Homo Sapiens : une quenotte qui change tout !

Dans un article de près de 130 pages publié ce mercredi 9 février dans la revue Sciences Advances, Ludovic Slimak, chercheur au CNRS et à l’Université Toulouse-Jean Jaurès, envoie définitivement la thèse « Out of Africa » dans les poubelles de la préhistoire.

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Dans cet article, Thaïs d’Escufon rappelait, brièvement mais superbement, quels ont été les premiers Européens et mettait gentiment en boîte les tenants de la thèse « Out of Africa – We are the world »

La thèse « Out of Africa », qui veut que tous les hommes actuels, y compris les aborigènes d’Australie et les Papous de Nouvelle Guinée, proviennent d’Afrique, a fait fureur jusque dans les années 70. Pensez : les Africains sont à l’origine de toute l’humanité, alors respect. Un genou à terre tout le monde… A tel point que Wikipédia la présente encore comme la thèse la plus probable

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Mais, au fur et à mesure des découvertes de terrain, les doutes sont venus. Dès le début des années 80, la thèse a cédé le pas à la théorie de l’origine multirégionale de l’homme moderne, selon laquelle Homo erectus est apparu de manière indépendante sur les cinq continents, et qu’un constant et aléatoire mélange de ses gènes tout au long de l’évolution est à l’origine de l’émergence d’Homo sapiens.

L’un des tenants de la thèse « Out of Africa », le paléontologue Yves Coppens a d’ailleurs fini par reconnaître son erreur.

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Selon Ludovic Slimak et son équipe, Homo Sapiens serait apparu en Europe continentale, il y a quelque 54.000 ans, soit plus de dix millénaires avant la date jusqu’ici acceptée

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Leurs résultats est le fruit de près de 25 ans de fouilles dans la grotte Mandrin, un abri rocheux situé dans la commune de Malataverne, dans la Drôme. C’est entre autres en s’appuyant sur l’étude approfondie… d’une dent, que l’équipe étaie son argumentation : « Nous sommes en mesure d’affirmer grâce à nos travaux que Sapiens arrive en Europe continentale, et plus précisément dans la vallée du Rhône, dès 54.000 ans au moins, et qu’il occupe durant 40 ans environ un site colonisé par Neandertal à peine un an plus tôt ».

Un Grand Remplacement quasi-immédiat ? La réalité est plus complexe…

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Surprise énorme, en effet, de l’équipe : ce Grand Remplacement n’est pas définitif, et Neandertal revient occuper ce même site un ou deux millénaires plus tard : « Il s’agit de la première occurrence au monde d’une occupation néandertalienne postérieure à une occupation par l’humain moderne » précise Ludovic Slimak qui ajoute : « Partout ailleurs, quand Sapiens arrive, les autres populations – Néandertiens, Denisoviens… – tirent leur révérence définitivement. Ici, ce n’est pas le cas. Et nous avons des éléments diagnostics dans toutes les couches pour le prouver » .

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La grotte Mandrin est une véritable bibliothèque pour l’équipe de paléontologues du CNRS, qui a pu assoir sa thèse sur de nombreuses preuves

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Lors de sa soutenance de thèse en 2004, Ludovic Slimak présente l’ « anomalie » qu’il a identifié lors de ses recherches dans la grotte Mandrin : l’existence d’une multitude d’objets en pierre  « manufacturés », produits en série. Des « artefacts » remarquablement standardisés que l’on ne retrouve jamais à un tel degré d’élaboration dans les artisanats néandertaliens. Il dénomme « Néronien » cette culture préhistorique qu’il pense « hors norme », jusqu’à ce qu’il comprenne, en travaillant sur des artefacts trouvés sur des sites de la Méditerranée orientale que l’on sait déjà occupés par des humains modernes dès – 54.000 ans que « Néronien » n’est autre que… Sapiens lui-même.

Un Sapiens présent, donc, dans le Sud de la France dix millénaires avant son arrivée supposée.

Entre autre, une dent du Néronien, une molaire d’enfant âgé de 2 à 6 ans, s’avère présenter des morphologies strictement similaires à celles d’un Homo sapiens ancien, du Paléolithique. Huit autres dents, découvertes dans des niveaux archéologiques plus anciens et plus récents, apparaissent, elles, comme clairement néandertaliennes. Pour Ludovic Slimak, Sapiens était donc là bien avant qu’on ne le croit. A preuve, encore, ces objets miniatures qui requiert une technicité que seul Sapiens maîtrise.

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Naturellement, la thèse fait débat dans le petit monde de la paléoanthropologie. Dans un article du journal Le Monde, Jean-Jacques Hublin, professeur au Collège de France, émettait ses doutes quant à la fiabilité de la preuve principale : « Une dent de lait, ce n’est pas comme un squelette, un crâne ou un fémur. C’est tout petit, ça se balade, ça peut se promener dans la stratigraphie ».

Sans doute, lui rétorque Ludovic Slimak, mais les chances qu’une dent de lait ait atterri par hasard ou par erreur dans la couche stratigraphique étudiée par son équipe sans la grotte Mandrin sont infinitésimales… : « Cette découverte constitue un tournant majeur, sans doute aussi bouleversante que la découverte de la grotte Chauvet [à 25 kilomètres seulement de la grotte Mandrin] en 1994. Le fait est qu’aujourd’hui, nous ne pouvons ni pour Chauvet ni pour Mandrin faire une proposition alternative qui tienne la route. Nous avons été évidemment les premiers à remettre en question nos propres conclusions, mais nous n’avons pas trouvé d’explication plausible autre que celle formulée dans notre article ». Ludovic Slimak souligne par ailleurs que sa thèse n’est pas fondée que sur l’étude d’une dent mais « sur tout un ensemble de données archéologiques solidement datées grâce aux technologies de pointe et à des experts du monde entier ».

« Le Rhône est l’un des fleuves les plus importants d’Europe et constitue la seule voie naturelle depuis la côte méditerranéenne vers l’Europe continentale. Nous tenons là le témoignage solide d’un processus historique majeur qui s’est produit dans l’une des zones géographiques les plus importantes d’Europe en termes de migrations naturelles” argumente Ludovic Slimak.

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Henri Dubost

In girum imus nocte ecce et consumimur igni