La CGT a eu raison de déloger les clandestins de la Bourse du Travail

Toute la bobocratie médiatique tombe sur la CGT ! Les Verts et la LCR disent que la centrale syndicale, dont je suis adhérent depuis 1974, a fait quelque chose d’honteux. Qu’a donc bien pu faire la première centrale syndicale de France, pour susciter un tel courroux ? Son service d’ordre a osé déloger plusieurs centaines de clandestins (la bien-pensance dit sans-papiers) qui occupaient depuis le 8 mai 2008 les locaux de la Bourse du Travail, place de la République (1). Bien sûr, certains milieux hostiles à la CGT ont beau jeu de souligner la contradiction entre une CGT qui défend les sans-papiers, et un service d’ordre qui les expulse de ses propres locaux.
Mais la vraie question, au-delà de l’anecdote, ne devrait-elle pas porter sur le fond ? Le mouvement ouvrier est-il dans son rôle de défense des intérêts matériels des travailleurs, quelle que soit leur nationalité, quand il soutient les luttes de clandestins, voire demande la régularisation de tous ?
Sous prétexte que le Front national a fait de l’immigration son fonds de commerce, depuis une trentaine d’années, la réponse du mouvement social doit-elle être, au mieux d’interdire tout débat sur cette question, au pire de réclamer la libre installation de tous les immigrés sur le sol français (comme le fait entre autres la LCR), et la régularisation de tous les clandestins qui y sont entrés en situation irrégulière ? Est-ce bien là une vraie position anti-capitaliste ?

Dès sa création, notre journal en ligne, Riposte Laïque, a répondu non à cette question, sans aucune ambiguïté. Robert Albarèdes, ancien maire de Gréasque, a expliqué les dangers évidents de l’immigration clandestine (2). Pierre Baracca, syndicaliste enseignant, remarquait un curieux œcuménisme autour des sans-papiers, allant des employeurs aux syndicats, des organisations catholiques à l’extrême gauche (3). Guylain Chevrier, syndicaliste à la CGT, démontrait que les « sans-papiers étaient le cheval de Troie de la mondialisation libérale (4). Quant à Gabrielle Desarbres, elle dénonçait la démagogie de beaucoup de militants de Resf, et l’hypocrisie du PS, qui soutenait ses revendications, tout en sachant fort bien qu’une fois au pouvoir, il ne pourrait pas les appliquer.
Dans notre livre, « Les dessous du voile », Robert Albarèdes consacre un chapitre entier à démontrer le poids de l’immigration dans la montée de l’offensive islamique contre la laïcité, et son instrumentalisation par l’Union européenne et tous ceux qui veulent en finir avec les Etats-Nations. Quant à Gabrielle Desarbres, elle explique le poids d’associations comme le Gisti, et les raisons de son influence dans de nombreux secteurs de la gauche.
Cette ligne de RL, républicaine, a valu à notre journal nombre de courriers incendiaires, y compris de la part de militants de la CGT. Nous persistons et signons, et pensons que la CGT, comme l’ensemble du mouvement ouvrier, et toute la gauche, ne peut pas faire l’impasse sur une question aussi essentielle, ni se réfugier dans des raccourcis simplistes.
Je précise que je suis fier de vivre dans un pays où un Français sur trois a un grand-parent issu de l’immigration. Je suis fier des valeurs égalitaires de notre République, qui a su, durant des décennies, intégrer des familles polonaises, italiennes, espagnoles, arméniennes, marocaines, algériennes, tunisiennes, etc. Cela marchait, parce que deux conditions étaient réunies : il y avait du travail, et l’intégration n’était pas contestée. Aujourd’hui, l’immigration de peuplement remplace souvent l’immigratration de travail, et l’intégration est de plus en plus contestée par des pans entiers d’immigrés, qui veulent imposer un modèle communautaristes contraire aux intérêts du monde du travail. Ces débats ne peuvent demeurer tabous.
Il faut ainsi rappeler qu’historiquement, la C.G.T. et la S.F.I.O. demandaient, en 1926, l’arrêt total et immédiat de l’immigration. Le député socialiste Jean-Baptiste Lebas le 28 janvier 1927, à la Chambre, tiendra ces propos : « Lorsque l’ouvrier étranger arrive en France, ce n’est pas pour mendier un secours, c’est pour vivre de son travail. Il est inadmissible que nous appelions des travailleurs étrangers qui risquent d’être aux prises avec la misère. Dans leur intérêt même, il faut cesser tout recrutement de main-d’œuvre étrangère ».
Quelques décennies plus tard, Georges Marchais d’abord lors d’un meeting parisien, en 1979 (6), puis le 6 janvier 1981, dans le journal L’Humanité, n’était pas très éloigne de cette vision : « En raison de la présence en France de près de quatre millions et demi de travailleurs immigrés et de membre de leurs familles, la poursuite de l’immigration pose aujourd’hui de graves problèmes. Il faut les regarder en face et prendre rapidement les mesures indispensables. La cote d’alerte est atteinte […] C’est pourquoi nous disons : il faut arrêter l’immigration, sous peine de jeter de nouveaux travailleurs au chômage. Je précise bien : il faut stopper l’immigration officielle et clandestine.. »
Ceux qui me connaissent savent qu’à cette époque, je combattais la ligne politique du Parti communiste, et notamment sa politique de division à l’encontre du PS, quand il fallait s’unir pour battre Giscard. Pourtant, je ne trouve rien à redire, aujourd’hui, aux propos de Georges Marchais. Il est insupportable, près de trente années plus tard, alors que la crise du capitalisme occasionne les ravages que chacun constate, que les solidarités communautaires menacent de remplacer les solidarités sociales, et que la crise peut entraîner 1 million de chômeurs de plus au cours de l’année 2009, qu’aucun débat serein ne soit possible, sur cette question, sans qu’on ne se fasse rapidement traiter de lepéniste si on n’est pas favorable à la régularisation de tous les clandestins. J’avais écrit mon sentiment sur l’utilisation des mots “racistes” et “fascistes” pour imposer le politiquement correct, et une pensée unique. (7)
Je ne suis pas choqué que la CGT ait utilisé son service d’ordre pour déloger de ses locaux des personnes en situation irrégulière, qui occupaient la Bourse du Travail depuis plus d’une année. Je l’ai même trouvée très patiente. Elle est parfaitement dans son rôle, en refusant que des groupuscules qui instrumentalisent ces personnes vulnérables, ne paralysent, par leur surenchère, une activité syndicale dont le monde du travail a besoin. Certains reprochent à la CGT d’avoir agi avec la complicité des forces de l’ordre. Je n’en sais rien, mais quitte à heurter des bien-pensants, je ne serais pas choqué que les organisations syndicales puissent, ponctuellement, fonctionner avec des institutions de la République comme la police. J’ai souvent vu cela, notamment lors des protestations contre le CPE, pour protéger au mieux les manifestants des agressions violentes de groupes de jeunes venus de banlieue… dont il fallait constater qu’ils étaient majoritairement des enfants de l’immigration post-coloniale, ce qui suscitait des débats passionnés, entre deux charges, dans les propres rangs du service d’ordre.
Mais la CGT se doit de clarifier ses positions. Certes, il est parfois humain de se battre pour la régularisation d’une famille qui répond parfaitement aux critères d’intégration, et montre sa volonté d’accepter les lois de la République. J’ai déjà eu l’honneur de le faire, dans mon département, notamment pour une famille algérienne qui risquait l’expulsion, et avait fui son pays pour échapper aux islamistes. J’ai rencontré des personnes en situation irrégulière qui méritent d’être régularisées, parce qu’elles veulent s’intégrer, et acceptent les valeurs de la République. Mais une organisation syndicale comme la CGT, en période de chômage de masse, ne peut se permettre d’envoyer de mauvais messages vis-à-vis des travailleurs français et étrangers, déjà frappés de plein fouets par la progression du chômage et la précarité. Elle doit refuser la démagogie, et parler un langage de vérité aux travailleurs.
En donnant l’impression de se battre pour que toute personne qui a réussi à entrer en France, de manière illégale, puisse y demeurer à jamais, elle fait, à son corps défendant, le jeu d’un patronat ravi de trouver une main-d’œuvre disponible et corvéable à merci, qui permettra d’accentuer la pression sur les acquis sociaux du salariat.
La CGT d’aujourd’hui n’est plus celle des années 1980, où l’influence et les pratiques du Parti communiste empêchaient souvent tout débat démocratique, et où il n’était pas concevable qu’un secrétaire général ne soit pas membre du PCF. Elle a su s’ouvrir, et, notamment sous le mandat de Bernard Thibault, rompre avec certaines pratiques sectaires qui n’honoraient pas notre centrale syndicale. Ce serait donc un comble que, sous la pression du politiquement correct, il ne soit pas possible, en interne, en 2009, de mener un vrai débat, sur la politique de la CGT sur l’immigration.
Souhaite-t-elle se complaire dans une ligne compassionnelle et démagogique, ou bien adopter enfin une ligne républicaine et réaliste, dans l’intérêt de l’ensemble des travailleurs, français ou étrangers ? Je suis convaincu que les salariés du privé, les plus vulnérables, ont répondu depuis longtemps à cette question.
Pierre Cassen
(1) [http://www.mediapart.fr/club/blog/marc-tori/250609/avec-matraques-et-lacrymogenes-la-cgt-expulse-les-sans-papiers-de-la-bou-0->http://www.mediapart.fr/club/blog/marc-tori/250609/avec-matraques-et-lacrymogenes-la-cgt-expulse-les-sans-papiers-de-la-bou-0]
(2) http://www.ripostelaique.com/Les-dangers-evidents-de-l.html
(3) http://www.ripostelaique.com/Un-curieux-oecumenisme-autour-des.html
(4) [http://www.ripostelaique.com/Les-sans-papiers-cheval-de-Troie.html->http://www.ripostelaique.com/Les-sans-papiers-cheval-de-Troie.html
(5) http://www.ripostelaique.com/Soutien-aux-sans-papiers-et-a-Resf.html
(6) [http://www.dailymotion.com/video/x1qmh7_marchais-immigration_fun->http://www.dailymotion.com/video/x1qmh7_marchais-immigration_fun]
(7) http://www.ripostelaique.com/Comment-utiliser-les-mots-raciste,1201.html

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