Riposte laïque : Isabelle Lévy, vous venez de publier, aux Presses de la Renaissance, un ouvrage qui fait le point, comme son titre l’indique, sur les “Menaces religieuses sur l’hôpital”. Pourriez-vous préciser à nos lecteurs comment vous est venue l’idée de ce livre et quelle est l’origine des nombreux exemples que vous y évoquez ?
Isabelle Lévy : Conférencière – formatrice spécialisée dans les rites, cultures et religions face aux questions autour du soin, j’interviens depuis bientôt quinze années auprès des personnels de santé (médecins, infirmiers, sages-femmes, diététiciennes, kinésithérapeutes, aides-soignants…) dans le cadre de sessions de formation (continue et initiale) pour aborder la question délicate : comment prendre en charge un patient dans le respect de sa culture et de ses croyances mais dans les strictes limites de la législation française et de la règlementation hospitalière ? Parallèlement, j’ai publié de nombreux ouvrages autour de cette passionnante thématique (cf. www.levyisabelle.net).
Dans « La religion à l’hôpital » (Presses de la Renaissance), publié en 2044, je n’avais pas hésité à décrire la dangerosité des religions sur le terrain hospitalier. Plus exactement, l’interprétation erronée des textes sacrés par certains aussi bien du côté des usagers que du côté des personnels. Mes révélations sont restées sans écho auprès des directeurs d’établissements, chefs de service, cadres de santé… Il en fut de même de mes envois de livres et de courriers aux plus hauts responsables politiques de tous les partis.
Avisés de l’existence de ces comportements illicites et dangereux, certains m’ont fait envoyer une lettre type en remerciement, tous sont restés indolents et sans proposition concrète en retour. Lors d’interviews par des journalistes de la presse nationale et professionnelle, j’ai insisté sur l’aggravation de la situation depuis 2001. Mes prises de position dans les médias sont restées sans écho sur le terrain hospitalier comme dans les sphères du pouvoir. Citoyenne, j’ai rencontré de nombreuses personnalités politiques et je leur ai fait part de mon inquiétude grandissante. Elles ont toutes montré un certain intérêt lors de nos échanges officiels ou impromptus. Ensuite ? Trois petits tours et puis elles s’en sont allées vers d’autres dossiers plus prestigieux pour leur carrière, surtout moins périlleux et délicats.
Toutes, sans exception, ont adopté l’attitude de ces trois singes asiatiques bien connus : le premier refuse de voir, le deuxième d’entendre et le troisième de parler… Je le rappelle : ces comportements irresponsables sont ceux adoptés par des élus du peuple. Aucun d’eux n’a voulu réagir face à ce constat effroyable et cependant véridique. Je refuse néanmoins de rester muette au risque d’être un jour accusée de complicité passive. C’est pourquoi dans mon dernier ouvrage « Menaces religieuses sur l’hôpital » (Presses de la Renaissance), je témoigne des faits qui perdurent depuis des années. Si les politiques et le grand public décident de ne pas réagir et que la situation s’aggrave plus encore, ils ne pourront pas dire : nous ne savions pas.
Riposte laïque : De nombreux faits divers ont mis en avant la difficulté, pour le personnel masculin soignant, de faire son métier face à l’agressivité de maris n’acceptant pas qu’un autre homme touche leur femme, fût-ce pour la soigner. Confirmez-vous des difficultés de cet ordre et pouvez-vous nous dire si la situation s’améliore ou empire au fil des années ? Comment le gouvernement, qui va débattre sur laïcité et islam le 5 avril, pourrait-il sortir les équipes soignantes et les directions d’hôpital de cette situation intenable ?
Isabelle Lévy : Le respect de la pudeur est la morale de toutes les religions ! Est-ce une raison pour que des femmes s’interdisent des soins vitaux parce que leurs époux sont plus attachés au respect de leur pudeur qu’à leur santé ? Certainement pas ! Une telle attitude est souvent suicidaire, voire meurtrière. Elle est contraire aux exigences divines. Pour toutes les religions, y compris l’islam, peu importe le sexe des personnels (médecins et soignants) lorsque le ou la patiente consulte en urgence.
Mais qu’elles sont les prescriptions de la règlementation française à ce propos ?
Lorsque la composition des équipes de garde le permet, les demandes des patientes d’être prises en charge strictement par du personnel féminin sont toujours honorées aussi bien aux urgences, lors d’une simple consultation ou dans les services d’hospitalisation. Il en est de même lorsque des patients de sexe masculin demandent à être pris de préférence en charge par du personnel masculin. En effet, il faut souligner que la problématique ne se pose pas seulement avec les femmes mais aussi avec les hommes et même les enfants (peu importe leur âge). Lorsque le personnel le refuse aux patient(e)s, c’est que cela lui est impossible de lui accorder en l’état actuel des équipes disponibles et non pas qu’il soit raciste comme cela lui est souvent lancé en pleine figure (accompagné de quelques injures, cela va de paire).
Il est impossible à l’hôpital public de doubler chaque poste d’un homme et d’une femme. Au-delà de la question financière, il n’existe pas suffisamment de médecins et de soignants disponibles sur le marché du travail pour qu’il puisse se le permettre. De plus, toutes les ‘‘blouses blanches’’ ne se ressemblent pas : leurs savoirs et leurs compétences professionnels diffèrent. Par exemple, une infirmière ne peut pas effectuer un examen clinique à la place d’un médecin. Ce point est souvent difficilement compréhensible par une grande part des patients.
Que dire des patients, de tous âges et des deux sexes, s’opposant à tout soin d’hygiène pendant leur séjour ? Une douche par semaine en collectivité, est-ce acceptable ? Certainement pas, plus encore en cas de plaie, d’intervention chirurgicale… Et puis, qu’existe-t-il de mieux contre les odeurs nauséabondes dégagées par le pus, la sueur, le sang, les urines, les matières fécales… que de l’eau et du savon ? Que penser quand la population interdit aux étudiants d’apprendre leur future profession sur leur terrain de stage ? Dans les environs d’une grande métropole de province, une équipe de soins à domicile a opté pour une composition strictement féminine. Selon ses dirigeantes, les portes des appartements des cités ne s’ouvriraient pas aux hommes ! Une telle attitude est hors-la-loi sur plusieurs points : embauche sexiste des personnels, refus de formation aux étudiants masculins en soins infirmiers, impossible de satisfaire de temps à autre des hommes désirant être pris en charge par des personnels de leur sexe…
Le respect de la pudeur doit avoir ses limites : la protection sanitaire de tout individu qu’il soit homme, femme ou enfant. Croyant ou non. Malheureusement, des exemples à foison démontrent l’inverse, mon ouvrage en regorge. La situation empire d’années en années. Il nous faut réagir – vite – des vies humaines se mettent en danger au nom du divin qui n’a jamais rien demandé de la sorte. Que faire ? Appliquer la loi telle qu’elle est prescrite : les personnels de santé respecteront les croyances et les convictions des patients et de leurs familles. En retour, ceux-ci respecteront la composition des équipes, l’organisation des soins, les prescriptions médicales, les préceptes d’hygiène, les ordres relatifs à la sécurité, les repos des autres malades, etc. De plus, conformément à la législation, les équipes d’aumônerie des établissements de santé seront pluriconfessionnelles, à l’image des populations accueillies dans chaque établissement de santé. Sur le terrain, ce dernier point est rarement observé. C’est fort regrettable car les aumôniers de toutes les confessions pourraient jouer les intermédiaires entre les soignants et les soignés et les aider à rechercher ensemble la meilleure alliance entre prescription thérapeutique et préceptes religieux.
Riposte laïque : Par ailleurs, les laïques que nous sommes sont choqués de voir des médecins femmes porter le voile dans les hôpitaux. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi elles en ont (ou prennent) le droit alors que cela est interdit aux infirmières ou aides-soignantes ? Par ailleurs est-ce que le personnel vacataire ou auxiliaire est tenu à la même neutralité que le personnel titulaire de la fonction publique ?
Isabelle Lévy : Depuis 2007, dès leur apprentissage, les soignants sont sommés d’enlever tout signe religieux pendant leurs études (cours théoriques, cours de pratique, stages sur le terrain), il n’en est rien des médecins dans l’enceinte des universités où ils poursuivent leur formation. Néanmoins, s’ils devraient s’en défaire sur leur lieu d’exercice de la médecine, du moins pour les établissements de santé publics ou privés associés au service public, trop nombreux arborent des signes religieux en plein exercice de leurs fonctions et peu importe leur statut (externe, interne, attaché vacataire, etc.). Il faut dire que peu de directeurs d’établissement ou de chefs de servie osent les contraindre à le faire. L’ensemble des personnels de santé doit afficher une neutralité religieuse à laquelle à propos de laquelle aucun patient ne peut émettre aucun doute.
Et pourtant, des personnels observant le jeûne du Ramadan refusent de se mêler aux ateliers thérapeutiques de cuisine, de distribuer les repas aux patients et de les aider à manger, qui exigent de quitter leur poste plus tôt sous le prétexte qu’ils ne déjeunent pas (ce qui ne les empêchent pas de prendre des temps de repos), etc. ? Sans doute, devons-nous rappeler que, pendant le mois de Ramadan comme le reste de l’année, l’hôpital reste ouvert et que les hospitalisés sont en attente de soins ! Bien heureusement, tous les personnels musulmans ne réagissent pas ainsi, la majorité se rendent encore plus attentifs aux sollicitations des patients et de leurs familles pendant ce « mois généreux » comme ils aiment l’appeler.
Que penser de ceux qui exigent par le chantage que leur repos hebdomadaire leur soit accordé systématiquement chaque semaine par rapport à leur calendrier liturgique (vendredi pour les musulmans, samedi pour les juifs, dimanche pour les chrétiens) et non pas selon les exigences des services hospitaliers ? La majorité d’entre eux restent ouverts sept jours sur sept, aussi les repos les week-end sont accordés aux personnels par roulement. Vous y voyez une gestion équitable des absences, eux souhaitent des repos à la carte et peu importe les dysfonctionnements dont ils sont la cause.
Serez-vous effrayés si je vous confiais que certains médecins n’assurent pas leurs services pour ces mêmes raisons alors que leurs noms figurent sur la liste de garde !!!??? Cela concerne les trois religions, j’en témoigne. Inutile de tenter de les joindre, le téléphone portable est sur répondeur et son propriétaire est à la fête ou au culte. Aux infirmières de trouver un médecin à l’âme charitable qui volera à leur secours et à celui des patients en attente d’une prescription, d’un réajustement clinique, d’une urgence vitale !
Je le rappelle : nous sommes à l’hôpital, pas dans une cour d’école. Des vies y sont en sursis. On n’a pas le droit de jouer avec. Pour vous démontrer que je suis sans parti pris, j’avoue que des médecins respectant le shabbat ne se dérangent pas le samedi alors qu’ils sont de garde. D’autres, de cette même confession, restent sur place du vendredi soir au samedi soir (même lorsqu’ils sont d’astreinte à domicile) et répondent aux sollicitations des personnels, donnent les soins requis par l’état des patients, utilisent les appareils électriques nécessaires… Bref, ils font le travail pour lesquels ils sont rémunérés. De ceux là, consciencieux, nul ne s’en plaint puisqu’ils remplissent les responsabilités qu’ils ont acceptées. Ce n’est pas le cas des premiers. Si les soignants jonglent ces jours là avec les numéros de téléphone de leurs collègues médecins, nul n’ose aborder la question de front avec les personnels récalcitrants pour leurs abandons de poste réitérés plusieurs fois dans l’année. Et pourtant, elle est bien plus que vitale cette question pour des milliers d’hospitalisés !
Un seul mot d’ordre est à suivre : le personnel de santé doit laisser ‘‘sa religion au vestiaire’’ ou changer de métier. Un point, c’est tout. La loi ne se discute pas. Il devrait en être toujours ainsi, plus encore dans les institutions publiques. Plus encore dans les établissements de santé.
Riposte laïque : Par ailleurs des patients eux-mêmes mettraient leur vie en danger en voulant à tout prix se conformer à des pratiques religieuses, comme des femmes enceintes voulant à tout prix suivre le jeûne du ramadan. Est-ce une réalité ? Quelle solution préconisez-vous ?
Isabelle Lévy : Le jeûne du Ramadan n’est pas sans conséquence médicale. Voilà une évidence qu’il est bon de rappeler alors que certains musulmans n’hésitent pas à mettre en danger leur vie et celles d’autrui pour respecter ce pilier alors qu’Allah lui-même les en exempte : « Dieu désire pour l’être humain ni la difficulté, ni la contrainte. C’est pourquoi, nul ne peut refuser l’offre de soulagement proposée par Dieu lorsque son état de santé ne lui permet pas le jeûne (Coran 2, 185). » Et pourtant, les cas rencontrés à l’hôpital sont loin d’être anecdotiques ! Que de jeunes mamans allaitant leur nourrisson parallèlement à une observance stricte du jeûne avec la « bénédiction de l’imam » prétendent-elles ! Résultats pour quatre semaines de jeûne : courbe de croissance quasi nulle avec parfois perte de poids importante des nourrissons, fatigue extrême des jeunes mamans. Confrontées aux faits indéniables, elles choisissent le plus souvent de donner un supplément alimentaire à l’enfant (un ou deux biberons en journée) que d’arrêter le jeûne. Quant aux nourrissons, ils sont pesés et mesurés les semaines à venir par des soignants attentifs à leur bonne santé. Les cas s’avèrent plus difficiles à gérer lorsque les femmes enceintes, sous couvert d’arguments pseudo-religieux, refusent de cesser le jeûne au risque de compromettre leur grossesse en cours. Les rencontres d’un médecin obstétricien mesurant avec elles les risques pris par cette attitude irréfléchie et d’un imam conscient de la réelle mise en danger de la vie de l’enfant suffisent parfois pour leur faire entendre raison. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas. « Si c’est une bonne musulmane, elle tiendra ! » soutiennent les maris aux équipes médicales… Les personnes malades, infirmes ou âgées sont aussi exemptées de jeûner en raison de leur état de santé déficient. Par exemple, les diabétiques insulinodépendants, les ulcéreux, les épileptiques, les psychotiques, les insuffisants rénaux graves, etc.
La solution préconisée ? Leur faire entendre la raison de l’islam par la voie d’un aumônier musulman ou d’un imam. La parole d’une blouse blanche n’aura aucun poids face à la foi. Comme je vous le disais précédemment, la loi prévoit leur présence mais la réalité du terrain ne s’embarrasse pas de tel manque.
Riposte laïque : Des lecteurs nous ont plusieurs fois raconté leur indignation : rendant visite à un de leurs proches hospitalisé qui partageait sa chambre avec un autre patient, ils ont dû subir, dans leur chambre, la prière musulmane, ostensible et bruyante, du patient et celle des nombreuses personnes venues rendre visite à celui-ci. Or, en réponse à leurs protestations, le personnel soignant les aurait traités d’intolérants, voire de racistes. Que pensez-vous de cette situation ?
Isabelle Lévy : Le patient a le droit de prier dans sa chambre considérée comme son espace privé le temps de son hospitalisation. Il en est de même lorsque la chambre est partagée par plusieurs patients. Cela lui est proscrit dans les lieux communs. C’est un droit du patient, qu’il soit musulman ou de toute autre croyance. Néanmoins, ce faisant, il ne doit pas perturber le repos des autres malades et de leurs proches. Il ne s’agit pas là d’intolérance, ni de racisme, mais de savoir-vivre.
Riposte laïque : Il semble que, jusqu’à présent, les équipes aient déployé des trésors de patience et de dévouement pour soigner, malgré tout. La vie des patients est mise en danger par de telles pratiques. Vous tirez le signal d’alarme depuis 15 ans, dites-vous. Comment expliquez-vous que ni les dirigeants des hôpitaux ni les élus n’aient pris, jusqu’à ce jour, de mesure pour remédier au développement de pratiques religieuses à l’hôpital dommageables aux patients, au personnel soignant et au service public dans son ensemble ?
Isabelle Lévy : La question du respect de la laïcité à l’hôpital est bien plus que délicate. L’hôpital est un lieu de naissance, de maladie, de mort, d’angoisse… La vie, en somme.
Propos recueillis par Christine Tasin