La laïcité et sa parabole de contre-attaque

C’est une magnifique journée d’été. Installé confortablement dans son fauteuil habituel, un homme lit un roman. Le soleil entre dans le salon. Par la fenêtre entrouverte, un doux zéphyr s’infiltre dans la pièce apportant un peu de fraîcheur. L’homme se sent heureux. Sa vie a le sens de la simplicité des choses, ces choses qu’il appréhendent comme une large poésie réconfortante. Mais depuis un moment, il sent bizarrement quelque chose qui le dérange. Alors il abandonne sa lecture, regarde autour de lui et essaie de comprendre. Et soudain, il découvre que deux grosses mouches noires font des tourbillons dans la pièce, se cognent contre les murs et propagent un bourdonnement infernal comme quand le voisin passe sa tondeuse et un autre plus loin, coupe du bois avec sa tronçonneuse. Mais notre homme est un brave type, pas méchant pour deux sous : il va dans la cuisine, en revient avec une serviette et invite les deux grosses mouches à retourner dehors sans leur faire le moindre mal. Et il s’en retourne dans son fauteuil et replonge dans la lecture alléchante de son roman. Mais voilà qu’au bout de dix minutes, les deux effrontées reviennent et toujours bien sûr, avec leur bruit de tondeuse et de tronçonneuse. L’homme se relève, toujours calme et refait le même geste… et se rassoit de nouveau dans son fauteuil. Mais, plus insolentes que jamais, les deux intruses reviennent encore dans le salon et avec d’autres infâmes compagnes par-dessus le marché ! Alors cette fois, l’homme se dit que ce ne sont pas quelques mouches qui vont lui bousiller son après-midi de vacances quand même. Il a été patient, respectueux de la vie de ces bouts de trucs noirs qui fréquentent des lieux nauséabonds. Bref, cette fois, cela suffit : il reprend sa serviette et après deux ou trois frappes plus moins adroites, les bestioles gisent à terre.

Eh bien, la laïcité, c’est cette histoire. Au-delà des principes de moralité qui ne sont en fait que l’expression juridique de la démocratie, elle est la conclusion d’un processus historique. Au Moyen-Age, l’homme – sa vie, son esprit, son âme – est totalement entre les mains de l’Eglise. Mais l’Eglise a abusé de sa position dominante. Elle a profité de la très grande naïveté de ses ouailles, cette même naïveté qu’elle avait, astucieuse, contribué à créer. Alors de grands esprits comme Erasme et bien d’autres encore, ont dit qu’il fallait que tout cela cesse, que l’Eglise devait se faire moins étouffante, moins brailleuse – comme les mouches de notre parabole – ; et laisser l’homme construire lui-même sa dignité sans pour autant renoncer à Dieu. Il suffit d’écouter ce philosophe italien de génie, Pic de la Mirandole, assassiné à l’âge de 31 ans par les gens… de l’Eglise : “Je t’ai donné ni visage, ni place qui te soit propre, ni aucun don qui te soit particulier, ô Adam afin que ton visage, ta place et tes dons, tu les veuilles, les conquières et les possèdes par toi-même. Nature enferme d’autres espèces en des lois par moi établies. Mais toi, que ne limite aucune borne, par ton propre arbitre, entre les mains duquel je t’ai placé, tu te définis toi-même. Je t’ai placé au milieu du monde, afin que tu puisses mieux contempler ce que contient le monde. Je ne t’ai fait ni céleste ni terrestre, mortel ou immortel, afin que de toi-même, librement, à la façon d’un bon peintre ou d’un sculpteur habile, tu achèves ta propre forme”.

Plus tard, viendront les Lumières qui combattront l’arbitraire encore trop prégnant de l’Eglise et son obscurantisme afin que dorénavant, ce soit la raison qui triomphe. Puis, la religion continuera à reculer avec la Révolution française et encore plus tard avec la fameuse loi de 1905. Et tout au long du XXème siècle, elle finira par déserter l’espace public pour ne plus vivre que dans l’intimité des consciences. Bref, les mouches ont fini par taire leurs tondeuses et leurs tronçonneuses.

Alors, et pour la première fois dans l’histoire – c’était il y a une vingtaine d’années – nous avions eu cette chance inouïe d’être parvenus aux sommets éblouissants de la liberté : l’athée pouvait ne regarder que ce qui se passait sur terre ; l’agnostique interroger tantôt la terre, tantôt le ciel ; et le croyant, enfin libéré des soldats toujours trop regardants de l’Eglise, parler en toute quiétude avec Dieu. Dans la rue, la religion avait presque disparu. Tout le monde avait sa petite à vie à lui et tous semblaient se respecter dans une atmosphère de normalité.

Mais voilà, – alors que tout semblait aller, définitivement, dans le meilleur des monde – qu’une invasion de mouches a envahi notre beau salon d’été, que de nouvelles tondeuses et tronçonneuses brailleuses nous mettent encore ! les nerfs à vif. Or cette fois, il ne nous est plus permis de répondre à cette invasion avec le flegme et la patience du brave homme avec son roman : il y a trop de mouches… Mais le problème, c’est que nous ne pouvons plus les balancer par la fenêtre. Car il y a quelqu’un qui l’a laissé grande ouverte la fenêtre !!! Et il y en a trop. Cependant, il n’est plus question pour nous d’aller à contre-courant de l’histoire. Nous avons eu la liberté, nous voulons nous la préserver. Ce que vous, Monsieur Macron osez appeler “radicalisation de la laïcité”, cette laïcité que vous et vos acolytes de malheur avez réduite par votre laxisme et votre aveuglement, c’est notre cri puissant ! Vous comprenez ? Notre cri ! On ne va pas se laisser faire. Car on ne le peut plus. Alors, écoutez-nous pour une fois et agissez vite sinon, soyez en bien certain, le sang va couler. Vous serez alors le premier et seul responsable !!!

Philippe ARNON