté le serment de fidélité pour que toutes ces vies fauchées en pleine jeunesse ne soient pas inutiles. Mais le vent tourna. Ceux qui étaient restés fidèles à la parole donnée furent regardés comme des traîtres. La gauche bobo ultra des beaux quartiers dénonça des fachos.

Alors, partageant le désarroi et l’amertume de leurs camarades officiers d’active de Coëtquidan, les meilleurs ont choisi la rupture, la révolte, au nom de l’honneur, aux côtés des compagnons de la Libération, ces héros de la Résistance couverts de bananes. La grande loi de solidarité de l’armée française et de ses bienfaiteurs s’appliquait dans cette simplicité et cette générosité chevaleresques. Ce lien fort de l’histoire, ainsi va la marche du destin qui conduit les hommes vers l’improbable. Ainsi la vie réserve sa part d’inattendu à ceux qui ont appris que l’histoire est tragique, qu’il peut y avoir des déchirements et des choix douloureux.

Hélie Denoix de Saint-Marc a raconté le moment terrible de son procès. Nous sommes le 5 juin 1961. Le prétoire est assailli par la foule. Devant le haut tribunal militaire, le soldat perdu se lève. Il s’adresse à cette cour d’exception qui a déjà l’arrêt en main. Et il déclare en pesant ses mots avec gravité, pour l’Histoire :

“Ce que j’ai à dire sera simple et sera court. Depuis mon âge d’homme, monsieur le président, j’ai vécu pas mal d’épreuves : la Résistance, la Gestapo, le camp de déportation de Buchenwald, trois séjours en Indochine, la guerre d’Algérie, Suez, et puis encore la guerre d’Algérie… En Algérie, nous avions reçu une mission claire : vaincre l’adversaire, maintenir l’intégrité du patrimoine national, y promouvoir la justice raciale, l’égalité politique. On nous a fait faire tous les métiers, parce que personne ne pouvait ou ne voulait les faire.

Nous avons mis dans l’accomplissement de notre mission, souvent ingrate, parfois amère, toute notre foi, toute notre jeunesse, tout notre enthousiasme. Nous y avons laissé le meilleur de nous-mêmes. Nous y avons gagné l’indifférence, l’incompréhension de beaucoup, les injures. Des milliers de nos camarades sont morts en accomplissant cette mission. Des dizaines de milliers de musulmans se sont joints à nous comme camarades de combat, partageant nos peines, nos souffrances, nos espoirs, nos craintes.

“Nombreux sont ceux qui sont tombés à nos côtés. Le lien sacré du sang versé nous lie à eux pour toujours. Et puis, un jour, on nous a expliqué que cette mission avait changé. Alors, nous avons pleuré.

“L’angoisse a fait place en nos cœurs au désespoir. Nous nous souvenions de l’évacuation de la Haute-Région, des villageois accrochés à nos camions, qui, à bout de forces, tombaient en pleurant dans la poussière de la route. Nous nous souvenions de Diên Biên Phu, de l’entrée du Vietminh à Hanoï. Nous nous souvenions des milliers de Tonkinois se jetant à la mer pour rejoindre les bateaux français.

“Nous pensions à tous ces hommes, à toutes ces femmes, à tous ces jeunes qui avaient choisi la France à cause de nous et qui, à cause de nous, risquaient chaque jour, à chaque instant, une mort affreuse. Nous pensions à ces inscriptions qui recouvrent les murs de tous ces villages et mechtas d’Algérie : “L’armée nous protégera, l’armée resteraNous pensions à notre honneur perdu. Monsieur le président, on peut demander beaucoup à un soldat, en particulier de mourir, c’est son métier. On ne peut pas lui demander de tricher, de se dédire, de se contredire, de mentir, de se renier, de se parjurer.”

Le temps passa. Il fallut panser les plaies. Peu à peu, la paix revint à pas feutrés, dans les cœurs patriotes de ceux qui s’étaient combattus. Il fallait repenser à la recommandation de Catherine de Médicis, après les guerres de Religion : “Bien taillé, mon fils ! Maintenant il faut recoudre.” Et nous avons recousu.

Sans faux-fuyants, la tragédie algérienne revint sur la table. Nous pensions que la France n’avait pas de limite ethnique. Soustelle et Bidault n’étaient pas des cervelles de colibri mais des esprits universalistes indifférents aux races, aux religions, au passé… La grande France…

Michel Debré a dû se ranger aux arguments du Général de Gaulle. Il n’a jamais cru à l’intégration des Arabes. Il disait : “Essayez donc d’intégrer de l’huile et du vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d’un moment, ils se sépareront de nouveau. Les Arabes sont des Arabes, les Français sont des Français.”

Michel Debré rappelait que la décolonisation ne devait pas servir de prétexte à une mortification de nos compatriotes ou à salir la présence française dans le monde. Il vitupérait contre “la gauche aux mains pures” : “Ce n’est pas la droite qui a porté l’idée coloniale entre 1880 et 1950. C’est la gauche républicaine. La droite, elle, était toute concentrée sur l’Alsace-Lorraine, les yeux fixés sur la ligne bleue des Vosges.

“La gauche entendait prolonger la Révolution, apporter la seule civilisation des Lumières et des droits de l’homme à toute l’humanité. Jules Ferry et Gambetta refusaient le repliement de la France sur elle-même.

“Jaurès : “Quand nous prenons possession d’un pays, nous devons amener avec nous la gloire de la France.” Aujourd’hui, les Français ont oublié la parole de Hugo : “Nous sommes les Grecs du monde, c’est à nous d’illuminer le monde.” Les discours de l’époque sont les discours de la gauche. Le discours de Léon Blum au Palais-Bourbon, en 1925, a été mis sous la pile avec précaution par les bigots du parti socialiste, surtout le passage où il invoque “le droit et même le devoir des races supérieures d’attirer à elles celles qui ne sont pas parvenues au même degré de culture“. Toute la gauche, sauf quelques radicaux et socialistes, a professé, pendant un siècle, du temps du roman national, “l’inégalité des civilisations“.

C’est au moment de la crise algérienne qu’elle a retourné sa veste. Elle dénonce “le hideux passé colonial de la France“. La tache de l’empire colonial sur les cahiers d’écoliers devient une tache de sang.

C’est l’hallali. Le ton est donné par le journal Le Monde. À l’université, une lecture s’impose, la nouvelle bible : Les Damnés de la terre, de Frantz Fanon. La préface de Sartre est d’une violence inouïe : “Ayez le courage de lire Fanon : pour cette raison qu’il vous fera honte et que la honte, disait Marx, est un sentiment révolutionnaire.” Suit un appel au meurtre :

“Chaque fois que l’homme blanc est chassé ou éliminé, c’est un peu d’indépendance rendue à l’humanité. Abattre un Européen, c’est faire d’une pierre deux coups, supprimer un oppresseur et un opprimé.

“Restent un homme mort et un homme libre.” Cette gauche révolutionnaire oublieuse de ses propres responsabilités historiques n’a conservé que l’obsession idéologique mortifère de l’Homme nouveau.

Les Français, par nature, sont suspects d’esclavagisme. Il faut les traquer. Ils auront affaire au CRAN, le Conseil représentatif des associations noires, car il s’agit d’une France raciste et subtilement négationniste.

Le président algérien Bouteflika ose accuser la France de révisionnisme : “Pour la société algérienne, la colonisation française a été massivement une entreprise de destruction !” L’Algérie réclame justice. La désintégration est en marche, la guerre des mémoires commence. Bouteflika déclara le 16 avril 2006 : “La colonisation a réalisé un génocide de notre identité, de notre histoire, de notre langue, de nos traditions.”

En janvier 2005, on retrouve la résonance de Sartre dans la création des Indigènes de la République. Selon l’appel lancé par ce mouvement, “le traitement des populations issues de la colonisation prolonge la politique coloniale“. Ces Indigènes portent sur notre sol le conflit qui secoua les colonies, ils somment les Français de se plier à leur mode de pensée. Maître Terquem, cofondateur de SOS Racisme, publie dans Le Monde du 9 décembre 2005 une tribune intitulée : “La République blanche, c’est fini !” La France a perdu le privilège, sur son sol, d’imposer son mode de vie, son modèle culturel. On n’a plus le droit d’exiger qu’on vive à Rome comme les Romains”. On peut juste espérer la coexistence. Ainsi émerge le “Vivre ensemble” avant le face à face. C’est un nouveau recul : la nation française tente la juxtaposition libanaise de communautés autonomes qu’on renonce à fondre ensemble. C’est aux citoyens français de s’adapter et de raser les murs, tête basse. Le temps est arrivé de la colonisation à l’envers. Moralité : Macron a nommé le nouveau ministre de l’Éducation Nationale Socialiste pour finir le travail.

Avec Éric Zemmour : Nous devons reprendre le contrôle de notre pays.

Thierry Michaud-Nérard

Source : Philippe de Villiers, Le moment est venu de dire ce que j’ai vu.