Je suis resté un Chouan  

« Le principe royal ne repose pas sur la foi que l’on a ou que l’on n’a pas en lui. Il importe peu qu’on y croie ou que l’on n’y croie plus, et que les incrédules soient innombrables. Cela ne peut se peser. Dieu est Dieu, et le Roi est le Roi. »  (Jean Raspail, 1925-2020)

 

Allez savoir pourquoi, dès qu’arrivent les frimas et les pluies de décembre, j’ai une pensée pour les martyrs chouans, principalement ceux de la bataille de Savenay, le 23 décembre 1793.

Savenay est la dernière bataille de la « virée de Galerne ».

Elle s’est soldée par l’anéantissement de l’armée catholique et royale de Vendée militaire.

J’ai souvent écrit que la France avait perdu son âme en détruisant le Trône et l’Autel.

On m’a demandé moult fois d’expliciter mon propos, ce qui n’est jamais chose facile en quelques lignes, ni même en quelques pages, mais je vais encore essayer.

Disons, en préambule, que je reste intimement convaincu que le Français, qui a pourtant guillotiné le roi Louis XVI,  est  foncièrement « césariste » : il a besoin d’admirer son (ou ses) chef(s).

Il respecte l’ordre, un pouvoir fort, une gouvernance autoritaire.  Et il appelle de ses vœux un homme providentiel, un « César », qui viendrait remettre enfin un peu d’ordre dans la pétaudière ingouvernable qu’est devenu son pays livré aux exactions  d’une faune allogène incontrôlable.

Cependant, depuis 1789, la France n’est plus, c’est un fait, « la fille aînée de l’Église » mais une dame de petite vertu. Elle tapine comme une fille à soldats.

Elle a besoin de bruits de bottes et elle en redemande, la garce !

Mort de Louis XVI, c’est un général – Bonaparte – qui la sort du « merdier » révolutionnaire. Bonaparte devient Napoléon. Il s’ensuit quinze années de furie. 1815, la France récupère mais la garce réclame à nouveau bottes et cravache. Ce sera le neveu, Napoléon III qui va lui organiser une belle guerre inutile et une défaite cuisante à Sedan. Puis il lui faudra encore un général ; ce sera Mac-Mahon. La chienne demande encore de la culotte de peau. C’est le général Boulanger, celui qui mourut « comme un sous-lieutenant », qui rate son élection de quelques voix. Pendant la Grande Guerre, elle va aduler Joffre, Foch et Pétain, pour se doter ensuite d’une chambre « bleu horizon », des civils plus cocardiers que les militaires.

Pendant l’entre-deux guerres, elle se serait bien donnée au colonel de La Rocque si ce dernier avait voulu d’elle. Après la déculottée de juin 1940, elle s’offre, le cul encore nu, à un vieux maréchal de France, Philippe Pétain. Elle flirte avec le général Giraud avant de s’amouracher tardivement – après le débarquement du 6 juin 1944 – d’un général à titre temporaire, de Gaulle.

L’Indochine s’embrase, elle se rassure en sachant que le conflit sera cogéré par un moine-soldat, l’amiral Thierry d’Argenlieu et le généralissime à la promotion plus rapide que l’avancée de ses chars, l’ex-capitaine Philippe de Hautecloque, devenu le général Leclerc.

Le 13 mai 1958, elle compte sur « l’homme du 18 juin ». Ce même général de Gaulle qui, selon sa légende, l’a sauvée de l’humiliation de l’armistice en juin 40, puis l’a libérée en 1945.

Si le putsch d’avril 1961 avait réussi, elle se serait jetée dans les bras du général Salan, auquel elle aurait trouvé des qualités républicaines (qualités qu’il avait indéniablement !).

En mai 1968, elle s’est sentie rassurée quand de Gaulle, paniqué devant l’ampleur de la chienlit, s’est réfugié à Baden-Baden auprès de Massu, encore un général !

En avril 2002, devant  la présence de Le Pen au second  tour de l’élection présidentielle, j’ai vu le moment où, dans un sursaut républicain, elle allait en appeler à Bigeard. Après tout, il avait encore « bon pied, bon œil », un peu comme le maréchal Pétain en juin 1940…

Mais il ne suffit pas, hélas, d’un pouvoir fort pour faire (ou refaire) une nation forte !

Pour moi, la « France éternelle » a entamé son déclin, sa longue descente aux enfers, en détruisant « le divin et le sacré », avec la révolution de 1789. Elle a bien eu quelques soubresauts salutaires : le Premier Empire (au début !) qui a, entre autres, rouvert les églises, le Second Empire, la III° République, surtout, pour son épopée coloniale.

Mais un pays qui n’a plus d’idéal, plus de croyance, plus de religion (« l’opium du peuple » disait Lénine) n’a plus d’ossature, plus de colonne vertébrale, et perd son identité en même temps que sa fierté. Car le nationalisme est un sentiment qui mérite le respect.

Notre civilisation a atteint un tel degré de dégénérescence, de lâcheté, d’abandon, de veulerie, en deux mots de « pourriture morale » qu’on est en droit d’espérer, un jour, un retour de balancier. Mais ne nous leurrons pas, le redressement de notre pays devra d’abord être moral avant d’être économique et/ou social : Macron n’a toujours pas compris que la France est une nation, pas un « Land » européen ou une start-up. On peut d’ailleurs en dire autant de ses prédécesseurs.

Il y a quelques années, un ministricule osait affirmer que  « La France n’est ni un peuple, ni une langue, ni un territoire, ni une religion, c’est un conglomérat de peuples qui veulent vivre ensemble. Il n’y a pas de Français de souche. Il n’y a qu’une France du métissage… » (Propos tenus par Éric Besson, à La Courneuve en janvier 2010). Ces inepties ont été énoncées lors d’un débat sur l’ « identité nationale ». Tout était dit et le débat était clos avant même d’être ouvert !

Je m’en tiendrai donc, aujourd’hui, à un développement historique : le 21 janvier 1793, rompant avec presque deux millénaires de tradition monarchique, la France guillotinait son roi, rompant ainsi le lien sacré entre Dieu et le roi, puis entre le roi et son peuple. C’est davantage au monarque « de droit divin » et à la religion catholique que s’attaquaient les esprits instruits en loges maçonniques (1). Les auteurs des basses œuvres, les braillards avinés, ceux qui rêvaient d’égorger « le gros Capet et sa putain », ceux qui promenaient la tête ensanglantée de la duchesse de Lamballe sous le nez de son amie Marie-Antoinette, étaient instrumentalisés par des bourgeois, des publicistes et des avocats francs-maçons qui avaient su attiser leur haine du Trône et de l’Autel.

Tout ceci avait commencé avec la Constitution civile du clergé et ses « curés-jureurs », le 12 juillet 1790. Puis le mouvement s’est accéléré jusqu’à la mort du « gros Capet » qui n’était déjà plus monarque de droit divin depuis des mois. En Vendée éclatait alors une guerre terrible.

Le point de départ de l’insurrection vendéenne n’est pas, comme on le lit trop souvent, la seule mort de Louis XVI. C’est la conjonction de quatre facteurs : la Constitution civile du clergé, la décapitation du roi, la conscription et… la faim, qui ont poussé les Vendéens à prendre les armes.

Au départ, l’émeute était essentiellement populaire, ou plus exactement, paysanne, mais très rapidement les Vendéens allèrent demander à leurs seigneurs de prendre le commandement des troupes. Il faut, là encore, rectifier un cliché qui a la vie dure : l’insurrection est partie de la base et non d’une aristocratie royaliste en mal de revanche. Ses premiers chefs étaient des roturiers : un garde chasse, Stofflet dit « Mistouflet » ; un maçon, Cathelineau ; Jean Cottereau, dit « Jean Chouan », était braconnier et faux-saunier (2). Les aristocrates sont arrivés après, simplement parce qu’ils connaissaient le métier des armes et savaient commander. «  Nos Messieurs se sont bien battus » disait la troupe quand leurs chefs les avaient menés à la victoire…

Fin 1793, pourtant, « l’armée catholique et royale » échoue devant Angers mais continue la lutte avec le sursaut du désespoir. Pourchassés par les Bleus, les Vendéens se réfugient dans la ville du Mans. Ils sont 40 000, surpris le 12 décembre par les républicains commandés par Westermann, Marceau, Kleber. Ils résistent pendant 14 heures, sous une pluie glaciale. On s’égorge, on s’éventre, on s’entretue, on se fusille à bout portant dans les ruelles ensanglantées. Un officier bleu déclare :

«  Parmi les cadavres, beaucoup de femmes nues que les soldats ont dépouillées et qu’ils ont tuées après les avoir violées. » Ce qui survit et arrive à s’échapper est massacré à Savenay après 10 jours de fuite éperdue et de combat. Westermann, très fier de lui, pourra faire à la Convention cette envolée célèbre : «  Il n’y a plus de Vendée ; elle est morte sous notre sabre libre avec ses vieillards, ses femmes, ses enfants et ses chevaux… Je n’ai rien à me reprocher, j’ai tout exterminé... » (3).

Sa tête finira dans le panier du « rasoir national » juste après celle de Danton, juste avant celle de Robespierre, car il était jugé trop modéré par le Comité de Salut Public ; on croit rêver !

Après la défaite de Savenay, des commissions militaires bleues parcourent le pays : on fusille sans jugement. À Nantes, sous l’autorité de Carrier, on coule des pontons sur lesquels sont entassés des prêtres réfractaires et des « brigands ». On dénombre plus de 5 000 victimes.

Mais ce traitement est presque humain : ailleurs, des femmes sont fondues vives pour en tirer une graisse médicinale. Près d’Angers fonctionne une tannerie de peaux de Vendéens. Il est bien vu, chez certains officiers républicains, de porter une culotte en peau de Vendéen (4). On pratique aussi – ça amuse beaucoup la troupe – les « mariages républicains » : ce supplice consiste à noyer un couple, attachés nus l’un à l’autre et jetés dans la Loire.

Quand Carrier est rappelé à Paris, la terreur est appliquée par le général Turreau de Linières. Il crée 12 « colonnes infernales » qui font de la Vendée « un monceau de cendres arrosé de sang ».

L’historien Max Gallo, pourtant bon républicain mais qui, dans ses livres, fait preuve d’une grande honnêteté intellectuelle, pense que les pertes vendéennes seraient de l’ordre de 120 000 morts (5) mais Jean-François Chiappe (6), Reynald Secher (7) et quelques autres sont assez unanimes sur le chiffre de 300 000 morts. Rapportés à la population de la Vendée d’alors, on peut légitimement qualifier ces massacres de « génocide vendéen ». Gracchus Babeuf parlera, lui, de « populicide ».

De nos jours, pas un historien ne sait (ou ne veut ?) chiffrer précisément le coût en vies humaines de la Révolution, de la Terreur, de ses guerres, ni même des quelques contre-révolutions – les « Terreurs blanches » – qui sévirent un peu partout. On chiffre généralement le bilan entre 30 000 et… 1 million de victimes. La fourchette est large !!! Mais de nombreux auteurs y voient « un mal nécessaire  pour régénérer la nation » : c’est la même argutie abjecte que celle de Staline, de Mao Zedong, de Pol Pot et ses « Khmers rouges » au Cambodge. Les criminels légitiment leurs crimes !

Pourquoi de telles horreurs ont-elles disparu des manuels d’histoire ? A-t-on peur que nos enfants, instruits de ces choses-là (alors qu’on s’ingénie, depuis Jules Ferry,  à les intoxiquer) ne se prennent à regretter l’époque ou des monarques de droit divin ont fait la grandeur de leur pays ?

Il n’est pas dans mon intention d’idéaliser, de glorifier ou de magnifier l’Ancien Régime, mais de remettre l’histoire à sa juste place : la France est née avec le baptême de Clovis.

Dans sa longue histoire, tout ne fut pas idyllique, loin s’en faut !  Mais elle a amorcé son déclin en tuant le Trône et l’Autel.

 Eric  de Verdelhan

 

1)- La République a choisi  comme devise « Liberté. Égalité. Fraternité. », la devise du GODF, ce n’est pas un hasard.

2)- Celui qui vit du trafic du sel. On écrit parfois « faux saulnier ».

3)- Et certains trouvent  excessif de parler de « génocide vendéen » !!!

4)- Comme quoi les nazis, qui récupéraient la graisse, les cheveux et les prothèses dentaires de leurs victimes, n’avaient, hélas, rien inventé. Trois tanneries de peaux humaines ont fonctionné durant cette période tragique.

5)- «  Aux armes citoyens » de Max Gallo; XO éditions ; 2009.

6)- «  La Vendée en armes » de Jean-François Chiappe; Perrin ; 1982, série de 3 livres : l’une des meilleures analyses de ce conflit.

7)- « Vendée Vengé» de Reynald Secher; PUF ; 1986.

Le 8 décembre 2021