L’acharnement de la Halde à légitimer le port du foulard islamiste dans les services collectifs de la République conduit à un certain nombre de remarques. En soutenant l’interprétation de l’islam qui considère « le voile islamiste » comme une obligation religieuse sexuée, la Halde prétend trancher en matière d’interprétations religieuses, sur les croyances intimes des personnes.
1-La Haute Autorité n’a pas autorité
En France, Etat de droit, les parlementaires, représentants du peuple, votent les lois. Le chef du pouvoir exécutif, c’est-à-dire le Président de la République, promulgue la loi. L’application de la loi relève des corps administratifs et des tribunaux. Toute autre instance, même si elle se nomme Haute Autorité, n’a aucune autorité sur les citoyens et ne peut qu’émettre des recommandations. La Haute Autorité n’a pas à se substituer aux autorités judiciaires. Ses délibérations n’engagent que leurs auteurs. La preuve : puisque ce ne sont que des recommandations, il n’y a pas d’instance de recours contre ses délibérations. Aucune disposition ne contraint un citoyen à accepter une solution à un conflit dans le cadre de la Halde et surtout « aucune disposition législative ni règlementaire n’impose à la Halde d’informer le mis en cause de l’état d’avancement du dossier ni de lui communiquer les pièces du dossier ».
Qu’en est-il des principes fondamentaux de notre République concernant la justice ? . Les citoyens ou institution publiques ou privées visés par la Halde sont victimes…d’une discrimination particulièrement grave : être dénoncés sans être auparavant entendus contradictoirement. Nous ignorons qui a siégé lors des délibérations, quelles compétences concernant la maitrise des lois de la République sont exigées de ces personnes. Ni le rôle des séances n’est connu à l’avance ni les citoyens ne peuvent en avoir connaissance. Ceci dans un souci de « confidentialité ». Or la Halde n’hésite pas à la publicité de ses délibérations concernant le foulard islamiste…
Depuis la Révolution, pour refuser privilèges ou particularismes, les principes d’unité et d’indivisibilité ont instauré des lois identiques pour tous. Dans notre conception républicaine il ne saurait y avoir de droits civils et familiaux particuliers, de droits religieux, de droits locaux ou territoriaux, de droits élaborés par chaque profession, etc. Personne ne peut imposer son interprétation personnelle de sa religion comme supérieure aux lois communes de la République. Il serait tout à fait anticonstitutionnel qu’un Ministre de la République se plie à des avis qui ne sont fondés ni en fait ni en droit
Le Président de la Halde, dans la réponse qu’il nous a adressée, reconnait évidemment que son organisme ne saurait « se substituer au pouvoir juridictionnel ». Pourquoi cette confusion, comment les justiciables peuvent-ils se retrouver entre les juridictions républicaines et cette instance concurrente, sans légitimité populaire mais dotée de moyens qui manquent cruellement à l’institution judiciaire.
2-La Halde légitime une discrimination majeure envers les femmes
La Halde relaie l’argument absurde de femmes qui se discriminent volontairement en portant un signe, un stigmate qui les séparent des autres personnes, femmes et hommes et qui s’offusquent d’être discriminées !
Le foulard islamiste est un marqueur de discrimination sexuelle et la manifestation la plus archaïque et « claustrante » de l’oppression des femmes. Il s’agit de maintenir l’enfermement des femmes afin que même dehors, elles restent « dedans ». C’est leur voler leur identité puisqu’elles ne doivent pas être identifiables dans l’espace public.
Le foulard islamiste, signe discriminatoire, est une atteinte à la dignité de l’être humain, en particulier à la dignité des femmes. Des lois ont permis d’interdire « le lancer de nains », même si des nains étaient d’accord pour être considérés comme des objets, des lois ont permis d’interdire le bizutage, même si des étudiants étaient majeurs et « consentants ». Pourquoi tolère-t-on le port d’une tenue qui contrevient au principe d’égalité en droit entre les hommes et les femmes ?
Le foulard islamiste sépare les hommes des femmes, et parmi les femmes celles qui se considèrent comme « bonne musulmane » des autres. Sous prétexte de traditions religieuses leur assignant de représenter « l’honneur de la famille », des femmes sont contraintes par une servitude, volontaire ou forcée, à des prescriptions vestimentaires lors de leurs déplacements dans l’espace public. En particulier de cacher leurs cheveux, parce que la chevelure des femmes serait « source de désordre » !
Comment tolérer que des femmes doivent se dissimuler dans l’espace public ? Quelles représentations des rapports entre les femmes et les hommes cela induit-il chez les enfants : femmes source de désordre, hommes brutes incapables de maîtriser leurs pulsions sexuelles à la vue de la moindre mèche de cheveux ? Comment construire le principe d’égalité en droit entre les hommes et les femmes dans ces conditions ? Comment tolérer l’endoctrinement des enfants ? Comment ne pas dénoncer l’ assujettissement volontaire de celles qui affirment « porter le voile : c’est ma foi, mon choix, mon droit » ? D’une part la foi relève de l’intime et n’a pas à être étalée dans l’espace public, d’autre part le choix personnel n’est pas un droit.
3-La Halde méconnait le principe de laïcité, de neutralité et la mission des services publics
L « anonyme » collège de la Halde confond liberté et droit. La liberté d’avoir ou non une religion, d’en changer, de pratiquer n’est à aucun moment un droit que l’Etat aurait le devoir d’accorder !
La laïcité organise l’espace politique qui repose sur la liberté de penser et d’expression, sur l’égalité en droit des options philosophiques ou croyances religieuses et sur la neutralité de l’action publique. Unique moyen de faire coexister des individus qui ne partagent pas les mêmes convictions, l’exigence laïque demande à chacun un effort sur soi. L’impartialité dans la garantie de croire, de ne pas croire ou de douter et pour toutes les confessions de pouvoir exercer librement leur culte, sous réserve de ne pas attenter aux libertés d’autrui, ni troubler l’ordre public impose la neutralité à l’Etat, aux services publics et à leurs usagers. La délibération montre l’ignorance de la Halde concernant le service public de l’Education Nationale et du respect que doivent avoir les usagers des services collectifs envers les agents de ces services et les autres utilisateurs.
Il est indispensable de rappeler que l’autorisation d’accompagner les sorties scolaires relève de la seule autorité de la direction de l’école. Personne n’aurait pensé à autoriser des religieux en soutane ou autre habits sacerdotaux à encadrer des enfants. Les auxiliaires de l’éducation, bénévoles ou non, doivent respecter tous les élèves et ne sont pas appelés pour s’occuper uniquement de leur(s) enfant(s). Dans le cas particulier, il s’agit de parents en uniforme, religieux ou politique, qui prétendent encadrer des enfants et influencent des mineurs, élèves de l’école publique, par le port d’un signe visible de l’oppression, volontaire ou forcée, des femmes.
L’école de la République a pour mission de former des citoyens et des citoyennes -c’est-à-dire des acteurs et actrices de la société- à utiliser leur sens critique, à s’élever par la raison au-dessus des perceptions et influences, à réfléchir, « à savoir dire non à ses propres croyances » (Alain), à savoir et vouloir vivre ensemble dans le respect mutuel des différences qui ne doivent pas être perverties en différence des droits.
Pour que l’enfant puisse se construire comme individu autonome en fonction de sa capacité à raisonner, ses aptitudes et goûts, il doit avoir l’esprit libre en entrant à l’école de la République. Pas d’espace de liberté ni de laïcité sans protection des enfants contre le prosélytisme idéologique, religieux ou politique qui peut avoir lieu à l’extérieur. Toutes les attitudes qui manifestent une soumission à des impératifs venus d’ailleurs, étrangers et hostiles à la mission de l’école, sont à proscrire fermement.
Le summum de l’ignorance est atteint lorsque le collège de la Halde, se prenant pour des magistrats, cite une jurisprudence concernant l’application du principe de laïcité en milieu pénitentiaire. L’assimilation de l’école à la prison est surprenante, l’ignorance des règles spécifiques concernant la laïcité dans les milieux fermés (prison, militaires en mission, etc.) stupéfiante.
4-Des références européennes tronquées et erronées
Le collège de la Halde cite un extrait de l’article 9 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, mais ignore l’Arrêt de la Cour européenne des Droits de l’Homme, présidée par Sir Nicolas BRATZA, du 29 juin 2004 concernant l’affaire Leyla Sahin c.Turquie. « L’article 9 ne protège toutefois pas n’importe quel acte motivé ou inspiré par une religion ou conviction et ne garantit pas toujours le droit de se comporter dans le domaine public d’une manière dictée par une conviction (voir, parmi plusieurs autres, Kalaç c. Turquie, arrêt du 1er juillet 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-IV, p. 1209, § 27, Arrowsmith c. Royaume-Uni, no 7050/75, décision de la Commission du 12 octobre 1978, Décisions et Rapports (DR) 19, p. 5, et C. c. Royaume-Uni, no 10358/83, décision de la Commission du 15 décembre 1983, DR 37, p. 142) »
Ce même arrêt « dit » : « Il n’y a pas eu violation de l’article 9 de la Convention par la réglementation de l’université d’Istanbul, qui soumet le port du foulard islamique à des restrictions, et les mesures d’application y afférentes, étaient justifiées dans leur principe et proportionnées aux buts poursuivis et pouvaient donc être considérées comme « nécessaires dans une société démocratique ».
Il est donc nécessaire que les règlements scolaires précisent bien l’interdiction pour les personnes portant un signe visible d’appartenance religieuse de participer aux activités scolaires. Voilà pourquoi les tenants de l’islam politique, ennemis de la laïcité républicaine, voudraient empêcher de telles clauses dans lesdits règlements. Ils agissent auprès de la Halde et rende publiques de telles recommandations.
L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a voté une résolution le 4 octobre 2005 exhortant tous les pays membres à : « Veiller à ce que la liberté de religion et le respect de la culture et de la tradition ne soient pas acceptés comme des prétextes à la justification des violations des droits des femmes, y compris lorsque des jeunes filles mineures sont contraintes de se soumettre à des codes religieux (y compris à des codes vestimentaires), … » (article 7.3). La Halde l’ignore évidemment !
Dans notre Etat de droit, mettre fin à cette institution d’impostures et de gaspillages financiers est indispensable.
Voir les différentes délibérations et les échanges de courriers sur le site www.regardsdefemmes.com Sylvie Kern, chef du pôle emploi privé à la direction juridique de la Halde, Semaine sociale Lamy, 23 juillet 2007
Michèle Vianès
Présidente de Regards de Femmes
[www.regardsdefemmes.com->www.regardsdefemmes.com]
Paru le jeudi 30 août, dans le numéro 1