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Nuit Debout : Le bobo Kévin est un con

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Paris, 8 avril 2016.

J’ai décidé d’aller voir de près les fameux “Nuit Debout” avec Caroline Alamachère, à qui j’ai laissé le soin d’écrire ce nouvel édito de Cyrano.

Des centaines de bobos se donnent depuis plusieurs jours la sensation d’être des rebelles, des vrais, en campant sur la place de la République. Officiellement, des citoyens se rassemblent en un mouvement populaire avec l’intention de contester la loi El-Khomri, tout en se défendant de toute récupération politique. La réalité c’est que c’est l’organisation Attac qui a déposé la demande d’autorisation en préfecture pour occuper les lieux et que l’intendance se fait via le DALO et le syndicat Sud-solidaires.

Quant au collectif “Nuit Debout”, organisateur des assemblées générales sur les lieux, il regroupe des militants d’EELV, du Front de gauche, des syndicalistes. Bref, que des citoyens comme vous et moi et pas du tout politisés, non, non, non…

On pourra, en passant, s’interroger sur l’autorisation préfectorale d’un tel dispositif en ces temps troublés où d’autres manifestations sont interdites sous le prétexte fumeux de risques d’attentats. Mais, à part cela, les bobos gonflés de vanité restent convaincus qu’ils sont dans la lutte contre le système. Braves petits choux.

Leurs revendications contestataires sont aussi nombreuses qu’hétéroclites : les violences policières, les OGM, le scandale vaccinatoire, la mort d’un système, l’inclusion de la langue des signes dans la Constitution, le sens d’une vie désirable, la science pour tout le monde, et, bien sûr, l’incontournable régularisation massive des « sans-papiers » réclamée par des clandestins eux-mêmes manifestement considérés eux aussi comme des citoyens français à part entière, avant de céder la place à un Kévin.

On n’a pas encore le programme de notre avenir, mais nul doute que ce sera le bonheur pour tous, puisqu’il n’y aura ni chef ni guerre. Paix et amour pour tous les humains et 10 sur 10 pour tous les enfants scolarisés !

Les commissions ne sont pas moins riches puisqu’elles recouvrent des concepts forts comme « communication », « coordination », « sérénité », « logistique », bref, que des avancées alléchantes et tellement concrètes… Le tout étant aussi de « montrer qu’on n’est pas seulement des branleurs »… Pas seulement ?

Certains faisaient même des exercices pratiques de haute volée : « On s’entraîne à écrire la Constitution, simplement pour se rendre compte qu’on peut le faire nous-mêmes ». Ah oui, c’est bien ça.

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Sur les différents clichés qui circulent, on ne peut que constater une certaine uniformité des visages : les manifestants appartiennent tous à la France d’avant le grand enrichissement. Les bobos parisiens restent entre whitesTM, entre blancosTM. Où sont donc les électeurs socialistes présents au soir du 6 mai 2012, ceux qui brandissaient les drapeaux de leurs pays respectifs ? Sont-ils d’accord, eux, pour appliquer la loi El-Khomri, celle qui stipule que le voile en entreprise c’est l’émancipation de la femme ?

Le porte-parole de EELV a déploré le manque de diversité du mouvement. « Ni les banlieues ni la classe ouvrière ne sont pour le moment représentées », un constat partagé par une étudiante qui, traversée par un éclair de lucidité, a remarqué qu’il s’agissait d’une « révolution bobo ». Comme ça c’est dit.

Quelqu’un a d’ailleurs eu le bon goût de réclamer le déplacement de l’AG en banlieue, parce que c’est pas tout ça mais les Richesses-pour-la-FranceTM aussi doivent avoir le droit de participer aux commissions « sérénité », il n’y a pas de raison.

Philippe, génération soixante-huitarde, justifiait sa présence par le « ras-le-bol après cinq années Hollande ». Rien de bien original, même les gauchos ne peuvent plus voir les socialistes en peinture. Il a ajouté que « les gens n’ont pas supporté de se faire confisquer l’émotion d’après les attentats, surtout par des types qui ne nous rassurent pas du tout ». On aurait envie de lui demander à quel moment il compte joindre l’acte à la parole et pourquoi il se trouve dans un mouvement qui participe, précisément en ce lieu symbolique de la place la République, à ce qu’il entend dénoncer. Schizophrénie quand tu les tiens !

Tandis que des militants favorables à un monde meilleur entonnaient un vivifiant « Je veux vivre ma vie debout, République endormie citoyen réveillé… », une dame grisonnante a fait savoir sa joie et son soulagement de n’avoir pas passé l’arme à gauche avant de participer à la manifestation de son existence, avec cette satisfaction ultime de n’avoir pas raté sa vie. « J’attends ça depuis 1976 », s’est-elle pâmée. Sans doute, cette année-là, avait-elle manifesté contre la canicule…

Dépavage par les Kévin de la place de la République rénovée en 2013 pour 24 millions d'euros...
Dépavage par les Kévin de la place de la République rénovée en 2013 pour 24 millions d’euros…

Un journaliste de Marianne a noté pudiquement que des manifestants buvaient du « soda » sans en préciser la marque. Et oui, les valeureux contestataires, braves petits Kévin en lutte, Nike aux pieds, ne songent à aucun moment que la canette de Coca Cola qu’ils vident avec délectation représente la participation active à la soumission au méchant système qu’ils prétendent condamner. Les Indignés de 2011 aussi s’abreuvaient de cette boisson des dieux capitalistes. Et pendant ce temps, les plus vindicatifs du mouvement se sentaient pousser des petites ailes de héros tandis qu’ils brisaient des vitrines d’agences bancaires, absolument convaincus qu’un tel acte ne pourrait qu’être de nature à terrasser les méchants banquiers tremblant forcément de trouille.

Probablement l’un d’eux indiquera-t-il vouloir comme épitaphe sur sa tombe « ci-gît Kévin qui osa braver le système avec courage et bravoure ». Les éplorés présents, dûment penchés sur le gros trou béant qui accueillera ses ossements, s’abstiendront, par respect pour le défunt, d’indiquer dans le discours de clôture de sa vie qu’il a activement participé au bien-être de ceux qu’il croyait combattre.

Car notre brave Kévin aura enrichi à ses heures Apple, Intel, Nike, Nestlé, Procter & Gamble, Mc Do, Unilever, Coca Cola, L’Oréal, Starbucks, Monsanto, etc.

Il aura acheté tout un tas de choses sur Internet, ses livres, ses billets de train, ses billets d’avion pas chers, grâce à un argent placé sur le compte bancaire de l’une des agences qu’un autre Kévin aura brisée avec le même sentiment du devoir accompli et du mérite.

Alors que le 5 avril au matin des pelleteuses ont débarrassé les résidus sur la place, certains « babtous fragiles », étreints par l’émotion du moment, se sont mis à sangloter. Il faut dire qu’il y avait de quoi. Les vilaines grosses machines ont tout pété leur abri de fortune… pardon… leur « œuvre d’art issue de l’autogestion » (sic).

Ouverture-Starbucks-Strasbourg

Pendant ce temps, à 500 kilomètres de là, d’autres Kévin ont fait la queue plusieurs heures durant pour avoir le droit de boire un café ordinaire à 5 euros au nouveau Starbucks de la place Kléber à Strasbourg dirigé par un certain Kamel Boulhadid. Certes, un mug Starbucks était offert, mais à compter de demain, il n’y aura plus de mugs et le petit noir restera à 5 euros, mais ça ne fait rien, parce que Starbucks, multinationale ne payant aucun impôt en France, c’est un peu le Fouquet’s du mougeon, l’américanisme branché en plus.

La vaseline reste aux frais du consommateur.

Ces Strasbourgeois enfiévrés par cet événement exceptionnel dans une vie qu’on n’a pas spontanément envie de s’approprier, ignoraient sans doute qu’en février dernier, à Riyad, l’un des établissements de cette chaîne américaine, tellement prisée des jeunes cadres dynamiques, a accepté l’ordonnance, par le comité pour le commandement de la vertu et la répression du vice, d’interdire son accès… aux femmes après avoir constaté l’absence d’un « mur de ségrégation ». Voilà.

Moralité : le Kévin est un con.