La mémoire de la Grande Guerre à l’épreuve du présent infâme

Pendant qu’Emmanuel Macron s’en allait, pour le 81e anniversaire de l’Appel du 18 juin, dégouliner d’hypocrisie mémorielle au Mont-Valérien – lui qui démontre, chaque jour, son indifférence à la France charnelle, sinon pire –, moi, j’étais de l’autre côté de l’Île-de-France, sur les lieux mêmes de l’extrême limite de l’avancée allemande sur Paris en 1914.

C’était la bataille de la Marne où, malgré son impréparation face à un ennemi quant lui très organisé, l’armée française – particulièrement ces soldats venus de partout défendre leur terre et, par la suite, bien mal récompensés de leur abnégation par certains généraux indifférents à leurs souffrances – résista avec cette énergie du désespoir qui tient du miracle. On parle d’ailleurs du « miracle de la Marne », où la Vierge en personne serait intervenue. Miracle surtout d’hommes qui offrirent leur vie pour empêcher les Allemands de marcher sur la capitale.

Parmi ces hommes, il y avait le lieutenant Charles Péguy, tombé à Villeroy d’une balle en plein front, le 5 septembre 1914. Péguy, qui écrivit sur cette ville qu’il empêchait alors d’être profanée par l’ennemi : « Paris, ville de pierre, peuple de monuments, peuple de mémoires, peuple d’anciennes actions, Paris, capitale du monde, ville capitale. »

Et c’est à Villeroy où, quelque 107 ans plus tôt, des Français se battaient pour la sauvegarde de leur patrie, que je découvris une affiche de campagne du Rassemblement national souillée par un antifa – archétype de l’ennemi de la France –, qui l’avait recouverte de ses déjections idéologiques. Soudain, le présent insultait le passé, ici-même, sur cette terre où les corps de patriotes reposaient. Injure suprême, injure banale aussi dans cette France décharnée par la haine de soi et le goût fanatique de l’Autre, pourvu que cet Autre détestât ce pays que ses semblables vinrent pourtant défendre jadis avec courage ; je pense aux tirailleurs marocains tombés sur ces lieux. Autre temps, autre mœurs…

Plus loin sur la ligne de front, à Barcy, j’engageai la conversation avec une employée de mairie, lui demandant ce que signifiaient ces banderoles dans le village à propos de caravanes. Elle m’expliqua tout par le menu : c’était là la volonté de Jean-François Copé, président de la communauté d’agglomération du Pays de Meaux qui avait décidé d’implanter sur la commune de Barcy une importante aire de caravanes pour gens du voyage et ce, sur les lieux mêmes des combats de la bataille de la Marne. Évidemment, les habitants n’avaient pas été consultés car le mépris des élites – dont monsieur Copé est un digne représentant ! – est souverain en France. Le maire de Barcy l’a bien compris qui a déclaré lors du conseil communautaire du Pays de Meaux, le 5 octobre 2020 : « Le projet a été décidé sans aucune concertation avec les représentants de la commune de Barcy. L’opposition unanime du conseil municipal et de la population n’a pas été prise en compte. »

Mémoire de la Grande Guerre à nouveau insultée, après le pitoyable et non moins insupportable centenaire de la bataille de Verdun, dont on n’oubliera pas les adolescents courant, comme dans une cour de récréation, parmi les tombes des Poilus… ! Mais qui sait, un de ces jours nous pourrions avoir un élu illuminé proposant un camp de migrants au pied de l’ossuaire de Douaumont ?!

 

Comme chantait Brassens, « le temps ne fait rien à l’affaire, quand on est con on est con » ; et venimeux à la fois pour ce qui concerne ces décideurs qui injectent leur poison apatride dans le corps de la France depuis maintenant des décennies. Et, toute honte bue, ça célèbre l’Appel du 18 juin !

Avec la meilleure volonté du monde, il est fort difficile d’oublier le temps présent en France. Ce temps abject où, chaque jour, un peu plus, on assassine notre passé et toutes les racines qui s’y accrochent encore.

 

Demain – j’écris cet article la veille du premier tour des élections régionales et départementales – il faudra commencer à choisir et bien choisir. En attendant, je laisse parler Péguy, avec ces mots inscrits sur le monument marquant l’emplacement où il est tombé… pour la France :
« Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle,
Mais pourvu que ce fût dans une juste guerre.
Heureux ceux qui sont morts pour quatre coins de terre.
Heureux ceux qui sont morts d’une mort solennelle. »

Charles Demassieux
(Photos : Charles Demassieux)