Journée d’hommage aux harkis : nous leur devons bien ça !

                « Dans un premier temps, il faut leur faire bonne figure pour ne pas provoquer leur départ en métropole, ce qui leur permettrait d’échapper à notre justice. Ces chiens ne trouveront le repos que dans la tombe ».                                                                            (Houari Boumediene, au sujet des harkis).

 

Tous les ans, je me fais un devoir de rendre hommage aux harkis ; je leur ai consacré un long chapitre dans l’un de mes livres (1). Il me semble que la France leur doit bien ça.  À ce propos, je dois reconnaître à Emmanuel Macron un certain talent dans l’art de ratisser large : lécher les babouches d’Abdelmadjid Tebboune qui ne cache pas sa détestation de notre pays ; charger le très gauchiste Benjamin Stora d’un rapport – forcément engagé – sur l’Algérie ; qualifier la colonisation de ce pays de « crime contre l’humanité » ; faire repentance auprès de la veuve de Maurice Audin (et salir l’armée française)… « et en même temps »…  demander pardon aux harkis.

Les jeunes générations ne savent rien du drame des harkis, je vais donc en parler :

Au lendemain des accords d’Évian, c’est 100 à 150 000 harkis (en comptant les membres de leurs familles) qu’on a livré désarmés aux égorgeurs du FLN. Quelques officiers courageux ont réussi, avec des complicités sur place, à en rapatrier en métropole. Quelques-uns sont arrivés à gagner la France par leurs propres moyens. Qu’à cela ne tienne, on les  rembarque en direction de l’Algérie, ou les attendent la torture et la mort. Ceux qui parviennent à rester en métropole seront parqués dans des camps, comme des parias. Voilà comment notre gouvernement de l’époque remerciait ceux qui lui avaient été fidèles, tandis que, dans le même temps, il déroulait  le tapis rouge aux  fellaghas.

Le 30 août 2001, deux avocats français déposaient une plainte contre X  pour « crimes contre l’humanité ». Cette plainte visait les Républiques algérienne et française pour leur comportement à l’égard des harkis. Le dossier était solide et la plainte fondée.

26 jours plus tard, une journée d’hommage national aux Harkis était organisée et le président Chirac  recevait leurs représentants à l’Élysée. Mais qui étaient ces oubliés de l’histoire ?

Le terme de « harkis » désigne, de nos jours, tous les combattants musulmans, réguliers ou supplétifs, de l’armée française en Algérie. Au maximum de leurs effectifs, en janvier-février 1961, ces soldats étaient répartis en sept catégories : les appelés du contingent (60 000 hommes), les engagés (28 000 hommes), les groupes mobiles de sécurité (7 500 hommes), les moghaznis (19 500 hommes), les unités de réserve  dites « Aassès » ; (3 000 hommes), les groupes d’auto-défense (62 000 hommes), et les harkis proprement dits (63 000 hommes).

Les harkis, curieusement, ont une origine civile : c’est l’ethnologue Jean Servier qui organise, dès 1954, la première harka, pour défendre la petite ville d’Arris dans les Aurès. Les harkas  reçurent un statut militaire le 8 février 1956 mais la condition de harki ne sera fixée que le 7 novembre 1961 : c’est un supplétif sous contrat, engagé au mois ou à la journée, recevant une solde modique.

Lors des préparatifs des accords d’Évian, le ministre des Armées, Pierre Mesmer, tenait à rassurer les Algériens servant dans l’armée française sur, je cite : « leur avenir et la volonté de la France de ne les abandonner en aucune manière ». La suite est connue : on désarme les harkis.

Dans un premier temps, le pouvoir algérien alterne promesses d’amnistie et menaces. Puis les sévices et assassinats commencent. Les harkis sont abattus en masse, lors des deux principales vagues de répression en été et en automne 1962. Quelquefois par unité entière, par village entier, par famille entière, les femmes et les enfants n’étant pas épargnés. Les supplices qui précèdent la mort sont d’une cruauté inouïe et peuvent durer plusieurs heures, voire plusieurs jours : corps ébouillantés, dépecés, enterrés ou brûlés vifs, énucléations, membres découpés en lanières et salés. Des anciens combattants sont contraints d’avaler leurs médailles avant d’être brûlés vifs dans le drapeau français… Selon des témoignages rapportés par Camille Brière :

« Certains harkis furent crucifiés sur des portes, les yeux crevés, le nez et les oreilles coupés, la langue arrachée, systématiquement émasculés… D’autres furent dépecés vivants à la tenaille, leur chair palpitante jetée aux chiens… Quant aux familles : des vieillards et des infirmes étaient égorgés, des femmes violées puis éventrées, des nourrissons avaient la tête écrasée contre les murs sous les yeux de leur mère… »

Dans un compte-rendu destiné à sa hiérarchie, le sous-préfet d’Akbou, en Kabylie, dresse de façon précise et détaillée la chronique macabre des exactions – supplices, assassinats, viols collectifs, enfermement dans des camps – subies par les harkis et leurs familles dans sa circonscription après le cessez-le-feu du 19 mars 1962 jusqu’à la fin décembre 1962. Il note parmi les victimes « la proportion non négligeable de civils qui est de l’ordre d’un tiers, constitué d’élus, de chefs de villages, d’anciens combattants… ». S’agissant d’un rapport officiel, il ne peut être taxé d’exagération.

L’aspect cathartique des massacres a été souligné par Mohand Hamoumou :

« La plupart furent torturés publiquement, longuement, avec un luxe de raffinement dans l’horreur. La mort était une délivrance, d’où la recherche de morts lentes pour faire durer l’expiation. Le supplice est destiné à rendre infâme celui qui en est la victime… »

D’autres harkis sont enfermés dans des camps, dans lesquels la Croix Rouge recensera, en 1965, 13 500 personnes. Certains seront employés à des tâches dangereuses telles le déminage, à mains nues, avec une jambe coupée préventivement pour qu’ils ne puissent pas s’échapper.

D’autres sont enlevés : ce sont des milliers de harkis (et de « pieds-noirs ») qui disparaissent après le 19 mars 1962, puis au cours des deux vagues de répression qui interviennent en 1962, et de celles qui interviendront plus tard, jusqu’en… 1966, sans que les autorités françaises, pourtant informées des lieux de leur détention, ne s’en inquiètent.

Dans un rapport de mai 1962, monsieur de Saint-Salvy, contrôleur général, a pu écrire :

« Les crimes de guerre commis en Algérie depuis le 19 mars 1962 sont sans précédent depuis la dernière guerre mondiale, dépassant tout ce qui avait pu être constaté en Afrique noire » (2).

Dès le 3 avril 1962, juste après les accords d’Évian, de Gaulle déclarait à Alain Peyrefitte :

« Il faut se débarrasser sans délai de ce magma  d’auxiliaires qui n’ont jamais servi à rien » et il donna l’ordre de les désarmer dans les plus brefs délais. Le 16 mai suivant, le général de Brébisson, obéissant servilement à son ministre, Pierre Messmer, interdisait à ses troupes de procéder « à des opérations de recherches dans les douars de harkis ou de leurs familles. »

On disserte encore aujourd’hui sur le nombre des victimes. De l’aveu même de Ben Bella, la population visée représentait 500 000 personnes. Si l’on s’en tient aux confidences de Krim Belkacem à Jean Daniel, sur les 220 000 musulmans abattus par l’ALN, « en dehors des combats », 150 000 auraient été exécutés après le cessez-le-feu.

Quelques auteurs font remarquer que, lors des accords d’Évian, il ne restait que  42 000 harkis sous les armes. C’est vrai, mais les actes d’extermination ont duré plus de 10 mois. Ils  ont frappé des civils, des harkis démobilisés, leurs femmes, leurs enfants, parfois leurs parents ou leurs cousins. Le chiffre retenu par les gens sérieux et crédibles sera de 150 000 victimes et il s’appuie  sur différentes estimations rappelées notamment par l’historien Abd-El-Azziz Meliani ; sur celle du Service historique des armées qui, dans une note officielle en 1974, estime à environ 150 000 le nombre de harkis disparus ou assassinés ; sur celle du chef du 2e  Bureau à Alger qui retient également ce chiffre de 150 000 ; celle, enfin, du sous-préfet d’Akbou, qui dans son compte-rendu officiel, fait état de 2000 victimes, en moyenne, par arrondissement, (soit 150 000 pour les 72 arrondissements algériens). Anne Heinis, dans un mémoire daté de 1977 sur l’insertion des Français musulmans (3) situe la fourchette haute à 150 000.  Même chiffre de 150 000 chez André Santini, secrétaire d’État aux rapatriés en 1986-1988.

Les harkis qui eurent la chance de regagner la France,  90 000 environ, furent parqués dans des camps d’internement  et ce bagne dura 12 ans.

Le 6 août 1975 – enfin ! – le gouvernement pris quelques mesures pour améliorer leur sort.

« Aujourd’hui, la télévision montre des images de « migrants » regroupés dans des camps de fortune… People et hommes politiques défilent entre les baraquements pour dénoncer un accueil indigne. J’aimerais que ceux qui se révoltent aujourd’hui aient la même réaction pour ce qui s’est passé pour les harkis » dira, en mars 2015, l’ex-secrétaire d’État Jeannette Bougrab, elle-même fille de harki. Le massacre de nos harkis est une honte, une tache indélébile de notre histoire !

On a reproché au gouvernement de Vichy la déportation de 77 320 Juifs (dont les deux tiers sont morts dans les camps de concentration), mais personne ne semble s’indigner des massacres de harkis dont le triste sort est à mettre au compte exclusif de De Gaulle. Ce dernier,  il le dira à Alain Peyrefitte, ne voulait pas voir son village s’appeler                 « Colombey-les-deux-mosquées » (4).

Le capitaine Bernard Moinet  a écrit un livre poignant sur le drame des harkis : « Ahmed ? Connais  pas ! » (5). Un livre qui devrait faire partie des programmes scolaires.

Et, en dehors du sort tragique de nos harkis, à qui va-t-on faire croire que le gouvernement pouvait ignorer ce qu’Ahmed Boumendjel avait confié à Jean Daniel dès juin 1960, à savoir que :

« Dans une Algérie indépendante, il n’y aura de place ni pour les Juifs algériens, ni pour les Européens, ni pour ceux qui les auront aidés ». Il était difficile d’être plus clair !

Durant l’été 1962, Robert Boulin, cynique, estimait que : « les pieds-noirs ont avancé leurs vacances. Simplement, la plupart sont incertains sur la date de leur retour. »

En débarquant, souvent dans le dénuement le plus total, en métropole, la première surprise des « pieds-noirs » fut leur découverte de l’humour de notre fonction publique. Arrachés à leur terre natale, débarquant dans un pays qu’ils ne connaissaient pas, ils se virent appeler « rapatriés », or, comme dira l’un d’eux : « Ici, la patrie est un vain mot. Nous n’y avons ni nos morts ni nos usages ». Ils auraient préféré être reconnus comme « repliés », ou « déracinés ».

D’ailleurs, ces « Français à part entière » furent accueillis comme des indésirables ou comme des suspects (pro-OAS). Le ministre Louis Joxe ne souhaitait « cette mauvaise graine ni en Algérie, ni en métropole. Il vaudrait mieux qu’ils s’installent en Argentine, au Brésil ou en Australie… ».

Comme le dira l’écrivain Jean Brune, le « pied-noir » est : « Un Français à part entière qui, à son arrivée en France, s’est découvert entièrement à part. ».

L’attitude qui les choqua le plus fut celle de De Gaulle. Ce dernier devait déclarer, le 4 mai 1962 : « L’intérêt de la France a cessé de se confondre avec celui des pieds-noirs. ». Un peu plus tard, en juin 1963, il se félicitera que l’intégration des « pieds-noirs » se soit faite « sans heurts, sans drames et sans douleurs ». Puis, il fermera définitivement la page de l’Algérie française, le 22 juillet 1964, en supprimant le ministère des Rapatriés avec cette déclaration :

« Ils ont été absorbés comme par un papier-buvard… ». Quel cynisme ! Quel mépris !

Pour moi, la France n’a pas à battre sa coulpe devant les harkis car les Français ne sauraient être tenus pour responsables de l’abandon honteux de l’Algérie française, après une guerre gagnée militairement, ni des atrocités commises par le FLN avec la complicité du pouvoir de l’époque.

Mais nous devons leur rendre hommage. Notre peuple sans mémoire semble ignorer que de nombreux supplétifs algériens assassinés par le FLN étaient des anciens soldats de Monte Cassino ; certains avaient débarqué en Provence en août 1944, avec « l’Armée B » du général de Lattre de Tassigny pour libérer une terre qu’ils ne connaissaient pas.

Aujourd’hui encore les Algériens (et les Franco-Algériens) considèrent les harkis comme des traîtres. Quant aux  Français, ils ne font pas de différence entre les Algériens qui aimaient la France et ceux qui, dès leur enfance, apprennent à la détester.

Eric de Verdelhan

1) « Hommage à NOTRE Algérie française », publié en 2018 aux éditions Dualpha

2) Rapport officiel du contrôleur général de Saint-Salvy cité par Abd-El-Azziz Meliani dans « La France honteuse. Le drame des harkis » ; éditions Perrin

3) Anne Heinis « L’insertion des français musulmans » ;  Montpellier III ; thèse de troisième cycle ; 1977

4) « C’était de Gaulle » d’Alain Peyrefitte ; Gallimard; 1994

5) «  Ahmed ? Connais pas ! » de Bernard Moinet ; Lettres du Monde; 1980.

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6 Commentaires

  1. “Pour moi, la France n’a pas à battre sa coulpe devant les harkis car les Français ne sauraient être tenus pour responsables de l’abandon honteux de l’Algérie française,” …
    Sauf que 75% des électeurs de métropole ont voté oui à l’autodétermination et donc pour l’indépendance.

  2. J’espère que cette fois mon message ne disparaitra pas.. Car quand on parle de 2gol en général le message est effacé .. 2gol le responsable de tout ce qui a mal fini en Algérie .. Il a pensé comme un Français de Méteropole et non comme un gars d’Afrique du nord ..Ca ne fonctionne pas comme çà .. Car chaque continent a un mode de pensées différents et la guerre d’Algérie n’a pas suffi.. Les erreurs d’avant ont continué encore d’une manière plus forte maintenant .. La France ne veut pas tenir compte de ses erreurs passées alors qu’elle pourrait être en avance sur tous les dangers d’une immigration sans foi ni loi.. Alors continuons comme çà et gardons en mémoire ce qui s’est passé en Algérie car cette guerre n’est pas terminée elle continue depuis 60 ans en france et personne ne le dit ne le sait ou ne veut pas le voir.. Un Pieds Noirs vigilant sur une terre perdue d’avance en Europe.. Amitiés à tous.. Antoine..

  3. Moi je me souviens de tout, j’ai connu toute cette époque. Tout est vrai merci encore Eric si je peux me le permettre.

  4. Pour avoir vécu à Marseille et dans un petit village près d’Aix en Provence Je connais bien les harki et beaucoup d’entres eux sont de gauches et anti marine Zemmour et autre patriotes .et crachent sur la France. Combien de Harki chez les patriotes ?

  5. on leur doit plus que ça, on devrait les porter aux nues, les remercier, les honorer d’avoir choisi

  6. J’avais commencé, félicitant l’auteur, mais mon texte a disparu. Je n’ai plus le courage de le recommencer, mais j’aurais voulu rappeler que l’Algérie a démontré alors dans ses horreurs qu’elle était toujours une terre de barbares d’une cruauté inimaginable. Ah ! Ils en ont de l’imagination pour faire souffrir au maximum, ces dégénérés !… Et la France de De Gaulle une terre de traitres. Nous avons livré ceux qui nous faisaient une confiance aveugle aux pires sauvages de l’humanité dont ils ne voulaient pas à la tête du pouvoir en Algérie, justement. Ils ne les connaissaient que trop ! Et le général JUIN, tout le contraire de De Gaulle, a dit de cette trahison de la France qu’elle avait commis là un péché mortel qu’un jour elle paierait…
    Ce jour n’est-il pas arrivé ?

    d

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