La religionâtrie ne peut conduire qu'à la catastrophe, défendons la laïcité française en Europe

La laïcité, ou, plus exactement, LES laïcités

Définition :
La laïcité est un système dans lequel les citoyens sont libres de pratiquer la religion de leur choix, ou de ne professer aucune religion, et dans lequel les décisions politiques des gouvernants sont prises indépendamment de toute influence religieuse.
Les différentes conceptions de la laïcité :
En fait, il existe TROIS conceptions différentes de la laïcité.
• La conception européenne, ou plus précisément française
• La conception états-unienne
• La conception turque, ou plus précisément kémaliste
Adopter l’une ou l’autre de ces conceptions, nous allons le voir, a des conséquences très importantes et divergentes. Leur origine est historique.

1) La conception européenne, ou plus précisément française

En France, « fille aînée de l’Église », l’Église catholique avait toujours joué un rôle important. Les rois étaient dits « très chrétiens ». Elle avait le monopole de l’enseignement ; elle tenait les registres de l’état-civil. Il était obligatoire de professer cette religion et de la respecter, Les protestants et les juifs en savaient quelque chose ! Et ne parlons pas des athées ni des « libertins »…
Après les Lumières et la Révolution, dont certains acteurs étaient franchement antireligieux, le catholicisme recula. Il y eut une tentative de créer une Église soumise à la Révolution et donc à l’État, ce qui renversait les rôles (prêtres « jureurs » et prêtres « non jureurs », restés fidèle à Rome). Cela déclencha l’insurrection de Vendée.
Robespierre, de son côté, avait tenté d’instaurer le culte de « l’Être Suprême » pour contrebalancer l’influence de l’Église. Le Concordat signé par Napoléon et le Pape apaisa les esprits et délimita la place de chacun, sans que toutefois l’Église ne soit totalement écartée des affaires publiques. Ce n’était pas assez au goût de certains, notamment des républicains. Après les intermèdes de la Restauration, de la Monarchie de juillet et du Second Empire, l’avènement de la IIIème République relança la lutte contre l’influence trop grande de l’Église On allait vers la rupture. En 1885, Jules Ferry institua l’enseignement public, laïque et obligatoire. Les gouvernements de la IIIème République s’efforcèrent de reléguer la religion, et par conséquent, l’Église catholique, largement majoritaire dans la France de l’époque, dans un rôle purement spirituel et privé et à l’écarter de la chose publique, notamment de l’enseignement. Ce fut, finalement, en 1905, l’abolition du Concordat et la séparation de l’Église et de l’État.
Il en résulte que pour les Français – et, par suite, pour les Européens – la laïcité est comprise comme une opposition à l’omnipotence et à l’omniprésence de la religion, ainsi qu’à l’existence de deux domaines bien distincts : d’une part, la religion, qui est libre, chacun pouvant en professer une, quelle qu’elle soit, ou aucune, à condition que cette pratique ne sorte pas du domaine privé, et, d’autre part, les affaires publiques, qui ne doivent subir aucune influence religieuse. De sorte à ne choquer personne, les manifestations religieuses ostensibles sont prohibées. Afficher en public son orientation religieuse est sinon interdit, du moins fort mal vu. De cette conception de la laïcité, découlent un certain nombre de lois, comme celle privant les cultes de tout financement public, ou, plus récemment, celles interdisant le port du voile islamique dans les établissements d’enseignement ou celui de la burqa dans l’espace public.
La laïcité « à la française » consiste donc à limiter l’emprise des religions sur la chose publique et sur l’État.

2) La conception états-unienne

A) Le principe
Pour comprendre, il faut remonter au Mayflower (1620). Il s’agissait d’un bateau qui transportait des personnes fuyant la Grande-Bretagne de Jacques 1er qui les persécutait en raison de leur religion, vers ce qui était encore les colonies britanniques d’Amérique du nord. Ils étaient pour la plupart des Puritains. Ils étaient à la recherche d’un endroit où il leur serait possible de pratiquer leur religion en toute liberté. Ils le trouvèrent donc au terme de leur voyage sur un territoire qui deviendrait un siècle et demi plus tard les États-Unis d’Amérique.
L’histoire du Mayflower est fondatrice des États-Unis. Les pilgrims (pèlerins), comme ils se nommaient, sont encore aujourd’hui honorés dans ce pays. Ils ont été à l’origine d’une véritable noblesse républicaine. Leurs descendants sont des aristocrates dans cette société pourtant égalitaire. Plusieurs présidents des États-Unis ont été des descendants de ces pilgrims.
Cette affaire est à l’origine de la conception états-unienne de la laïcité. Pour les États-Uniens, la laïcité consiste à laisser tout un chacun libre de pratiquer la religion de son choix sans aucune entrave. Mieux : l’État est le garant de cette liberté. Il assure la liberté totale des croyants, puisque c’est ce que recherchaient les passagers du Mayflower en abordant les côtes américaines…
Si la laïcité à la française consiste à libérer les citoyens et l’État de l’emprise de la religion, la laïcité états-unienne, à l’inverse, veut libérer les citoyens de toute contrainte étatique dans la manifestation de leur foi. C’est la raison pour laquelle les États-Uniens ne comprennent absolument pas les lois française et belge, votées récemment à la quasi unanimité par les parlementaires français et belges, prohibant le port de la burqa dans l’espace public. C’est aussi la raison pour laquelle aux États-Unis, les sectes, même les plus farfelues ou les plus dangereuses, peuvent avoir pignon sur rue et sont même fréquemment reconnues comme « religion » sans qu’aucune entrave ne soit mise à leurs activités et sans même qu’elles ne soient soumises à la moindre surveillance.
L’État n’est pas là, comme en Europe, pour défendre les citoyens et l’État contre l’emprise des religions, c’est le contraire : L’État est là pour défendre les croyants contre tout ce qui pourrait limiter leur liberté de croire et de pratiquer.

B) L’utilisation par Tareq Ramadan
Le prédicateur islamiste joue sur l’ambigüité des deux conceptions. En Europe, il s’affirme laïque pur et dur. Ses auditeurs, habitués à la conception française de la laïcité, comprennent qu’il partage leurs convictions et qu’il est partisan d’une séparation bien étanche entre la religion et la politique. Ils s’imaginent par conséquent qu’il rejette l’islam politique et qu’il souhaite que la religion soit cantonnée dans la sphère privée. En fait, il n’en est rien car Ramadan, lorsqu’il emploie le mot « laïcité », pense à la version états-unienne de celle-ci. Il est donc contre toute interdiction de manifestation publique, même ostentatoire, de la foi. Il est en réalité partisan du voile et de la burqa portés en toutes circonstances et en tous lieux, publics comme privés, partisan de l’octroi de toutes les facilités possibles pour les musulmans telles que congé pour les fêtes religieuses musulmanes, aménagement du temps de travail durant le Ramadan, endroits pour la prière installés sur les lieux de travail, menus de cantine hallal, etc. Mais cela, il se garde bien de le proclamer, du moins devant un auditoire européen (les versions en arabe de ses conférences sont quelque peu différentes des versions anglaises ou françaises de celles-ci !). Devant un auditoire européen, il se fait passer pour le contraire de ce qu’il est réellement et ainsi leurre-t-il ses auditeurs qu’il séduit par de tels artifices.
De telles méthodes se doivent d’être dénoncées.

3) La conception turque, ou plus précisément kémaliste

Il s’agit d’une conception originale, car autoritaire, étatiste et interventionniste. La laïcité est, en principe, destinée à garantir la liberté de culte et la liberté de conscience. En l’occurrence, la laïcité turque ne se contente pas d’abolir les privilèges et avantages d’une religion, pour limiter son emprise sur les citoyens et l’État, comme l’avaient fait les laïcistes français du début du 20eme siècle, elle fait s’immiscer l’État dans le fonctionnement même de cette religion et intervient dans ce qu’elle enseigne à ses ouailles. Il ne s’agit pas de défendre la liberté de l’État contre l’emprise de la religion, comme en France et en Europe, ni de défendre la liberté des croyants contre l’autoritarisme de l’État en la matière, comme aux États-Unis, mais, à l’inverse, en quelque sorte, de contrôler la religion pour qu’elle ne dispense pas un enseignement incompatibles avec les principes républicains et démocratiques. La laïcité turque ne s’en prend pas aux pratiques des religions, elle intervient sur le fond de l’enseignement d’une religion bien précise, l’islam en l’occurrence. En Turquie, les pouvoirs publics – et, en pratique, surtout l’Armée -– ne sont pas neutres comme ailleurs, aussi bien en Europe qu’aux États-Unis. Au contraire, ils veillent au grain et interviennent autoritairement pour empêcher une religion – l’islam, en l’espèce – non seulement d’empiéter dans les faits sur le domaine de l’État – comme le faisait jadis le catholicisme en France – mais aussi et surtout de professer une idéologie justifiant religieusement son emprise.
Il s’agit d’une laïcité spécifique, car confrontée à l’islam, religion particulière qui tend à régler tout de la vie publique et privée des citoyens. On ne peut mener la même politique de laïcité face au bouddhisme, à l’hindouisme ou au christianisme, qui ne sont que des religions, et face à l’islam, qui est plus qu’une religion dans la mesure, nous venons de le dire, où elle intervient dans tous les actes profanes et même triviaux de la vie quotidienne de ses adeptes. C’est ce qu’avait bien compris Atatürk.
C’est lui, en effet, qui a imaginé cette conception de la laïcité, et ce, pour des raisons, là encore, historiques. Mustafa Kemal Atatürk souhaitait moderniser la Turquie. Il se rendait compte que le principal obstacle au progrès était l’islam. Il a eu des mots extrêmement durs pour cette religion et ses ministres. Il entreprit de « désislamiser » la Turquie. Il s’attaqua donc aux signes extérieurs auxquels on reconnait un « bon musulman ». Il parcourut l’Anatolie profonde coiffé d’un panama pour convaincre les hommes de renoncer au fez, il interdit aux femmes voilées l’accès aux lieux publics, il obligea les femmes des fonctionnaires à assister à des bals en robe du soir dénudant leurs bras et leurs épaules, etc.
Se rendant compte toutefois que, même s’il parvenait à faire reculer l’islam, il ne parviendrait jamais à l’éradiquer totalement, il résolut de le prendre, en quelque sorte, à revers.
Il créa une institution ministérielle, la Diyanet, chargée de contrôler l’islam turc. Ce ministère des Affaires religieuses nomme les imams après les avoir formés de sorte à les mettre a l’abri de mauvaises influences. D’ailleurs, en Turquie, les imams doivent obligatoirement avoir été formés dans le pays même. Ceci pour éviter l’envoi d’imams salafistes formés en Arabie ou dans quelque autre pays similaire.
La Diyanet a pour but d’empêcher en Turquie les dérives fondamentalistes de l’islam. Elle y parvient dans une certaine mesure, mais sa réussite n’est pas totale. Du moins constitue-t-elle une gêne importante pour ceux qui tentent de propager des conceptions radicales et fondamentalistes de l’islam.
On en arrive à ce paradoxe apparent que ce sont les religieux extrémistes qui sont pour la suppression de la Diyanet étatique qui les gêne, alors que ce sont les laïcistes qui réclament son maintien, qui sont donc partisans de l\intervention de l’État dans les affaires d’une religion !
Traditionnellement, en Turquie, c’est l’Armée qui défend la laïcité. Elle est un rempart contre les débordements de l’islam. C’est peut-être la raison pour laquelle l’actuel gouvernement turc islamiste « modéré » (?) essaie par tous les moyens, y compris les plus biaisés, de diminuer son pouvoir.
Ne nous laissons donc pas abuser. Défendons bec et ongle notre conception européenne de la laïcité. Ne nous laissons pas influencer par la fausse laïcité états-unienne. La « religionâtrie », même de bonne foi et avec de bonnes intentions, ne peut mener qu’à la catastrophe. Nos grands ancêtres laïques « bouffeurs de curé » de jadis doivent se retourner dans leur tombe s’ils entendent les discours de certains prétendus laïques de ce début du 21eme siècle, qui osent se prétendre leurs héritiers mais défendent l’islam, religion bien pire que le catholicisme..
Christian Marot

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