Il n’en reste plus beaucoup, de ceux qui aiment se faire appeler les dinosaures, qui avaient entre 15 et 20 ans en 1940, et ont donc, fort logiquement, entre 90 et 95 ans ce jour. En quelques semaines, la France vient de perdre deux d’entre eux, deux personnages fort différents, voire aux antipodes, Louis Dalmas, il y a quelques jours (voir hommage de Sylvia Bourdon) et Pierre Descaves, le 7 mai dernier.
Ces deux hommes n’ont partagé qu’une seule chose dans leur vie : la Résistance, dans laquelle Louis Dalmas fut un des rares trotskistes à s’engager, la ligne prônant plutôt, au nom de l’internationalisme, le défaitisme révolutionnaire, la transformation de la guerre capitaliste en guerre révolutionnaire et la fraternisation avec les soldats allemands. Quant à Pierre Descaves, plus jeune il s’engagea dans la première armée française libre, en 1944.
Il se trouve qu’à leur demande, j’ai eu la chance de rencontrer ces deux personnalités exceptionnelles. Je fis d’abord la connaissance de Louis Dalmas en 2010. Je savais qu’il avait 90 ans, et fus surpris, au téléphone, par le ton de sa voix. Il avait l’élocution claire d’un homme d’une cinquantaine d’années, il ne cherchait pas ses mots, et enchaînait les phrases avec une grande facilité, comme on le constate dans cette vidéo, où il répond aux questions de son éditeur.
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Louis était curieux de me connaître, connaissant nos engagements semblables dans le mouvement trotskiste, dans notre jeunesse, qui eut lieu à des périodes fort différentes, puisqu’il avait 20 ans en 1940, alors que je les eus en 1973. Il était un cadre politique, alors que j’étais plutôt un militant de base. Après une brillante carrière professionnelle, où il fut le premier journaliste à interviewer Tito, il s’engagea résolument du côté du peuple serbe, lors de l’agression de l’Onu contre Milosevic. Gardant ses références trotskistes, il considérait que le combat principal devait se mener contre l’impérialisme américain et ses marionnettes européennes, dont les socialistes et l’ineffable BHL, qu’il massacrait régulièrement dans de savoureuses chroniques. Pour lui, le combat contre l’islam était totalement secondaire, le développement de ce dogme, qu’il n’aimait pas, n’étant que la conséquence de la politique voulue par les Etats-Unis.
En bons anciens trotskistes amoureux du débat fraternel (du moins c’était ainsi de notre temps), nous nous écoutâmes respectueusement, tout en prenant acte de nos divergences sur les combats prioritaires. Louis (et nous partagions cela) était vacciné à jamais contre les attitudes sectaires, et la censure médiatique. Bien qu’en désaccord avec la ligne de RL, il nous fit régulièrement parvenir des contributions, et n’hésita pas à rendre publique la critique de certains de nos livres, dans son mensuel BI Infos.
Je me souviens, un jour, lui avoir fait part de mon profond désaccord avec un article de BI sur l’Iran, où l’auteur prenait la défense des ayatollahs contre les insurgés, considérés comme des pions des Américains. Je lui avait dit qu’il me faisait penser à L’Humanité parlant de l’insurrection de Budapest. Il m’avait proposé de passer un texte différent, pour le mois suivant. J’avais contacté une amie iranienne, dont il avait publié la contribution.
Il acceptait, dans cet esprit, toutes les invitations médiatiques ou politiques qui lui étaient faites, et elles étaient bien rares. Je le rencontrais pour la dernière fois à une tribune du RIF, où Paul-Marie Coûteaux nous avait invités à tenir un colloque, mais restait régulièrement en contact avec lui, par courriel, de manière très amicale.
Je garderai toujours de lui l’image aristocratique qu’il dégageait. Il avait une certaine classe et beaucoup de tenue. Je reverrai toujours, à l’issue de notre première rencontre, cet homme de 90 ans enfourcher, devant des passants éberlués, sa 125 pour rentrer dans son appartement parisien. J’avoue que j’aimerais en faire autant si j’ai un jour cet âge…
La rencontre avec Pierre Descaves fut fort différente. Il avait tenu à faire notre connaissance, et m’avait joint au téléphone pour savoir si nous serions d’accord, Christine Tasin et moi, pour accepter une invitation dans sa « cantine », un restaurant parisien situé place de la Bourse. Naturellement, étant de ceux qui acceptent de discuter avec tout le monde, nous répondîmes favorablement. Nous connaissions son parcours, son engagement dans l’OAS en 1961, et les différents mandats qu’il occupa, sous les couleurs du Front national.
Nous rencontrâmes un Monsieur âgé (il avait alors 87 ans), d’une grande distinction, très raffiné, et qui ne manquait pas, lui aussi, d’une certaine classe. Alors que j’avais tutoyé immédiatement Louis Dalmas, il ne me serait pas venu à l’esprit de faire de même avec ce Monsieur, malgré le ton très amical que prit rapidement notre discussion. Après s’être présenté, et nous avoir expliqué son parcours, et avoir écouté le nôtre, il nous fit connaître sa grande préoccupation devant le péril qui guette notre pays. Il nous dit qu’il multipliait les rencontres avec les personnes qui pouvaient incarner la Résistance qu’il appelait de ses vœux contre la politique immigrationniste qui était en train de changer le peuple de France. Il nous fit savoir qu’il suivait ce que nous faisions de très près, et qu’il trouvait indispensable le combat que nous menions contre l’islamisation de notre pays.
Le premier contact fut vraiment très chaleureux. Nous savions que sur des questions comme la laïcité, ou l’économie, nous ne serions pas forcément d’accord, mais avions compris que l’essentiel n’était pas là. Toujours curieux, quelques mois plus tard, il souhaita faire la connaissance de René Marchand, sans ignorer le fait que ce dernier, gaulliste, était aux antipodes du combat de l’OAS. Très probablement que 50 ans plus tôt, s’ils s’étaient croisés, ils se seraient tirés dessus. Il nous avait demandé, avec son éternelle politesse, si la présence de Roger Holeindre ne nous dérangeait pas. Nous lui répondîmes que nous ne pratiquions pas ce genre d’exclusive. Là encore, la rencontre entre ces trois personnages, fruits d’une époque exceptionnelle, fut pour Christine et moi un grand moment, car nous mesurions la chance que nous avions de côtoyer de tels personnages, et l’histoire qu’ils incarnaient.
Il faut savoir que nous étions d’une génération qui n’a rien su des réalités de la guerre d’Algérie. Nous fumes éduqués sur le méchant colonialisme, la barbarie de l’armée française et le légitime combat pour l’indépendance du FLN. Ce n’est que ces dernières années que nous décidâmes de creuser un peu la question, grâce notamment à des documentaires exceptionnels comme celui de Charly Cassan et Marie Havenel, « La valise ou le cercueil ». Nous vîmes alors des personnages comme Pierre Descaves ou Roger Holeindre avec un tout autre regard, sans pour autant partager tous leurs projets politiques et la finalité de l’OAS.
J’eus la chance, par le plus grand des hasards, de rencontrer, un soir, chez une amie qui se reconnaîtra, la fille du colonel Argoud, qui se montra très surprise que je connaisse un petit peu l’histoire de son père. Je lui demandais si elle serait heureuse de faire la connaissance de Pierre Descaves. Son accord obtenu, j’eus le plaisir de les mettre en contact, et de permettre leur rencontre. Pierre m’en remercia chaleureusement, toujours avec la grande distinction qui était la sienne.
Je savais, en voyant ces dernières images, qu’il venait de frôler la mort. On sentait, sur le plateau, l’effort qu’il lui fallait produire pour répondre au mieux aux questions de Martial Bild, sur le plateau de TV-Libertés. Et pourtant, malgré la maladie, il conserva son élocution particulière, toujours d’une grande clarté, et resta jusqu’au bout fidèle aux valeurs qui avaient guidé les combats de sa vie.
[youtube]l6BnAc63Lb8[/youtube]
https://www.youtube.com/watch?v=l6BnAc63Lb8
Je regrette d’être passé à côté de sa mort, et de ne l’avoir apprise qu’un mois après.
Je ne peux m’empêcher, en concluant cet article, à Robert Ménard, lui aussi ancien trotskiste, qui a eu le courage de rendre hommage, le 5 juillet dernier, à des combattants de l’OAS, déchaînant bien évidemment les foudres du politiquement correct.
Louis Dalmas et Pierre Descaves étaient deux hommes exceptionnels. Sans doute furent-ils, tout au long de leur vie, à l’exception des années 1940-1945, dans des combats différents, et plus jamais du même côté de la barricade. Pourtant, ils incarnaient tous les deux la France, par leur grande capacité de séduction (nul doute qu’ils durent avoir nombre de succès féminins), leur raffinement, leur distinction, leur amour du beau et leur grande culture qui leur permettait de débattre des heures entières, en respectant toujours l’avis de l’autre.
La formule de Sylvia Bourdon, “L’élégance des grands esprits”, est parfaite pour résumer ces deux hommes.
Il est vraiment dommage que de tels personnages, aussi exceptionnels, ne se soient, à ma connaissance, jamais rencontrés.
Pierre Cassen