J’ai vu la série “Tapie” sur Netflix

Près de deux ans après son enterrement en grande pompe à Marseille – singeant presque le cortège funéraire accompagnant la dépouille d’Alexandre le Grand, comme pour être raccord avec l’exubérance du personnage ! –, Bernard Tapie vient d’avoir les honneurs de la fiction à travers une agréable série diffusée sur Netflix et dont je me propose de vous parler.

Notre époque est ainsi, qui honore des Mark Zuckerberg (The Social Network, de David Fincher), Steve Jobs (Steve Jobs, de Danny Boyle) ou Bernard Tapie lorsque, du temps de ma jeunesse, le cinéma racontait plus volontiers la vie d’un Jack LaMotta (Raging Bull, de Martin Scorsese) ou d’un empereur chinois (Le Dernier Empereur, de Bernardo Bertolucci).

Soyons honnêtes, il existe encore des « biopics » (comme on dit de nos jours) évoquant des destins autres que ceux des faiseurs d’argent. Je pense notamment à l’exceptionnel film J. Edgar, de Clint Eastwood, consacré au sinistre et non moins talentueux fondateurs du FBI, J. Edgar Hoover, qui avait des dossiers sur tout le monde y compris le diable !

Que vaut donc la série Tapie ? C’est une ode à un personnage, certes haut en couleur, mais avant tout un mégalomane qui s’est évertué à gravir les marches de la gloire en écrasant à peu près tout sur son passage. Avec le sourire, me direz-vous. Et là-dessus, la série édulcore un tantinet le réel, semblant souvent mettre sous le tapis ceux que Tapie a mis sur le carreau. Toutefois, la série ne saurait faire l’impasse sur des épisodes biographiques majeurs comme celle concernant l’entreprise Wonder, rachetée par l’homme d’affaires en 1984 avant de faire tomber dans son escarcelle la société Saft-Mazda et fonder un grand groupe qui ne sera qu’un fétu de paille. Car, contrairement, à Rockefeller, Tapie n’a pas vraiment le génie des affaires, plutôt celui de l’entourloupe, qu’il pratique avec un talent inouï.

La série a d’ailleurs choisi son camp, qui le présente sous les traits d’un homme débonnaire, bon copain, bon père et bon mari, tout en étant agréablement infantile. Les zones d’ombre sont bien sûr traitées, mais immédiatement évincées par des scènes idéalisées et proprettes décrivant la vie intime de Tapie.

Tapie est assez justement incarné par le comédien Laurent Laffitte, lui-même accompagné par la fort jolie Joséphine Japy dans le rôle de Dominique Tapie et dont le talent ne risque pas de faire de l’ombre à Isabelle Adjani ou, plus près de nous, Mélanie Laurent. Dit autrement, elle a une belle plastique. Hélas, comme le plastique fond au contact de la chaleur, Joséphine préfère s’économiser en ne forçant pas trop sur son jeu, qui pourrait la brûler…

Je l’ai écrit ici-même à l’occasion de sa mort, je ne peux me résigner à détester Bernard Tapie, pas plus que son adversaire télévisuel de jadis ne l’a pu. Je veux parler de Jean-Marie Le Pen qui, apprenant son décès, déclara avec respect : « Nous n’étions pas du même bord. Personnellement, j’étais dans l’opposition. Je l’ai rencontré à plusieurs reprises. C’était un battant, il s’était battu face à la maladie de façon très courageuse. » Souvenons-nous que le Menhir considéra Chirac comme un ennemi, tout en rendant à ce dernier l’hommage d’usage : « Mort, même l’ennemi a droit au respect. »

Pourquoi une telle différence de traitement ? Sans doute que, malgré ses nombreuses tares, Bernard Tapie a su se battre, ce qui a attiré le respect du combattant Jean-Marie Le Pen, certes d’une autre trempe. Et sans doute aussi que les rapports entre les deux hommes n’étaient pas ce que les médias ont voulu nous faire croire, qui sait ?

Dans tous les cas, Tapie n’était pas Mitterrand, lequel, pour parvenir à ses fins, avait recours aux pires expédients, pourvu que sa gloire n’en fût pas trop éclaboussée. Un Mitterrand qui n’hésitera pas à lâcher Tapie pour une erreur fâcheuse mais non criminelle de sa part, tandis qu’il frayait volontiers avec un cador de l’ordure collaborationniste : René Bousquet. Mitterrand avait aussi une culture du secret menaçante : Jean-Edern Hallier, voulant révéler l’existence de Mazarine, en fit les frais. Les quelque scènes avec Mitterrand sont à ce propos très réussies dans la série, et l’on y décèle bien sa froideur de serpent politique.

La série Tapie, surtout avec la multiplication des ellipses narratives, propose un ensemble de tableaux plutôt que le déroulé linéaire de la vie de l’intéressé, ce qui permet d’édulcorer le personnage et offre un résultat très divertissant, il faut bien l’admettre.

Dans cet ensemble léger, il est cependant une scène édifiante qui, à elle seule, explique tout le personnage Tapie, cet homme pressé que n’aurait pas renié Edouard Molinaro (réalisateur de L’Homme pressé, incarné alors par un Alain Delon au sommet).

Cette scène se déroule dans le bureau du procureur Éric de Montgolfier, qui instruisit le fameux dossier OM-VA, l’affaire de corruption de joueurs de l’équipe de football de Valenciennes soudoyés afin qu’ils laissent gagner l’Olympique de Marseille, qui s’assurait ainsi le titre de champion de France, avant d’aller disputer le match contre l’AC Milan et remporter la Coupe d’Europe des Clubs Champions. Affaire qui conduisit Tapie en prison pour quelques mois. Condamnation que je persiste à trouver très exagérée au vu de ceux qui sont passés entre les mailles du filet de la Justice pour bien pire que ça.

Dans ce face-à-face, Laurent Laffitte – même si très talentueux tout au long de la série – est totalement balayé par le jeu de l’acteur David Talbot, incarnant le procureur Montgolfier et offrant un exemple parfait de catharsis, au sens aristotélicien du terme, c’est-à-dire, comme l’explique très bien Philosophie Magazine, une « mise en scène du destin fatal du héros tragique [qui] provoque peur (phobos) et pitié (eleos), sentiments que l’on réprouve dans la réalité mais qui plaisent au théâtre ».

https://www.philomag.com/lexique/catharsis

Car cette rencontre au sommet résume à la fois Bernard Tapie tel qu’il est devenu et à la fois tel qu’il aurait pu être, dans un cadre clair-obscur particulièrement oppressant. Soudain, la série, jusque-là sympathique mais sans grande densité, prend une tout autre tournure. On assiste alors à une leçon non seulement de jeu mais encore de morale, la vraie, celle qui pourrait faire avancer plus droit le monde et qu’on raille volontiers, surtout quand on est de gauche. Un comble, puisque le vrai procureur de Montgolfier est une créature de gauche !

Leçon dans laquelle Talbot propose une définition aussi implacable que juste concernant le personnage Tapie : « C’est peut-être ce que je vous reprocherais le plus, à titre personnel bien entendu. Vous pouviez faire beaucoup plus et beaucoup mieux. Et voilà, vous avez choisi la magouille, la corruption, les bassesses. Vous auriez pu être un météore et vous n’avez été qu’une nébuleuse, monsieur Tapie. Vous avez vécu par l’image et vous périrez par l’image. »

Puis Tapie s’en va en prison et l’histoire s’arrête là…

L’autre histoire nous la connaissons, c’est une lente descente dans la médiocrité et l’auto-justification. Mais, en regardant en arrière, je me dis que Tapie a été plus stupide que méchant, trahi aussi par des faux amis. Sans doute parce que, de par ses origines modestes, il n’appartenait pas au sérail. C’est pourquoi je le détesterai toujours moins que d’autres de son camp qui, eux, ont sciemment assassiné la France. Ce sont eux les salauds, Monsieur Tapie, et pas nous, comme je l’écrivais à l’annonce de votre mort :

https://ripostelaique.com/mort-de-bernard-tapie-lhomme-qui-nous-traitait-de-salauds.html

Bilan : la série Tapie, si elle pèche souvent par excès de bienveillance à l’égard de son sujet, se rattrape à la toute fin, forcée de reconnaître qu’il y avait tout de même quelque chose de pourri dans le royaume de Bernard Tapie. N’en réaliser qu’un portrait favorable eût été chose délicate et malhonnête. Sachant que : Impossibilia nulla tenetur (à l’impossible nul n’est tenu)…

Charles Demassieux

 

 

 

 

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19 Commentaires

  1. J’ajouterai une remarque c’est que Tapis est arrivé en politique et business au moment des 35 heures qui ont condamné pas mal d’entreprises et la cinquième semaine de congé . Je me souviens de ces ouvriers qui pleuraient dans des émissions de radio car ils étaient licenciés , demandaient le partage du travail . A mon avis le travail ne se partage pas il se prend .

  2. Perso, je ne regarde pas cet infâme personnage qui pour 1 F symbolique ou trois fois rien rachetait des entreprises pour ensuite se vanter de les avoir sauvé alors que dans la réalité il avait viré comme des malpropres les 3/4 du personnel et les avait condamné au chômage. Une seule chose de juste, la roue à tournée pour lui alors qu’elle ne tourne pas pour d’autres saloperie qui font autant de mal voir bien pire. Je ne plains pas sa femme, elle a profité des bonnes choses un bon moment, c’est donc qu’elle était d’accord avec ce qu’il faisait !

  3. Tapie comme tout les autres, Attali, Macron, Hollande, S. Royal, Sarko, Mitterand, Seros 93 ans, etc, etc, etc la liste QUI CONTIENT LES NUISIBLES EST ENORME. Ces destructeurs pensent pouvoir toute leur vie vivre et faire tout ce qui leur plait, dont pour certain énormément de mal avec beaucoup de jouissance. Le seul soucis c’est QUE PERSONNE n’est éternel, que tôt ou tard arrive le moment où il va falloir FAIRE FACE à Dieu, le moment où celui ci va leur présenter L’ADDITTION. Et pour certains le moment se rapproche très vite !

  4. J’ai joué au golf avec Tapie dans une partie avec Balot-Léna qui était l’un de ses “amis” (tous deux crevés), même à ce jeu il arrivait à magouiller, ç’était dans ses gènes, on ne peut donc pas lui reprocher en fait, c’est comme le disiquilibri muzz, il tue, mais pour lui, c’est normal.

  5. Je n’ai pas non plus regardé cette série car je me doutais que ce serait sûrement à son avantage ,je ne pouvais pas le voir ,lui qui avait racheté des sociétés des clopinettes et promis aux employés de les garder puis les avait licenciés, donc pour moi cette série est sans intérêt et je plaint bien sa femme ruinée et endettée qui est logée paraît il par Borloo et qui s’est bien fait avoir ,et qui disait lors d’une interwiew que son mari atteint du cancer ,lui avait demandé de partir avec lui lorsque qu’il decederait ???

  6. Ben moi quand j’ai vu ça sur Netflix j’ai préféré regarder un navet pachtoune plutôt que cet énergumène , et je suis Marseillais et je l’ai vu à l’œuvre et de très près en fait il y avait TAPIE et le reste du monde.Que vous l’ayez aimer ne fait aucun doute mais nous en faire profiter je trouves cela quelque peu tendancieux.

  7. vivant ou mort un escroc reste un escroc; même ses assistés africains lui ont tapé sur la tronche

  8. Juste un bateleur qu’ils ont voulu rendre sympathique mais un escroc quand même qui a ruiné des ouvriers car ne connaissant rien aux affaires. La fin de la série est jouissive….

  9. J’ai toujours trouvé ce type glauque et répugnant. La seule fois où il m’a fait rire, c’est suite à son agression, lorsqu’il avait dit pitoyablement à ses agresseurs “Mais comment vous pouvez me faire ça, moi qui vous ai toujours défendus ?” Aucune fierté, aucune pudeur, rien que de la pleurnicherie, là il s’est montré tel qu’il était !

  10. Si laurent Lafitte parvient à le rendre plus sympathique que dans la réalité, il ne faut pas oublier que ce n’est pas un biopic rigoureux mais une fiction plus ou moins édulcorée qui retrace en partie les grandes lignes de la vie tumultueuse de l’autre escroc.
    Personnellement ça ne changera jamais rien à l’idée que j’avais de Tapie (personnage malsain) et au fait que ce mec en plus de nous avoir berlurer depuis la première heure, aura aussi été l’un de ceux qui a contribué à nous foutre dans la m€rde.

  11. https://m.youtube.com/watch?v=42q_C5EosFE Tapie est dans les oubliettes sauf pour tous ceux qui ont été vire de ses entreprises ? Il achète, licencie, revend ? Intelligent, trop de stéroïdes vu ses glandes surrénales, il aurait pu avoir un chemin honnête ? Espérons que ses gènes n’ont pas l’esprit de revanche car ça c’est très négatif et on a toujours le retour de mauvaises actions ?

  12. Quand une amie m’a parlée de “Tapie” (que je ne connaissais pas) je me suis demandé s’il s’agissait d’une étude pour savoir comment battre correctement un tapis empoussiéré… OK. L’avenir nous a démontré que les protégés du tapie (ces “chances pour la France”) l’ont sévèrement battu sans aucun remords… 😏 😄 😂 Et, évidemment le Tapie (truand de gôche) n’y a rien compris…

  13. Charles, bah moi, je me souviens que cette ordure, pour laquelle je n’ai pas de respect, mais passons, a tout fait pour favoriser l’invasion, et je n’ai pu que me réjouir qu’il ait, enfin, goûté à son tour, à l’enrichissement que nous autres, gueux, nous devons “goûter” et de plus en plus, de façon mortelle !!

    Je peux respecter un “ennemi” qui combat “à la loyale”, mais surement pas un ennemi qui se comporte comme un muzz, escroc, menteur, voleur, sauf qu’il n’a, effectivement, jamais tué directement quelqu’un, enfin, sur le plan psychologique, je n’en sais rien pour tout dire …

    Ce qui ne m’empêche pas de considérer son agression comme dégueulasse, dégueulasse mais “méritée” sur le principe …

    Quand on pisse à contre-vent avec un parapluie, il faut s’attendre à être arrosé à un moment ou à un autre, et c’est ce qui lui est arrivé …

    • On est d’accords, mais dans l’échelle de la saloperie,il y en a qui le depassent largement, à commencer par Bernard Arnault…

    • Je connais un Charles d’habitude plus inspiré dans ses excellents articles :-)) celui-ci n’étant pas, et de loin, à mon sens, le plus intéressant …

    • Je ne suis pas écrivain. Pour le reste, c’est votre avis…

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