L'oiseau d'Amérique, par Walter Tevis

Je suis assidûment tous vos éditoriaux et je voudrais vous parler de science fiction…
Je suis une adepte de ce genre littéraire et un livre m’a touché au plus haut point. Je savais déjà que les géniaux auteurs de science fiction possédaient le talent rare de percer à jour nos travers et nos faiblesses. Dans leurs histoires de futur, ils se sont bien souvent montrés d’extraordinaires visionnaires. Qui a lu “Farenheit 451” de Ray Bradbury ne me contredira pas.
Le livre, objet de mon propos, a été écrit en 1980 par Walter TEVIS (éditions Folio SF), ils ‘intitule “L’OISEAU D’AMERIQUE” (titre original MOCKINGBIRD). L’auteur américain, professeur de littérature, est mort en 1984. On lui doit également deux célèbres romans : “l’arnaqueur” et “la couleur de l’argent” adaptés au cinéma.

Jai lu ce livre dans les années 1990. Que raconte-t-il ?
L’action se situe au xxvè siècle à New York. Voici le résumé du livre : l’humanité s’éteint doucement,abreuvée de tranquilliisants et de télévision , prescrits en masse par les robots qu’elle a elle même créés. Les humains ont perdu toute mémoire collective, ils ne savent plus ce que veut dire écrire, ils ne savent pas ce que sont les livres disparus depuis longtemps. De nouvelles règles de vie ont été érigées par les robots, tel “Le Respect De La Vie Privée” qui interdit à quiconque de se toucher ou de se regarder dans les yeux, les rares réfractaires sont brutalement rappelés à l’ordre par une brigade de “Détecteurs”. Les suicides d’humains sont légion, plus personne, par peur, par lâcheté, mais surtout par lassitude, ne tient tête aux robots…Mais l’humanité moribonde “se fend d’un dernier sursaut” Paul Bentley, petit fonctionnaire et Mary Lou la rebelle, vont découvrir de vieux livres dans une bibliothèque et de leur émerveillement, puis de leur éveil intellectuel, va naître la Résistance. Leur amour les fera enfin réagir pour redécouvrir l’espoir. A la fin du livre, quand la lutte s’installe, ils auront le courage de prononcer la phrase que plusieurs générations taisaient : “TA GUEULE ROBOT !”.
Ce récit met en pratique la parabole de la grenouille en train de bouillir : plongez une grenouille dans l’eau bouillante, elle sautera hors du récipient et sauvera sa vie. Plongez là maintenant dans l’eau froide et augmentez la température progressivement, vous tuerez le pauvre animal sans qu’il réagisse beaucoup. Voilà, avec nos accomodements, notre complaisance, nous sommes tous des grenouilles en train de bouillir…
Quand j’ai tourné la dernière page de ce livre, j’avais trente ans et j’ai, dans le contexte de l’époque, tout de suite pensé à l’Iran et ses hayatollahs, le parallèle était flagrant. Une société en déliquessence,abreuvée d’idéologie et de diktats religieux, ayant en quelques décennies perdu sa joie, ses espoirs, sa liberté et sa jeunesse du fait de dirigeants pourtant élus! Jamais je ne pensais que ce livre pourrait s’appliquer à l’Europe, et surtout pas à la France, devenue peu croyante depuis les années 60. Je suis maintenant très triste de devoir admettre que ce récit reste furieusement d’actualité et ne présage rien de bon pour l’avenir si nous ne réagissons pas. Mais cette histoiret nous livre un formidable espoir : de ces situations intolérables naît toujours LA RESISTANCE, car nul ne pourra nous empêcher de lutter pour nos libertés et notre dignité.
Lisez L’Oiseau d’Amérique, Walter Tevis nous prévient : il est minuit moins cinq.
Cordialement.
Mireille Menard