De loin en loin certains contributeurs de Riposte laïque, évoquant l’histoire passée de notre pays, assimilent le régime de Vichy à la gauche et lient fascisme et nazisme des années 30 au courant de pensée socialiste.
Sans vouloir voler au secours de la gauche dont la politique actuelle me semble désastreuse pour notre pays, ni partager les orientations et choix politiques des formations de gauche, toutes tendances confondues, il me paraît nécessaire quand même de ne pas réécrire l’histoire en fonction des enjeux actuels.
S’il est vrai qu’un certain nombre de personnalités venues de la gauche ont pu être associées à la politique de Vichy on ne peut sérieusement considérer que la gauche = Vichy et réciproquement. De même considérer que l’émergence du fascisme et du nazisme dans les années 1930 serait un avatar du socialisme me semble être un postulat infondé.
Concernant les pleins pouvoirs dévolus au Maréchal Pétain après la défaite militaire de juin 1940, par l’Assemblée nationale issue des élections de 1936 qui avait porté au pouvoir le Front populaire, il convient de rappeler que si un grand nombre de députés radicaux ou socialistes avait voté la confiance au Maréchal Pétain, 80 d’entre eux s’y étaient toutefois opposés. A l’inverse, dans les rangs de la droite, un seul député, de Kirilis, avait voté contre, ce qui signifie à contrario que la majorité des députés de droite et du centre droit avaient massivement apporté leur suffrage au Maréchal Pétain.
On peut certes après coup reprocher aux députés de droite comme de gauche qui avaient accordé les pleins pouvoir au Maréchal Pétain d’avoir manqué de clairvoyance , mais sauf avoir des dons de divination ils ne pouvaient imaginer que le vainqueur de Verdun engagerait graduellement notre pays dans une collaboration active : entrevue entre Hitler et Pétain à Montoire, collaboration économique à l’effort de guerre nazi, (mise en place du STO Service du travail obligatoire ) création de la Milice etc. Enfin il ne faut pas oublier que durant l’entre deux guerre, 14-18 et 39-40, beaucoup de haut gradés étaient soupçonnés d’être favorables à la monarchie et d’être donc hostiles à la République ce qui n’était pas le cas pour le Maréchal Pétain, certes conservateur mais dont les sentiments républicains étaient connus.
S’agissant des ministres et des hauts fonctionnaires ayant servi Vichy, si certains d’entre eux venaient de la gauche comme notamment Laval, beaucoup de responsables de Vichy à des fonctions importantes n’avaient aucun lien avec la gauche. On peut citer entre autre, l’Amiral Darlan, Philippe Henriot, Benoit Meschin, Darquier de Pellepoix , commissaire aux Affaires juives, Joseph Darnan , chef de la Milice, Jean Jardin, Directeur de Cabinet de Laval. En fait le personnel politique sous Vichy peut être réparti en quatre catégories : des hommes de droite, voire d’extrême droite proches de l’Action française, des technocrates proches des milieux industriel et du patronat de l’époque, quelques politiques venus de la gauche mais qui pour la plupart s’était éloignés de la gauche non pas après l’armistice mais dès le milieu des années 30 et qui n’avaient pas participé à l’expérience du Front populaire.
C’est le cas de Jacques Doriot , ex-communiste et Marcel Déat à la tête de partis collaborationnistes et qui avait bénéficié pour le premier d’entre eux au moins d’une aide du patronat avant la guerre pour développer sa formation politique, le PPF (Parti populaire français). Laval lui-même, avait fait ses débuts politiques à gauche certes mais s’en était éloigné graduellement bien avant la seconde guerre mondiale du fait de son mariage avec une riche héritière liée à une famille d’entrepreneur. Reste le cas de Mitterrand qui lorsqu’il a été décoré de la Francisque à son retour de captivité était maréchaliste et nullement socialiste, son basculement à gauche s’étant fait progressivement sous l’influence de sa femme et de sa belle famille vers la fin de la guerre et plus tard du fait de ses ambitions politiques, par opposition à la droite qui a dominé la vie politique de notre pays de la fin des années 50 au début des années 80 ou par opportunisme jugeront certains. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas en tant qu’homme de gauche qu’il a été décoré sous Vichy.
La quatrième catégorie de personnes sur lesquels s’est appuyé le gouvernement de Pétain ce sont les hauts fonctionnaires. Dans la préfectorale un certain nombre d’entre eux étaient de sensibilité radical socialiste, c’est à dire rose pâle, ne disait-on pas à l’époque que les radicaux avaient le coeur à gauche, mais le portefeuille à droite et dans la magistrature les juges avaient en très grande majorité des opinions de droite et ne s’étaient pas opposés à la politique de Vichy; l’émergence au sein de la magistrature de juges ayant une sensibilité de gauche qui même aujourd’hui ne sont pas majoritaires chez les magistrats remonte seulement à la fin des années 1970 et au début des années 1980 et n’influait pas dans les années 1940 les instances judiciaires.
Quant à la politique suivie par Vichy, personne ne peut, sauf malhonnêteté intellectuelle, la considérer comme une politique de gauche, ni même de droite modérée d’ailleurs. Elle s’inspirait dans les faits des idées de la droite non républicaine de l’entre deux guerres et du régime de parti unique mis en place par Salazar au Portugal. N’oublions pas non plus que le gouvernement de Vichy avait inculpé les dirigeants du Front populaire et leur avait fait un procès.
Pour toutes ces raisons on ne peut sérieusement considérer le régime de Vichy comme une excroissance de la gauche.
De la même façon la Résistance ne saurait être étiquetée de gauche ou de droite et l’on trouvait à Londres auprès du Général de Gaulle, des anciens de l’Action française et de la Cagoule (mouvement d’extrême droite radical des années 30) mais aussi des radicaux ou des socialistes. Il en va de même pour les anonymes qui ont servi la France libre ou la résistance intérieure, marins pêcheurs bretons partis de l’île de Sein et qui devaient probablement être de droite et cheminots socialistes ou communistes.
Souvent aussi des rédacteurs de Riposte Laïque font le lien entre le mouvement socialiste et l’émergence dans l’Europe des années 1930 du fascisme en Italie et du nazisme en Allemagne. Soyons clairs sur ce point. Si Gérard Brazon a raison de rappeler que Mussolini avant de fonder le parti fasciste était membre du parti socialiste italien à l’époque très ancré à gauche il s’en était séparé pendant la Première guerre mondiale car il souhaitait l’entrée de son pays dans la guerre alors que ses camarades socialistes étaient généralement pacifistes. Dès la fondation de son mouvement dans les années 20 les faisceaux fascistes s’opposaient violemment aux forces de gauche en Italie, notamment en brisant les grèves notamment d’ouvriers agricoles pour le compte de grands propriétaires fonciers.
En outre le mouvement fasciste avait comme idéologie l’exaltation de l’Italie en prenant comme modèle l’ancien empire romain et avec des visées expansionnistes tant en Europe que sur le continent africain. Le fascisme naissant rejetait donc l’internationalisme des formations de gauche, même s’il partageait avec les partis communistes apparus sur la lancée de la révolution russe une aversion commune pour les régimes démocratiques parlementaires.
En conclusion, si les régimes fasciste et nazi sont la continuation des idées socialistes on voit mal pourquoi la Cofindustria, le patronat italien, avait accompagné l’arrivée au pouvoir de Mussolini ni pourquoi les grands industriels allemands s’étaient réunis au Park Hotel de de Dusseldorf en 1932 pour écouter Hitler, ni comment de nombreuses entreprises américaines, très hostiles à tout ce qui s’apparente de près ou de loin au socialisme ont soutenu l’effort de réarmement allemand dans les années 30.
Rigdebert Rinocero